Peut-on perdre la raison ?
Extrait du document
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L'homme est défini par Aristote comme un animal rationnel.
Ici la rationalité est la différence spécifique qui permet de différencier
l'homme des autres animaux.
Dès lors, perdre la raison signifierait pour l'homme perdre son humanité même.
Or perdre son humanité,
cela signifierait pour l'homme perdre son essence, ce qui fait qu'il est ce qu'il est.
Mais est-il possible qu'une chose cesse d'être ce
qu'elle est sans être par la même détruite ? En effet perdre la raison ne signifie pas seulement ne plus agir de façon rationnelle, mais
perdre la faculté elle-même de pouvoir agir rationnellement.
Perdre cette faculté est ce que l'on désigne communément sous le terme
de folie.
Or la folie est un fait qui s'impose à la pensée, et la question qui se pose est moins de savoir si l'on peut devenir fou, que celle
de savoir si l'on peut devenir fou sans cesser d'être un être humain.
I.
L'homme étant un être rationnel, il ne peut pas perdre la raison à moins de cesser d'être un homme
Si l'on accepte la définition aristotélicienne de l'homme comme animal rationnel, il semble bien que l'on ne puisse perdre la
raison sans cesser d'être un homme.
Cela ne veut pas dire que l'on ne peut pas perdre la raison, mais que cette perte entraîne
automatiquement la perte de notre humanité.
Cette perte conjointe de la raison et de l'humanité, Aristote l'appelle dans l'Ethique à
Nicomaque la bestialité.
La bestialité ne doit pas s'entendre comme le fait pour un être humain de vivre à la manière d'un animal.
Aristote considère que les animaux vivent comme des animaux, c'est-à-dire sans la raison, mais ne peuvent faire preuve de bestialité.
La bestialité désigne le fait pour un homme qui a la raison par essence, de vivre d'une manière en tout point contraire à la raison.
Dans
ce sens là la raison est perdue au sens où l'on n'en fait pas usage, de sorte qu'elle ressemble à une terre que l'on ne cultiverait pas et
qui ne donnerait jamais de récolte.
Or l'homme qui vit de la sorte est selon Aristote au-dessous d'une bête, et déchoit de son humanité.
Donc s'il est possible de perdre la raison, cela entraîne aussitôt le fait de cesser d'être un homme, de sorte que l'on ne peut pas perdre
seulement la raison, tout en gardant son humanité.
II.
On peut perdre la raison sans perdre son humanité
La définition aristotélicienne de l'homme comme animal rationnel semble néanmoins restrictive.
En
effet il semble que si l'homme se distingue partiellement par la raison, il se distingue aussi par sa capacité à
créer, notamment des œuvres d'art.
Dans le Phèdre, Platon prend l'exemple de Socrate, qui est le
philosophe par excellence, et qui pourtant est sujet à un accès de création poétique.
Socrate crée de beaux
discours en étant visité par les muses.
Or cette façon de s'ouvrir aux muses peut être assimilée à une perte
de la raison.
Pour autant Socrate ne se comporte pas du tout comme une bête mais bien plutôt comme un
esprit poétique fécond.
Ce que l'on voit par cet exemple, c'est qu'il est possible de perdre la raison sans
cesser d'être un homme.
On peut même se demander si le fait d'être un homme, et non une simple
machine, n'exige pas que l'on soit capable de perdre la raison de temps à autre.
Perdre la raison pour créer
des poèmes, mais aussi perdre la raison pour aimer, car le sentiment amoureux n'est pas un sentiment
rationnel, mais il a néanmoins du prix, et sans être capable de l'éprouver, nous ne serions pas des hommes,
mais de simples machines à calculer.
III.
L'existence de l'inconscient psychique explique que l'on puisse perdre la raison
La raison relève de la sphère de la vie consciente, or Freud explique que la conscience
n'est qu'une partie du psychisme humain, qui est composé du ça, du moi, et du surmoi.
Le ça
correspond à l'activité inconsciente et pulsionnelle du sujet (c'est-à-dire l'ensemble des désirs dont
on n'a pas conscience).
Le surmoi c'est l'ensemble des interdits sociaux (ne pas tuer, ne pas
voler).
Le moi essaye de satisfaire à la fois le ça et le surmoi, c'est-à-dire qu'il essaye de faire en
sorte que les désirs profonds soient assouvis, mais sans que cette réalisation ne transgresse les
lois humaines.
Mais certains désirs que ne peut accepter le surmoi sont chassés de la conscience,
ce que montre par exemple le phénomène des rêves.
Dans L'interprétation des rêves, Freud
explique en effet que dans le rêve, des désirs inconscients sont réalisés symboliquement (par
exemple je déteste sans le savoir une personne donnée, et je rêve que je la tue).
Si le rêve n'est
pas dangereux pour la santé mentale, c'est que pendant le rêve l'être humain n'agit pas, et que le
rêve fonctionne donc comme un monde clos, de sorte que quand le sujet se réveille, il retrouve un
rapport ferme au réel.
Mais dans certains cas, la censure qui rejette la réalisation fantasmatique
des désirs dans l'univers du rêve est fragilisée, de sorte que le sujet ne fait plus la différence entre
le rêve et la réalité.
Cet état que Freud qualifie de psychotique, peut être assimilé à une perte de
la raison, au sens où le sujet ne peut plus s'appuyer sur sa raison pour guider son comportement.
Mais un tel état est réservé à des maladies psychiques graves, et la plupart du temps les êtres
humains parviennent à préserver l'usage de leur raison, même s'il y a des variations entre les
individus et les périodes d'une vie.
Conclusion
Si l'on définit l'homme comme animal rationnel, la perte de la raison équivaut à la perte de l'humanité, de sorte que l'on en
peut perdre la raison sans cesser d'exister comme homme.
Mais l'homme ne se réduit pas à la raison, l'expérience esthétique ou
amoureuse nous montre qu'il est parfois important de pouvoir perdre la raison, sans pour autant que cela équivaille au fait de devenir
fou.
La perte de la raison peut aussi être assimilé à la folie, à un état pathologique comme la psychose.
Mais ces pathologies ne sont
pas le cas le plus fréquent, et la plupart du temps les hommes gardent l'usage de leur raison, même s'ils peuvent être sujet à des
déséquilibres psychiques temporaires..
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