Peut-on faire confiance à la technique ?
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«
La confiance est le sentiment qui fait qu'on se fie à quelqu'un ou à quelque chose.
Parler de confiance en la technique c'est souligner que l'on peut avoir raison de croire en la technique pour
trouver des solutions aux problèmes que l'on rencontre.
Ici, vous pouvez penser aux analyses de Descartes dans le Discours de la méthode lorsqu'il montre que grâce aux progrès de la science
et de la technique l'homme va pouvoir se rendre « comme maître et possesseur de la nature ».
La technique apparaît ainsi comme ce qui va pouvoir permettre de vaincre la maladie, de
vaincre une certaine soumission au monde et de combattre ce qui peut faire le malheur des hommes.
On peut d'ailleurs montrer en quoi la technique a pu avoir ces effets sur l'humanité ou
tout au moins une partie, ceux qui peuvent en bénéficier.
Pourtant, la technique ne peut-elle pas représenter certains dangers ? Ici, il faudrait revenir sur la notion de confiance.
Vous pouvez,
par exemple, vous demander si la technique ne peut pas aussi être source de destructions.
Vous pouvez penser, comme nous l'indiquons plus précisément dans les sujets qui suivent au mythe
de Frankenstein qui croyait que la technique allait lui permettre de dépasser la maladie et la mort.
Il faut donc alors s'interroger sur les rapports que nous devons entretenir avec la technique.
Faut-il avoir confiance ou la redouter, s'en méfier ? En dernière instance, vous pouvez vous demander si ça n'est pas plutôt les usages que nous faisons de la technique qu'il faut interroger.
En
d'autres termes, est-ce vraiment de la technique qu'il y a des choses à redouter ou des hommes et de l'usage qu'ils en font ? Ici, vous pouvez vous demander alors si le développement
technique n'exige pas une réflexion morale.
Cette question sous-entend que la technique peut comporter des dangers, des vices cachés qu'il faut maîtriser.
Faire confiance à la technique, c'est lui donner la capacité d'améliorer la vie
humaine, de donner à l'humanité la possibilité de s'améliorer moralement, de progresser socialement.
Aussi cette idée semble bien plus défendable, car on comprend aisément que la technique
puisse réellement améliorer la vie humaine.
La confiance aveugle dans la technique n'est-elle pas le véritable danger ? Notre rapport à la technique devra être un mixte de confiance et de
méfiance vis-à-vis de la technique.
1)Il faut craindre les conséquences de la technique.
Selon Hans Jonas dans le Principe La technique a transformé en profondeur l'essence de l'agir humain.
La technique a considérablement augmentée la portée de l'agir humain.
La portée
causale déborde tout ce que l'on a connu autrefois.
La promesse technique s'est transformée en menace, ce que l'homme pourra faire à l'avenir n'a pas d'équivalence par le passé.
Elle a fait
apparaître de nouveaux devoirs.
L'éthique antique est inopérante à l'heure de la technique.
Aujourd'hui, les conséquences de certains actes ne seront visibles que dans quelques centaines
d'années.
L'exemple de la pollution, de la surexploitation des ressources forestières, des pêches abusives, de la disparition des déchets nucléaires) .Aussi tous nos pronostics à long terme sont
incertains.
Le principe responsabilité voudra donc que l'on favorise les hypothèses pessimistes au profit des hypothèses optimistes.
Le mal est toujours certain.
Le principe responsabilité dit
« Agis de telle façon que les effets de ton action soient compatible avec la permanence d'une vie authentiquement humaine sur terre.
» Il s'agit d'un droit à l'existence d'une vie pas encore
actuelle.
Ce principe est programmatique, il vise quelque chose qui ne s'est pas encore produit.
L'homme s'est vu remettre une essence, il en est responsable.
Il faut donc une prescience, une
anticipation.
Il faut une métaphysique que n'a pas encore la science.
Le principe responsabilité pressent l'impossible, il veut le limiter.
Il doit aller au devant des abus.
Tous les possibles
demeurent une fois que l'action s'est produite.
Il faut que les conséquences des actions soient voulues.
