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Peut-on légitimement instituer une langue universelle ?

Extrait du document

« Le problème ici, c'est la question d e la légitimité.

Elle oriente en effet le sujet vers une dimension morale et politique.

Instituer une langue universelle, c'est mettre en place une langue qui serait parlée par tout le monde.

Interrogez-vous sur l'intérêt d'une telle démarche.

N'est-ce pas souhaitable ? Ne vaut-il pas mieux que les hommes " s'entendent " au sens propre, pour qu'ils puissent ensuite " s'entendre " au sens figuré ? Que gagnerait-on à parler la même langue ? C'est en tous les cas un vieux rêve si l'on en croit par exemple, le récit de la tour de Babel présent dans la Bible.

Les hommes parlaient une seule langue jusqu'à ce que Dieu, pour les punir de leur orgueil décide d'introduire différentes langues au sein de l'humanité.

Mais l'idée d'une langue universelle ne passe pas forcément par les biais linguistiques classiques...

Songez par exemple aux mathématiques, à l'algèbre.

Enfin, l'idée d'une langue universelle ne trahit-elle pas ce qui fait aussi la richesse des différentes cultures ? Si nous parlons tous la m ê m e langue, ne prend-on pas aussi le risque d'uniformiser la pensée ? C'est sous ce rapport que le terme " instituer " est délicat.

En effet, le sujet suppose qu'on décide plus ou moins arbitrairement de mettre en place, contre les langues minoritaires, une langue commune au nom d'intérêts peut-être contestables. Le mot nous est donné par la chose Si, comme le pense Platon, la nature de la chose nous donne le nom qui doit l'exprimer, toute confusion de sens devient impossible.

Il ne resterait alors plus au législateur avisé qu'à reconnaître quel est le mot juste qui correspond à cette chose et à construire des lois du discours qui devront être universellement respectées. Une langue est fondée sur la raison, qui est universelle Avec Descartes et l'époque moderne, il ne s'agit plus de retrouver une langue mythique qui aurait existé avant Babel, mais de construire une langue idéale, fondée sur des rapports logiques entre, d'une part, les mots et les choses qu'ils désignent et, d'autre part, les idées elles-mêmes.

Une telle langue idéale serait composée d'un vocabulaire et d'une grammaire identiques pour tous, car conformes aux lois universelles de la raison. La langue peut être une convention universelle Saussure, la fin du XIXe siècle, montre que tout signe est arbitraire, c'est-à-dire que le rapport entre le mot et la chose signifiée est purement conventionnel.

Dans ce cas, pourquoi ne pas imaginer une convention portant sur le vocabulaire et sur la grammaire, d e laquelle naîtrait une langue universelle ? C'est ce qui a été tenté par Zamenhof, qui inventa une langue internationale conventionnelle, l'espéranto, à partir des racines des langues indo-européennes. Chacun utilise la langue à sa manière La linguistique contemporaine établit une distinction entre le langage, code conventionnel abstrait, et la langue, actualisation particulière de ce code.

Établir un code linguistique conventionnel ne suffit pas: encore faut-il qu'une langue soit parlée, c'est-à-dire qu'un individu utilise ce code pour former des phrases ayant un sens.

Sans cette intervention d'un psychisme particulier, le code de la langue ne sert à rien. La langue doit s'adapter à chaque individu Lorsque j'utilise la langue, je le fais toujours avec l'intention de signifier une chose précise.

Or, c'est le contexte qui va déterminer mon choix du mot et de la tournure grammaticale les plus appropriés pour exprimer ma pensée.

Les structures et le vocabulaire d'une langue ne peuvent donc pas être un code rigide, employé universellement de la même façon, mais doivent au contraire pouvoir se modeler à ma convenance. La langue traduit une manière unique de percevoir la réalité L`usage de la parole relève d'une manière d'appréhender la réalité.

C'est parce que je perçois la réalité en tant qu'individu déterminé par sa culture et par ses propres aspirations que j'emploie certaines structures syntaxiques.

Le vocabulaire et la grammaire d'une langue ne sont donc pas immédiatement transposables dans une autre.

La langue est une façon de percevoir une réalité propre à une culture et à un milieu. Si une langue peut être commune à un peuple, c'est-à-dire à un ensemble d'individus partageant une m ê m e histoire et une m ê m e culture, c'est justement parce que ces individus ont du monde une m ê m e appréhension, un m ê m e m o d e d e perception du réel.

La structure même d'une langue résultant de la nécessité d'exprimer certaines choses plutôt que d'autres (on le voit, par exemple, dans les différentes manières d'exprimer les couleurs selon les pays), il paraît impossible qu'une même langue puisse être partagée par tous. L'échec de l'espéranto montre bien, pour l'instant, que l'établissement d'une langue universelle est impossible.

Il convient toutefois de ne pas balayer sans examen préalable l'argument majeur qui milite en faveur d'une telle langue (qui ne serait qu'une seconde langue): la compréhension entre tous les hommes.. »

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