Peut-on faire du travail une valeur ?
Extrait du document
«
Il faut tout d'abord remarquer l'emploi de « toujours » qui change la question de façon considérable.
Le sujet suppose, en effet, que le travail
a pu être une valeur fondamentale par le passé et qu'il pourrait avoir perdu cette valeur.
O r, peut-on prétendre que le travail a été une valeur par le passé et,
dans un second temps, que cette valeur est disparue ?
T out dépend de quel passé on parle, le travail n'a pas en effet été toujours valorisé.
Ensuite, il faut remarquer que la valeur travail peut avoir changée.
Non pas qu'elle ait diminué d'importance mais que la vision sociale à son
égard s'est transformée.
Il s'agit de se demander la valeur actuelle du travail.
L'idée que le travail a pu être dévalorisé dans un proche passé comme fin de l'existence a sans doute des exactitudes historiques.
M ais il
faut noter que cette dévalorisation s'inscrivait en contrepoint par rapport à une société fondée qui peut-être surévaluait le seul travail.
O n peut dire pour terminer cette première analyse sur la valeur travail qu'à propos du travail deux points de vue se confrontent.
Le premier
point de vue dévalorisant fait du travail quelque chose de pénible, une contrainte aliénante.
Le second en fait quelque chose au contraire de réalisant,
d'épanouissant.
Il peut être aussi envisagé comme quelque chose de simplement utile (pour gagner de l'argent).
Tout dépend de quel type de travail il s'agit,
mais aussi indépendamment du type du travail, du discours communément accepté à son égard.
Problématisation:
Le sujet nous invite à interroger la valeur actuelle du travail dans nos sociétés contemporaines.
C ette question s'avère d'autant plus délicate que le
philosophe n'est pas sociologue, et qu'à ce titre il est très difficile de connaître l'opinion commune sur le travail.
Il semble que les opinions soient
aujourd'hui très divergentes, et on assiste sans doute à une revalorisation du travail.
Est-ce à dire que nous revenons à une conception passé où le travail
représentait l'identité du travailleur ? C 'est cette idée quelque peu naïve qu'il faut éviter.
Le travail a tendance a redevenir fondamental mais en un tout
autre sens.
Enfin, il faut être très prudent, évoquer le passé pour affirmer que le travail a été dévalorisé est un argument politique très suspicieux qui vise à
remettre le travail au coeur de la société.
Il ne faut peut-être pas se réjouir et ne pas céder à l'opinion, à la doxa.
C 'est précisément le rôle de la philosophie
de parvenir à se maintenir dans une posture critique.
1.
Le travail n'a pas toujours était une valeur.
a)
Le travail n'a pas toujours était une valeur fondamentale même si depuis très longtemps les hommes ont dû travailler pour satisfaire leur
besoin, plutôt leur nouveau besoin.
En effet, il faut remarquer que le travail demeure nécessaire à une vie sociale.
Dans l'A ntiquité, le travail est une activité
aliénante.
L'homme libre est celui qui ne travaille pas.
A ristote, en effet, en reconnaissant à la fois que le travail était nécessaire pour vivre, et que le
citoyen ne devait pas travailler pour pouvoir s'occuper de le chose publique, ne pouvait que justifier l'esclavage.
P our
cela, il reconnaissait l'existence par nature d'hommes nés pour être esclaves et d'autres pour commander.
P ratiquement,
la dévalorisation du travail pouvait donner lieu à une humiliation des esclaves.
A Sparte, les hilotes travaillaient la terre
alors que les spartiates se contentaient d'acquérir l'art militaire, les spartiates humiliaient les ilotes qui travaillaient ; en
faisant usage de violence.
b)
A vec la chrétienté, le travail devient punition de Dieu.
Le travail vient du latin tripalium qui est un instrument
de torture.
En réalité, la souffrance devient expiatoire, mais le travail n'est pas une valeur, le noble ne travaille pas dans
la société féodale.
c)
Le travail n'acquiert de valeur qu'avec l'avènement du capitalisme.
Il a pu même se présenter comme le
ciment social par excellence.
Selon Durkheim, la division du travail permet à l'ensemble des travailleurs de prendre
conscience de leur dépendance.