Il faut pour cela que des principes soient voulus pour que les conséquences soient
voulues.
Il faut donner à l'agir humain une dimension de volonté et qu'elle soit au principe de ses réalisations.
Car la réalité humaine correspond à quelque chose de non- voulu.
L'agir a pris
des dimensions cosmologique.
La menace des civilisations technologiques repose sur l'idée que la technologie domine aussi l'homme comme elle domine la nature.
C'est l'étant dans sa totalité
qui est menacé.
On ne peut faire confiance à la technique dans la mesure où ses conséquences nous menacent directement.
Faire confiance aveuglément à la technique est une attitude
dangereuse pour l'homme en général.
2) Des craintes légitimes.
Selon Martin Heidegger dans la question de la technique dans Essais et conférences : « Elle aussi est un dévoilement.
C'est seulement lorsque nous arrêtons notre regard sur ce trait
fondamental que ce qu'il y a de nouveau dans la technique moderne se montre à nous.
Le dévoilement, cependant, qui régit la technique moderne ne se déploie pas en une production au sens de la poiesis.
Le dévoilement qui régit la
technique moderne est une provocation par laquelle la nature est mise en demeure de livrer une énergie qui puisse comme telle être extraite et
accumulée.
» C'est ce qu'il appelle l'arraisonnement du monde.
Cet arraisonnement n'a rien en vérité de technique.
Il fait la différence entre le commettre
et le dévoilement.
Cet arraisonnement entrave le véritable dévoilement qui n'est possible en définitive qu'avec l'art.
La technique provoque la nature, Un
paysan par exemple en labourant sa terre ne la provoque pas.
Il n'y a plus d'accord entre l'homme et la terre, il doit la transformer pour en tirer une
énergie, une matière qui ne se trouve pas comme telle disponible.
Construire un barrage, une carrière de minerais, une centrale nucléaire est une
provocation.
Aussi le travail du paysan sera dit proche de la nature, et la technique moderne éloigne l'homme de la nature en vérité puisque l'homme
cherche à en outrepasser les limites, à la dépasser, à en retirer quelque chose qu'elle ne donne pas naturellement.
On comprend que ce n'est pas tant pas
la technique qui est à craindre mais tout simplement l'idéologie, le projet qui conduit la technique.
Il n' y a pas de neutralité de la technique pour cette
cause.
Mais en soi, qu'y a-t-il à craindre d'une technique bien orientée ou utilisée à bon escient ? Dans ce cadre, si la technique est orientée vers des buts
louables, il faut lui faire confiance pour l'édification du progrès humain.
Les craintes suscitées par la technique sont légitimes mais elles ne peuvent régir
entièrement notre rapport à celle-ci.
La technique peut donc se retourner contre la nature après en être issue et constituer un danger pour elle, et ce en un sens qui n'est pas exclusivement
matériel, mais qui est aussi spirituel.
Dans son analyse de la technique, Heidegger, très au-delà de la bonne conscience écologique, met en lumière une
certaine relation d' « arraisonnement » : à force de vouloir se rendre « maître et possesseur de la nature », comme le disait Descartes, l'homme met,
selon la riche métaphore heideggerienne, la nature « à la raison » : Heidegger parle aussi d' « arraisonnement » , comme si la technique abordait la
nature en pirate ; Qu'est-ce à dire ? Dans sa conférence titrée « La question de la technique », Heidegger part de la question suivante : « quelle est
donc l'essence de la technique moderne pour que celle-(ci puisse s'aviser d'utiliser les sciences exactes de la nature ? » Pour répondre à cette question, il
faut inverser le rapport traditionnel entre science et technique.
En apparence, la technique suit les sciences exactes de la nature ; en réalité, la relation est
presque inverse : c'est l'application technique qui renforce un certain aspect de ces sciences naturelles : « La physique moderne n'est pas une physique
expérimentale parce qu'elle applique à la nature des appareils pour l'interroger, mais inversement : c'est parce que la physique –et déjà comme pure théorie- met la nature en
demeure de se montrer comme un complexe calculable et prévisible de forces que l'expérimentation est commise à l'interroger », ajoute Heidegger.
