Peut-on faire l'éloge de la passion ?
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Introduction
• Est-il possible et même légitime de célébrer un ébranlement de l'âme qui apparaît, en tous points, opposé à la
droite raison? Comment, à bon droit, exprimer un jugement favorable en ce qui concerne un poison de l'âme? Tel est
le sens de l'intitulé du sujet, qui nous interroge sur le sens de la passion comme élément essentiel de la vie,
déséquilibrant cette dernière.
• Et si la passion était, en effet, un ébranlement de l'âme, ébranlement contre nature? Nous parvenons ici au
problème central soulevé par le sujet.
Il semble difficile de célébrer ce qui semble en tous points opposé à la
sagesse et à la conduite rationnelle de la vie.
• L enjeu peut être ici perçu dans sa clarté : l'enjeu d'une thématique, c'est ce qu'elle nous fait gagner ou perdre.
Selon la réponse apportée, la passion pourra ou non être envisagée comme un réveil de l'esprit ou de l'individu, d'où
des conséquences pratiques importantes dans la conduite de l'existence.
A.
Toute passion exprime la passivité de l'homme et on ne saurait en faire l'éloge
La première définition possible de la passion ne saurait conduire à la légitimité d'un éloge ou d'un discours exprimant
un jugement favorable.
Comment honorer et célébrer un mouvement irrationnel de notre âme, un phénomène subi
qui semble, en tous points, opposé à notre libre personnalité ? La passion, n'est-ce pas l'empire du corps? Faut-il la
célébrer, alors qu'elle apparaît comme nocive? Elle ne relève pas d'un discours laudatif, mais bien d'une médication,
d'une sorte de thérapeutique de l'âme.
S'il n'est pas un bon usage des passions, comment pourrait-on en faire
l'éloge, lequel apparaît ici illégitime? La passion serait une inclination que la raison du sujet ne peut maîtriser.
Il est
donc impossible d'en faire l'éloge.
« L'inclination peu ou point disciplinable par la raison du sujet est la passion »
(Kant).
Donc la passion est un poison de l'esprit.
Transition
Passivité, manque de rationalité: ces deux caractères de la passion semblent nous conduire à l'impossibilité d'un
jugement laudatif.
Néanmoins, ne peut-on réhabiliter la passion, voire l'exalter, dans la mesure où elle élève l'âme et
permet de mieux accéder à la vérité du réel? Ne peut-on fournir une nouvelle définition de la passion?
B.
La passion, critère d'authenticité, peut devenir l'objet d'un éloge.
Ne faut-il pas, en effet, réhabiliter la passion et, dans cette optique, faire son éloge? Pourquoi les passions élevées
et nobles ne feraient-elles pas la grandeur de l'homme? C'est bien ce que déjà nous suggèrent la philosophie des
Lumières, mais aussi Rousseau.
Et s'il y avait dans la passion une énergie authentique conduisant à sa louange,
voire à un discours pour la célébrer? Ne faut-il pas connaître l'amour-passion
pour mieux saisir les secrets de l'univers? La passion peut conduire à agrandir
le Moi aux dimensions du monde.
Le héros romantique accède souvent à l'infini
et apaise son besoin spirituel d'absolu, grâce à la passion devenue médiatrice.
Un exemple de passion romantique : celui de l'héroïne des Hauts de Hurlevent,
attachée à Heathcliff: «À quoi servirait que j'eusse été créée, si j'étais tout
entière contenue dans ce que vous voyez ici? Ma grande raison de vivre,
c'est Heathcliff.
Si tout le reste périssait et que lui demeurât, je continuerais
d'exister; mais si tout le reste demeurait et que lui fût anéanti, l'univers me
deviendrait complètement étranger » (Les Hauts de Hurlevent, chapitre XI).
Ainsi de nouveaux caractères définissent les passions : il faut alors célébrer la
passion amoureuse, qui nous élève à l'amour spirituel.
Désormais, ce qui
pénètre l'idée de passion, c'est la notion d'un affect puissant, dynamique,
authentique.
Mais il faut élargir ce thème de la passion créatrice, susceptible
d'être valorisée et intégrée dans un discours hautement laudatif et favorable.
Bien au-delà du romantisme, Oscar Wilde, à travers sa passion pour lord
Douglas, accède au malheur, mais aussi à la plénitude de la réussite littéraire.
La passion n'est pas seulement pour Wilde le début de la déchéance (il est
condamné, en 1895, à deux ans de travaux forcés), mais aussi
l'accomplissement littéraire, quand il écrit la bouleversante Ballade de la Geôle
de Reading.
La passion aboutit ici à la vraie vie, la seule vie authentique : la
littérature.
De même, Proust, voué à la passion des mots, passionnément désireux de recréer la durée anéantie par le temps
irréversible, réalise sa grande oeuvre.
Nuit et jour, enfermé dans sa chambre tapissée de liège, il réinvente, par la
magie du discours, des êtres disparus.
La passion d'écrire recrée l'énigme du bonheur et la véritable essence des
choses, que nous communique À la recherche du temps perdu.
Transition
Se dégage ainsi un nouveau concept de la passion, comme énergie créatrice détentrice des secrets de l'univers, de.
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