Peut-on identifier oeuvre et travail ?
Extrait du document
«
Introduction
La réflexion sur le travail a acquis dans la philosophie moderne une place capitale, à partir du moment où s'affirme
l'idée d'une auto-production de l'homme par son activité laborieuse.
Elle s'accompagne bien souvent d'un point de
vue critique, à propos des conditions dans lesquelles le travail est effectué, et de son « aliénation ».
Le concept d'«
oeuvre» paraît en général échapper à cette critique, dans la mesure où il est le plus souvent réservé à une
production individuelle qui semble moins soumise aux processus d'aliénation.
Cette distinction n'a-t-elle de sens que
dans le langage quotidien? Est-elle au contraire philosophiquement justifiée? Peut-on, à l'inverse, identifier oeuvre et
travail ?
I.
Oppositions apparentes
— Évoquer le travail, c'est le plus souvent faire allusion à un ensemble de contraintes peu agréables pour le
travailleur lui-même, à l'insatisfaction que ces contraintes déterminent.
Au point que Marx soulignait que le
travailleur industriel ne se retrouve (ne redevient un être humain) qu'en dehors de son temps de travail, après en
être délivré.
Ce qui est animal devient humain, ce
qui est humain devient animal (Marx).
C'est dans la phase initiale de sa pensée
que Marx écrit : « Ce qui est animal devient
humain, ce qui est humain devient animal ».
Ce qui est humain, c'est le travail.
Or, dans les
« Manuscrits de 1844 », encore marqués par
l'influence de Hegel, si le travail est
principiellement
formateur,
sa
forme
contemporaine (le travail à la chaîne) devient
aliénante, abêtissante, inhumaine.
En clair, le
travail de vient animal.
Les « Manuscrits » appartiennent à la phase
initiale de la pensée du jeune Marx.
Notre
auteur n'y est pas encore en possession des
principales catégories de sa pensée.
Le
matérialisme historique n'est pas parvenu à la
formulation qu'il acquerra dans la maturité.
D'une part, Marx s'y montre plus proche d'une
réflexion proprement politique, qui passera ensuite au second plan (ou se verra
réélaborée après les analyses économiques du « Capital »).
D'autre part, Marx y est
encore tributaire d'une lecture essentialiste, moins historienne que par la suite.
C'est
ainsi qu'il prétend définir une essence du travail qui se voit pervertie par les formes
modernes de production.
Marx est alors très marqué par un passage de la « Phénoménologie de l'esprit » de Hegel, la dialectique du
maître & de l'esclave.
Dans ce mouvement, qui fait suite à l'épisode de la lutte à mort pour la
reconnaissance, Hegel montre que la libération véritable de l'humanité ne vient pas du maître, qui ne domine
que symboliquement le monde, mais de l'esclave.
C'est par la discipline qu'impose le travail que l'homme
s'éduque et domine, réellement cette fois, la matière.
Si le travail, qui est humain, devient animal, c'est tout d'abord que seul l ‘homme, au
sens propre, travaille.
Certes, certains animaux « fabriquent » ; castors, abeilles
« construisent ».
Mais cette activité est instinctive, la règle de construction est, si
l'on veut, donnée par la nature.
Le travail spécifiquement humain est tout autre.
Comme le dit Marx dans le « Capital » :
« Ce qui distingue dès l'abord le plus mauvais architecte de l'abeille la plus experte,
c'est qu'il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche .
»
La perfection de la ruche n'est que la contrepartie d'une activité instinctive,
« machinale », non pensée, non voulue.
Le travail spécifiquement humain n'émerge que lorsque est en jeu la totalité de nos
capacités.
Il faut imaginer et concevoir ce que l'on va produire.
L'existence de l'objet.
»
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