2.
Le travail aliénant ou libérateur.
a)
En réalité, le travail ne devient une question essentielle qu'au XIXème siècle.
Il ne s'agit pas d'une réhabilitation du
travail comme s'il s'agirait d'une libération, mais d'un changement radical de la conception du travail.
Le travail devient
au coeur de toute réflexion politique.
C ela ne signifie pas que le travail soit une valeur unanimement partagée, au
contraire la valorisation extrême du travail entraîne sa critique.
D'un côté, le travail serait épanouissant et de l'autre
aliénant.
Marx, par exemple, défend l'idée selon laquelle le travail produisant quelque chose d'extérieur à l'individu est
aliénation, le travail « mortifie son corps et ruine son esprit.
».
b)
Il est nécessaire de remettre cela dans son contexte.
Le travail est au moment où écrit Marx d'une pénibilité
extrême.
Il correspond à une dureté qui n'aurait d'équivalent aujourd'hui que dans les pays pauvres.
Le travail est donc plus ou moins aliénant, comme il
peut être plus ou moins épanouissant.
c)
Le travail peut être considéré comme une nécessité.
C e sont alors les loisirs que le travail permet de s'offrir qui le justifient.
Le divertissement est la
contrepartie du travail.
Il suffit de constater dans quelques milieux de travail la récente apologie de la détente.
Il faut savoir se détendre, se divertir pour
bien travailler.
L'épanouissement au travail est sans doute quelque chose de très récent.
d)
C e qui est moins récent, c'est le travail comme structurant.
L'individu peut structurer son identité par le travail.
Par exemple, dans le milieu ouvrier, il y
a la fierté du travail bien accompli ou de travail qui a une utilité pour la société et non pas seulement pour soi.
Par ailleurs, le travail a pu être considéré
comme une libération par rapport à l'ordre naturel.
C ette valeur du travail n'existe plus car le travail a subi une mutation.
3.
La nouvelle valeur travail.
a)
Le travail est de nouveau une valeur considérée, mais dans un tout autre sens que son utilité : il participe d'un nouveau mythe de l'effort.
Si sa valeur
a changé, c'est que l'extrême flexibilité demandée aux travailleurs empêche le travail d'être structurant.
En outre, la visibilité de ce qui est produit en vue du
bien-être a complètement disparu.
b)
La valeur du travail est aujourd'hui lié à l'individualisme.
Je fais un travail quel qu'il soit, cela n'a pas vraiment d'importance, c'est ce travail qui me
donne ce que j'ai « mérité ».
T out ce que je possède, et donc tout ce que je suis, dans une société qui confond l'être et l'avoir ,je le dois à mon travail.
On
peut penser par exemple à l'argument typiquement américain « I do my job », aussi bien prononcé par un maçon qu'un soldat américain.
c)
La valeur du travail est aujourd'hui très puissante, davantage peut être qu'elle ne l'a jamais été.
L'image de celui qui ne travaille pas est
extrêmement dévalorisante.
Conclusion
C 'est cette valeur du travail, qui devient aujourd'hui fondamentale, qui laisse de côté la fin sociale du travail qui est de vivre et rendre possible un temps
pour d'autre chose, pour du bien vivre ( ce qui n'est pas le divertissement).
Toute la valeur du travailleur risque de se fonder sur le rejet de celui qui ne
travaille pas.
Mais ce retour de la valeur du travail dans les discours masque en vérité une souffrance au travail.
Si le travail épanouissait, on n'expliquerait
pas la nécessité de le valoriser.
Ainsi, peut-on finalement reprendre le fil de la question auquel nous aurions voulu répondre le contraire, c'est-à-dire que le
travail a plus de valeur qu'avant.
On peut affirmer qu'en effet le travail a perdu ce qui faisait peut-être sa vraie valeur, permettre de dégager du temps libre
pour que les individus se cultivent, pour qu'ils réalisent des activités qui ont rapport avec le bien vivre et non pas seulement le survivre (l'école par exemple
est possible par le travail des autres) .
Néanmoins, cela ne doit pas être du temps libre que pour quelques uns qui conduit à une dévalorisation du travail
(exemple de la Grèce antique)..
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