Et peut-être en effet peut-on
aller jusqu'à dire que lorsque la science travaille, elle a déjà en vue les applications techniques, qui peut-être alors l'orientent dans ses travaux : c'est bien ce que veut dire
Heidegger quand il dit que c'est pour appliquer son « questionnement », sa mise à la question, que la physique est expérimentale.
La technique humaine, explique-t-il plus largement, accomplit un destin remontant à la philosophie grecque et au nom duquel elle organise la nature en objet : ce faisant,
l'homme viole et épuise un certain « fonds », non pas celui des réserves quantitatives de minéraux, mais celui d'une réserve de dévoilement et d'étonnement.
est-il d'ailleurs si faux
que notre rapport à la nature soit devenu à ce point médiatisé par la technique que nous ayons du mal à voir ce qu'est la nature ? Bref, c'est cet enjeu de la technique qui, aux yeux
de Heidegger, illustre le mieux l'oubli de l'Etre dont il veut se faire le penseur.
Mais, dire que la technique contribue à l'oubli de l'Etre, ce n'est certes pas le rejeter en tant que
telle : ce serait un grand contresens que de voir pour autant chez Heidegger une diabolisation ou un refus de la technique.
« Nous pouvons utiliser les objets techniques et nous en servir normalement, mais en même temps, nous en libérer, de sorte qu'à tout moment nous conservions nos
distances à leur égard.
Nous pouvons faire usage des objets techniques comme il faut qu'on en use.
Mais nous pouvons, du même coup, les laisser à eux-mêmes comme ne
nous atteignant pas dans ce que nous avons de plus intime et de plus propre.
Nous pouvons dire « oui » à l'emploi indispensable des objets techniques et nous pouvons en
même temps lui dire « non », en ce sens que nous les empêchions de nous accaparer et ainsi de fausser, brouiller et finalement vider notre être.
Mais si nous disons ainsi à la
fois « oui » et « non » aux objets techniques, notre rapport au monde technique ne devient-il pas ambigu et incertain ? Tout au contraire.
Notre rapport au monde technique,
devient d'une façon merveilleuse, simple et paisible.
»
Heidegger.
Pour Heidegger, le phénomène fondamental des Temps modernes est la technique dont la science n'est qu'une des multiples facettes.
La technique n' ajs simplement chez
lui un sens étroitement technologique, mais a une signification métaphysique et caractérise le type de rapport que l'homme moderne entretient avec le monde qui l'entoure.
la
position fondamentale des Temps modernes, « n'est pas technique parce qu'on y trouve des machines à vapeur, bientôt suivie du moteur à explosion.
Au contraire des choses
de ce genre s'y trouvent parce que cette époque est l'époque technique ».
On se représente traditionnellement la technique comme la mise en oeuvre de procédés pour obtenir un résultat déterminé.
La technique est une activité humaine consistant
dans la fabrication et dans l'utilisation d'instruments ou de machines répondant aux besoins de l'homme.
Selon cette façon banale de voir, les installations techniques
modernes ne seraient pas essentiellement différentes des installations techniques artisanales ni même des outils employés dans les anciens métiers.
Elles permettraient
simplement d'obtenir avec une rapidité et une efficacité sans cesse accrues ce qui demandait autrefois de longs efforts ou était même hors de portée de l'homme.
Cette
représentation instrumentale de la technique est bien exacte mais elle n'est pas pour autant vraie c'est-à-dire ne nous révèle pas encore l'essence de la technique.
Elle tend
en outre à nous laisser croire que la technique moderne serait quelque chose que l'homme aurait à sa disposition et dont il pourrait se rendre maître.
« Le dévoilement qui régit la technique moderne est une provocation par laquelle la nature est mise en demeure de livrer une énergie qui comme telle puisse ê extraite et
accumulée ».
L'interrupteur électrique, objet technique fait venir la lumière, la dévoile, mais ce dévoilement, loin de signifier le surgissement ou le jaillissement de l'être, est
une sommation à comparaître.
