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Peut-on parler de responsabilité collective ?

Extrait du document

« Position de la question.

En principe, la responsabilité s'attache à la personne individuelle.

La question s'est posée cependant de savoir si, de même que le mérite et le démérite, elle peut être appliquée aussi à des collectivités, à des groupes sociaux, tels que la famille ou la nation. I.

En quel sens la responsabilité collective est inadmissible. A.

— Si l'on étudie l'évolution des idées morales, on constate que la responsabilité, avant de se fixer sur l'individu, fut d'abord collective.

La faute, considérée comme une souillure, s'étendait à tout le groupe, à la famille, au clan, à la cité, aux descendants et même aux amis du coupable.

La vendetta consistait précisément à venger le groupe lésé sur le groupe du coupable tout entier, parfois jusqu'à extermination, ou bien sur un individu quelconque de ce groupe, qui était alors frappé, non comme individu, mais comme représentant du groupe.

Chez les Arabes, « la vengeance du sang est quasi inéluctable et peut être exercée par n'importe quel membre du clan sur n'importe quel représentant du clan adverse, par suite de la conception collective de la responsabilité » (J.

CHELHOD, Introd.

à la Sociologie de l'Islam, p.

51).

Il en est à peu près de même de la rekba kabyle. B.

— Mais l'évolution s'est faite, au sein des groupes sociaux, dans le sens d'une émergence de la personnalité individuelle.

« La conscience prise par l'homme de sa liberté a conduit à fonder alors sa responsabilité sur sa faute, c'est-àdire sur le mauvais usage de cette liberté.

C'est en tant qu'être libre que l'homme a donc pu répondre juridiquement [et moralement] des conséquences de ses fautes...

Le fondement sociologique de la responsabilité changeait ainsi de nature » (René SAVATIER, Les métamorphoses du droit privé, II, p.

152).

Dès lors, il paraît inadmissible que l'individu soit tenu pour responsable solidairement de fautes qu'il n'a pas commises. Ce sentiment est devenu si vif que toute sanction collective éveille en nous une sorte de protestation de la conscience (il suffit d'observer combien difficilement sont acceptées, même dans les écoles, les punitions dites collectives, pourtant le plus souvent bénignes).

A plus forte raison est-il odieux de tenir un individu pour responsable d'un crime dont il n'est pas l'auteur, parce qu'il appartient à telle ou telle race, quelle qu'elle soit, ou encore, lorsqu'il est coupable, de le punir plus sévèrement parce qu'il appartient à cette race1. II.

En quel sens il peut y avoir parfois responsabilité collective. Il n'est donc pas question d'en revenir à la responsabilité collective telle qu'elle a été conçue primitivement : ce serait une véritable régression morale.

Nous devons cependant nous demander si l'individualisme que nous tenons du XVIIIe siècle et de la Révolution française, n'est pas aujourd'hui quelque peu dépassé et si, par suite, dans certains cas et sous certaines conditions, une certaine responsabilité des collectivités ou des groupes n'est pas à envisager. A.

— Or, il y a ici une idée, que nous tenons de la sociologie et qu'il faut prendre en considération : c'est que les collectivités ont une réalité qui leur est propre, qu'elles ne sont pas simplement des sommes ou des assemblages d'individus : « Nous sommes aujourd'hui tout pénétrés de cette idée que les groupes sociaux ont une conscience, donc une personnalité et une volonté distinctes de celles de leurs membres » (P.

FAUCONNET, La Responsabilité, p.

339).

Ceci est surtout important de nos jours où se sont multipliées les associations de toute espèce dans lesquelles la vie de l'individu se trouve enveloppée.

Dès 1920, un juriste écrivait que « l'individualisme de la Révolution n'est plus l'expression de la vie sociale à l'époque contemporaine » (G.

MORIN, La révolte des faits contre le Code, p.

196), et, de nos jours, les juristes se montrent en général disposés à admettre que ces collectivités possèdent, elles aussi, la personnalité juridique et morale. B.

— De là résultent deux conséquences.

— 1° En tant que membre d'une collectivité, l'individu participe à la responsabilité de celle-ci dans la mesure où non seulement il a participé à son activité, mais aussi dans la mesure où, par son abstention, sa passivité, voire peut-être sa lâcheté, il a laissé accomplir des actes que le droit ou la morale condamnent.

— 2° En tant qu'ils ont une réalité propre et une personnalité morale et juridique, les groupes eux-mêmes, en tant que collectivités, peuvent être tenus pour responsables.

La famille est responsable des fautes commises par les enfants, d'autant plus qu'on peut toujours supposer que les parents ne leur ont pas donné l'éducation nécessaire (en revanche il serait tout à fait injuste de tenir les enfants pour responsables de fautes commises par les parents).

La nation est responsable des crimes commis en son nom par les chefs qu'elle s'est donnée ou qu'elle tolère.

— On voit d'ailleurs que cette responsabilité collective suppose toujours une participation plus ou moins active des membres du groupe qui les engage dans cette collectivité. C.

— Les juristes contemporains ont observé d'autre part que la responsabilité civile a, de nos jours, changé de signification : elle « a cessé de désigner une dette pour devenir une créance ».

La civilisation moderne oblige l'homme, pour dominer les forces de la nature, à s'associer en équipes.

« La responsabilité civile, c'est-à-dire l'obligation de réparer le dommage causé, a tendu alors à reposer sur l'équipe en devenant collective, et sur l'équipement en rendant le maître de ce dernier responsable du fait de sa chose.

C'est autant de perdu pour le concept de la faute personnelle.

Mais c'est autant de gagné pour la sécurité des victimes...

Sociologiquement, c'est tout le sens de la responsabilité civile qui tend par là à se renverser.

Quand on centre cette responsabilité sur la liberté de l'homme, c'est le mauvais usage de cette liberté qui justifie, pour la victime, une réparation.

Avec la généralisation de la responsabilité collective, l'optique se retourne.

La responsabilité n'intéresse plus tant les sanctions imposées au responsable que la sécurité assurée aux victimes.

» L'évolution se complète par le développement moderne de l'assurance : celle-ci « s'est mise au service même du responsable, regardé comme victime des conséquences de sa responsabilité civile ».

On parvient ainsi à la notion d'une responsabilité sans faute, du moins sans faute personnelle, et à caractère nettement collectif (R.

SAVATIER). Conclusion.

« La responsabilité personnelle demeure le témoignage et la condition de la liberté de l'homme ».

Mais le fait que l'homme est toujours engagé dans les groupes et les conditions de la vie moderne amènent à reconnaître la légitimité d'une certaine responsabilité collective.. »

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