Peut-on nier l'évidence ?
Extrait du document
«
Descartes écrit à l'un de ses correspondant : la vérité lui semble être « une notion si claire qu'il est impossible
de l'ignorer » (« Lette à Mersenne » du 16 octobre 1639) Et pourtant affirme ailleurs que la question de la
vérité est « un sujet auquel j'ai travaillé toute ma vie ».
La tension de ces deux affirmations apparemment
paradoxales permet d'engager une étude de cette notion, où il s'agira de démêler la part de clarté et la part
d'obscurité qui s'attachent à la notion d'évidence.
[L'évidence peut être trompeuse.
Les hommes appellent évidence ce qui ne relève en fait que du
préjugés et des idées reçues.]
Les sens nous trompent
« Falsa pro veris admiserim » (J'avais admis le faux pour le vrai).
C'est
ainsi que commencent les Méditations de Descartes.
Je me suis aperçu
que, dès mon enfance, j'avais admis quantité de fausses opinions pour
véritables.
Comment distinguer le vrai du faux, si le faux peut prendre
l'apparence du vrai ? Telle est la question que se pose
Descartes.
Il faut retirer à l'apparence son pouvoir d'illusion en niant l'évidence.
C'est ce que nous propose Descartes lorsqu'il nous dit d'«éviter
soigneusement la précipitation».
(Discours de la méthode)
L'évidence est un faux savoir
Nous avons tendance à tenir pour évidentes les opinions auxquelles
nous sommes habitués.
C'est au nom de l'évidence que les penseurs
officiels installés dans le conformisme ont toujours critiqué les créateurs
d'idées neuves.
L'évidence n'est ici que tradition bien établie et idées
coutumières.
Il faut la nier pour avancer dans la connaissance.
C'est
ainsi que Descartes entreprendra de douter de toutes ces prétendues
évidences.
La première règle cartésienne est de « ne jamais recevoir
une chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle ».
Dans la science il n'y a pas de place pour l'évidence
On sait qu'aujourd'hui les mathématiciens se méfient des évidences.
Méfiance liée à l'apparition, dans la
seconde moitié du XIX siècle, d'êtres mathématiques stupéfiants comme les courbes sans tangentes, les
courbes remplissant un carré - premiers spécimens, comme le déclare le mathématicien Jean Dieudonné, «
d'une galerie de monstres qui n'a cessé de s'amplifier jusqu'à nos jours ».
« Il ne faut pas voir la réalité telle que je suis » dit Eluard.
Mais précisément je vois spontanément le monde
comme je suis, et il faut tout un travail pour le voir comme il est ; ce travail est le travail de la science.
L'idéal
est de parvenir à poser des relations objectives qui ne soient plus le reflet de mes dispositions subjectives.
Pour la science, le ciel cesse d'être un sujet grammatical, une substance dont le bleu serait l'attribut : le bleu
du ciel n'est que l'effet de l'inégale diffusion des rayons du spectre solaire.
Ce qui complique la tâche de l'activité scientifique et de l'éducation scientifique, c'est que je ne projette pas
seulement sur le monde mes sentiments personnels mais encore toutes les dispositions que je tiens de la
tradition sociale.
« L'esprit naïf n'est pas jeune, il est même très vieux » (Bachelard) Nous projetons
spontanément sur le monde tout ce que qu'on nous a enseigné.
C'est ainsi que les gens du moyen-age
voyaient des diables cornus à tous les détours de chemins.
Aujourd'hui nous projetons sur le ciel une culture
pseudoscientifique mal assimilée : nous voyons des « OVNI ».
[Toutefois, chassée par la porte, l'évidence rentre par la fenêtre.
Si nous doutons même de l'évidence, la
connaissance ne peut plus exister.]
L'évidence, ce n'est pas l'illusion.
»
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