De la même façon, la centrale électrique met le fleuve en demeure de livrer sa pression hydraulique, qui met elle-même en demeure les
turbines de tourner qui mettent elles-mêmes le courant électrique en demeure de circuler.
L'industrie extractive met le sol en demeure de livrer le charbon qu'il recèle.
L'agriculture moderne met la nature en demeure de produire les fruits qu'elle porte en elle.
Heidegger caractérise cette essence provoquante de la technique par le terme « Das Gestell », auquel il donne une signification inédite, celle d'arraisonnement.
« Gestell :
ainsi appelons nous le rassemblement de cette interpellation qui requiert l'homme, c'est-à-dire qui le provoque à dévoiler le réel comme fonds dans la mode du commettre.
Ainsi appelons- nous le dévoilement qui régit l'essence de la technique et qui n'est lui-même rien de technique ».
La technique moderne, en tant que « Gestell », ne règne pas
seulement là où l'on utilise des machines, même si ces dernières jouissent « d'une situation privilégiée...
fondée sur la priorité accordée à tout ce qui est matériel, c'est-à-dire
supposé élémentaire et objectif au premier chef », mais « englobe tous les secteurs de l'étant ».
La science moderne, en particulier, à travers le projet mathématique de la
nature, met la nature matérielle en demeure de se montrer comme un complexe calculable de forces, et est ,de ce point de vue, régie de part en part par l'essence de la
technique.
Dans l'horizon du comportement provoquant, l'homme n'a plus affaire à des objets, mais considère tout ce qui est dans une perspective utilitaire comme un fonds disponible :
« Tout (l'étant dans sa totalité) prend place d'emblée dans l'horizon de l'utilité, du commandement, ou mieux encore de celle du commanditement de ce dont il faut
s'emparer...
Plus rien ne peut apparaître dans la neutralité objective d'un face à face.
Il n'y a plus que [...] des stocks, des réserves, des fonds .
» Dans ce vaste fonds que
sont la nature et le monde en général, l'homme lui-même, la plus importante des matières premières, devient un fonds dont il faut s'assurer de la disponibilité...
L'exploitation de l'étant ne s'effectue pas au hasard, mais de façon méthodique, selon des plans.
L'exploitation de l'étant ne s'effectue pas au hasard mais de façon méthodique, selon des plans.
La planification n'a pas simplement pour objet de prévoir et de prévenir les
besoins futurs de l'humanité, mais bien plutôt d'organiser, de mettre en ordre ce qui est afin d'en garantir la disponibilité.
La mise en ordre de l'étant est une des composantes
essentielles du processus d'exploitation de la nature, car elle est la condition de possibilité de sa réussite, c'est-à-dire de son développement.
Cette planification à outrance, ce dirigisme qui règne sur tous les districts de l'étant, ne veut pas dire pour autant que l'homme serait le maître ni même l'organisateur de ce
processus d'exploitation planétaire.
Loin d'être entre les mains de l'homme, la technique, en tant qu'arraisonnement, tient l'homme en son pouvoir.
: « ...
il y a longtemps que
les puissances qui, en tout lieu et à toute heure, sous quelque forme d'outillage que ce soit, accaparent et pressent l'homme, le limitent et l'entraînent, il y a longtemps que
ces puissances ont débordé la volonté et le contrôle de l'homme, parce qu'elles ne procèdent pas de lui ».
L'homme n'est pas le sujet mais le « fonctionnaire » de la
technique.
Les dirigeants, les technocrates, contre l'arbitraire desquels il est devenu monnaie courante de s'indigner, ne sont eux-mêmes que les « ouvriers » requis pour
mettre en sûreté la totalité de l'étant et qui ont reçu pouvoir de décision pour cela.
De plus, la technique suscite elle-même les besoins qui vont lui permettre d'accroître sa domination.
Il serait illusoire de croire, en particulier, que les avancées technologiques
travailleraient à l'avènement d'une vie plus heureuse sur cette terre.
Cette croyance est cependant soigneusement entretenue, car elle permet de justifier la poursuite de
l'exploitation organisée de l'étant..
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