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Peut on forcer quelqu'un à être libre ?

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« La liberté peut être définie de deux manières 1) négativement comme le fait de ne pas subir de contrainte externe de la part d'un autre qui limiterait notre pouvoir d'action 2) positivement, comme la capacité de se déterminer soimême à prendre un parti plutôt qu'un autre.

Or si l'on prétendait forcer quelqu'un à être libre, cela signifierait qu'il serait contraint de l'extérieur à l'être et que donc le premier sens de la liberté ne pourrait pas être respecté.

Mais la liberté au premier sens est une condition de possibilité de la liberté entendue au second sens, car quelqu'un qui est forcé de faire quelque chose ne saurait se déterminer librement à le faire.

On comprend donc que l'expression « forcer quelqu'un à être libre » semble être un oxymore, c'est-à-dire être contradictoire dans les termes.

Pourtant si l'on ne peut forcer quelqu'un à être libre, on peut l'aider à devenir libre, en exerçant sur lui une contrainte momentanée durant laquelle l'individu ne sera pas libre, mais au terme de laquelle il deviendra libre.

C'est d'ailleurs ce que vise toute éducation digne de ce nom.

En effet on peut considérer qu'un enfant n'est pas libre au sens plein du terme, au sens où il n'a ni les moyens de subvenir à ses besoins, ni une idée claire de ce à quoi il aspire profondément.

L'éducation vise à permettre à l'individu de savoir à quelle genre de vie il aspire, en lui donnant les moyens intellectuels qui lui permettront de penser sa vie, et fournit également les moyens d'être financièrement autonome.

Mais si forcer quelqu'un à devenir libre suppose d'exercer sur lui une contrainte momentanée, cette contrainte ne peut pas être totale, et doit toujours en appeler à la liberté du sujet à venir.

En ce sens la contrainte doit toujours s'effacer à terme en faveur d'un accompagnement, d'un guidage, qui en appelle à la responsabilité du sujet. I.

La société permet à l'homme de se construire comme sujet libre, mais elle exerce pour ce faire une contrainte temporaire sur lui, donc elle le force à devenir libre. Ce qui fait que l'homme est un être libre, c'est que contrairement à l'animal, il est capable de guider sa conduite selon certains principes, notamment moraux.

Or on peut se demander d'où lui vient cette capacité.

Dans La généalogie de la morale, II, Nietzsche considère que la société opère sur l'homme un travail d'éducation, à travers la pratique des échanges.

En effet en rentrant dans le jeu des échanges sociaux, l'homme découvre qu'il doit tenir sa parole, car s'il ne la tient pas il est puni pour cela.

Nietzsche prend l'exemple de la dette.

Un homme qui contracte une dette mais qui refuse de la payer ensuite, sera soumis à des sanctions très dures dans les toutes sociétés archaïques, qui peuvent aller jusqu'à des châtiments corporels sévères.

Il s'agit donc dans un premier temps d'un véritable travail de dressage, identique à celui qu'on effectuerait sur une bête.

Mais vient un temps où l'homme a intégré le fait qu'il doit tenir sa parole, et où il est capable de le faire.

Or si cette capacité sert les autres, qui savent que l'homme est devenu fiable, elle élève aussi l'homme lui-même au rang de sujet de sa vie, car cet homme pourra se promettre des choses à lui-même, et les tenir.

Dans cette perspective l'homme tire sa liberté de la contrainte qu'exerce d'abord sur lui la société, puisque être libre ce n'est pas faire n'importe quoi, mais faire ce que l'on a décidé de faire.

On comprend donc que si l'on ne peut pas forcer quelqu'un à être libre au sens où lorsque l'on exerce une contrainte sur un être il n'est pas libre, on peut néanmoins forcer un être à devenir libre.

Toute entreprise d'éducation consiste à viser la liberté du sujet comme une fin à atteindre, mais utilise pour ce faire à titre de moyen une contrainte exercée sur l'enfant en devenir. II.

On peut forcer quelqu'un à être libre lorsqu'il ne comprend pas lui-même le sens de sa propre liberté, mais cela comporte toujours le danger d'un abus d'autorité. Avec Nietzsche nous avons vu que l'on peut en un sens forcer quelqu'un à devenir libre.

Mais lorsque l'on a affaire à un sujet constitué, peut-on le forcer à être libre.

La possibilité doit être ici interrogée en un sens moral, c'est-à-dire qu'il s'agit de répondre à la question de savoir s'il est légitime de le faire.

Or il semble qu'il soit légitime de le faire lorsque l'on a affaire à un sujet qui ne comprend pas le sens de sa propre liberté.

Dans Le contrat social, Rousseau considère que la véritable liberté n'est pas la liberté naturelle, mais celle à laquelle on s'élève en entrant dans l'état civil.

Cette entrée se fait à la faveur d'un contrat par lequel pour assurer leur sécurité, les hommes se démettent de leur liberté naturelle au profit de tous, c'est-à-dire au profit de la volonté générale.

Or c'est la volonté générale qui ensuite fait les lois, et chaque citoyen participe de cette volonté générale.

On voit donc que si l'individu perd sa liberté naturelle de faire tout ce qui lui plaît, il gagne la liberté civile, qui consiste dans le fait de n'obéir qu'à la loi (et non à tel ou tel individu).

Or puisqu'il a lui-même contribué à l'établissement de la loi en tant qu'il est membre de la volonté générale, l'individu n'obéit ainsi qu'à lui-même et il est véritablement libre.

Rousseau pense que celui qui refuse d'obéir méconnaît sa liberté, et qu'on a donc le droit de « le forcer à être libre », c'est-àdire à respecter les lois.

Cette position comporte néanmoins le danger d'un Etat tyrannique, qui sous prétexte de rendre les gens libres malgré eux, les asservit. On le forcera d'être libre (Rousseau). On trouve cette formule énigmatique au septième chapitre du premier livre du « Contrat social ».

Rousseau affirme que celui qui refuse d'obéir aux lois peut y être contraint par le corps social, mais il ajoute que cette contrainte sert en fait la liberté de celui qui y est soumis.

Ce paradoxe met en évidence la tension qui existe entre notre existence d'individu et notre existence de citoyen, et interroge sur la conciliation de l'obéissance civique avec la liberté.. »

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