Peut-on exiger de l’artiste un autre engagement que celui de produire des oeuvres d’art ?
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Un artiste se réduit-il à produire des œuvres d'art ou peut-il créer sous d'autres formes.
Par exemple réaliser des actions, des happenings, des œuvres
éphémères, des objets fabriqués en série, des textes politiques, avoir une vie originale comparable à une œuvre d'art ? On connaît des artistes engagés qui
ont mêlés leurs destinées à des combats politiques comme Sartre, Aragon, Merleau-Ponty.
Mais est-ce dans la nature de l'artiste de faire ceci ? Quels
peuvent être les buts de l'artiste ? C es buts annexes sont-ils encore de l'art ?
1) L'expression par les œuvres d'art.
La fonction expressive de l'art comme acte de communication avec le monde et la valeur de reflet des transformations sociales et morales est importante.
L'art a donc un rôle à la fois personnel et universel.
Il permet à l'individu de s'exprimer, il a aussi une fonction sociale.
C ela serait même la fonction de l'art
que d'ouvrir des espaces où s'autorégulent les émotions et les sentiments.
Elle permet et évite toute effusion trop irrationnelle de la subjectivité, elle
permet de traduire en un langage compréhensible par plus d'individus que le seul artiste.
Il faut trouver un compromis entre le désir d'expression personnel
et la société.
Jean Dubuffet, artiste de l'art brut écrit : « Il n'y a pas plus d'art des fous que d'art des dyspeptiques ou des malades du genou ».
La fonction
d'art étant partout la même, chez l'aliéné comme chez l'individu réputé normal, encore que chez ce dernier elle trouve rarement à s'exercer hors de toute
contrainte sociale et sans référence à quelque règle ou modèle culturel que ce soit, libre cours étant laissé à une impulsion, à une nécessité qui ne saurait
se satisfaire que des inventions les plus personnelles, les moins prévisibles.
2) L'engagement se trouve dans les œuvres d'art.
L'art moderne se donne un point de vue extérieur et une position critique à l'égard de toute culture de privilège : à la fonction idéologique de l'art classique,
elle tente de substituer une fonction de l'art qui soit réellement critique dans l'ordre culturel des rapports sociaux.
L'art étant entré dans l'air de la
consommation, l'art doit se démarquer de la production industrielle.
Dès la fin du 19 e siècle, l'art a eu pour fonction d'embellir les productions de l'industrie,
l'Art Nouveau précurseur du design a tenté de contrer le cours inéluctable du progrès technique.
La lutte contre l'uniformisation, la standardisation se
retrouve jusque dans le pop art des années 1960.
L'art contemporain tend à faire tourner les regards vers des faits de société, vers les marges, et tend à la
provocation.
Les happenings, l'art corporel, l'art brut ont une charge de contestation importante.
C 'est aussi l'idée de contre-culture qui s'est formé autour
de la Beat Generation, le rock, la culture hippie se place à l'opposé de la société de consommation.
On ne peut pas dire que l'art contemporain ne s'intéresse
pas à la société, qu'il refuse de traiter ses problèmes en s'enfermant dans un pur amour des formes.
3) La transformation de la notion d'œuvre d'art.
On peut se demander si l'œuvre d'art n'a pas aujourd'hui pour irrévocable destin d'être impossible, démantelée, anéantie dans un pseudo- savoir.
On peut
penser néanmoins que le concept d'œuvre peut survivre à ces réflexions, comme la réalité de l'œuvre survit à ces pratiques.
Non qu'il faille faire machine
arrière : l'œuvre aujourd'hui n'est plus, ne peut plus être ce qu'elle a été ; les mutations de la pratique artistique évoquées précédemment sont irrécusables,
et elles ont produit un changement tout aussi décisif du sens et de la fonction de l'art.
Mais il n'est pas sûr pour autant que la philosophie doive proclamer la
mort de l'œuvre : reste l'opération, individuelle ou collective, et souvent le produit de cette opération, attestés par une expérience qu'il faut bien encore
spécifier comme esthétique.
L'œuvre n'est pas nécessairement objet, comme la statue ou le monument.
Ne peut-elle aussi être événement ? Au vrai,
l'œuvre a toujours été solidaire de l'événement : si elle s'accomplit comme objet esthétique, c'est dans l'événement de l'exécution, de la représentation, de
la lecture, du regard ; sa vérité ne vient au jour que dans l'instant ou elle est jouée, où le sensible se recueille dans une conscience.
Et c'est bien pourquoi il
faut souhaiter et vouloir que l'art sorte des musées et investisse l'ambiance de la vie quotidienne.
Mais si, dans l'épiphanie de l'œuvre, l'avènement de
l'objet esthétique est événement, peut-on dire que l'événement soit œuvre ? Oui, dans la mesure où cet événement est opération, c'est-à-dire où ce qui
advient – le feu d'artifice, la danse, tout ce qui est happening – suppose un ouvrier, l'exécutant lui-même, le spectateur qui est acteur, parfois un maître
d'œuvre.
Sans doute, l'œuvre improvisée ne laisse pas de traces, sinon dans la mémoire des participants ; mais la vérité de l'œuvre est dans l'expérience de
sa présence, et non dans ce qui rend cette expérience répétable, dans toutes les techniques, à commencer par l'écriture, par lesquelles les hommes relaient
leur fragile mémoire, même s'il leur importe de garder une trace.
Si surprenants, si bâclés, si violents, si éphémères que soient les produits de l'opération, il
y a œuvre – entendons, encore une fois, œuvre d'art – si et seulement si ce produit sollicite le goût (et même s'il sollicite aussi l'intelligence, l'imagination
ou l'affectivité), autrement dit si l'œuvre aspire toujours à être chef-d'œuvre.
Car l'idée de chef-d'œuvre, si désuet que soit le mot aujourd'hui, n'est pas
irrémédiablement compromise par l'usage à la fois autoritaire et sélectif que certains régimes en ont fait : le faire ne récuse pas la norme du bien- faire, et le
goût ne perd pas ses droits, même quand il les exerce sur de nouveaux objets et selon de nouveaux critères.
4) Ils peuvent faire de leur propre existence une œuvre d'art.
Les artistes romantiques laissèrent peu à peu la place à un type nouveau d'individu qui est l'esthète.
L'esthète est un artiste infiniment plus raffiné, qui
donne à l'art une place essentielle dans sa vie et dans sa conception du monde.
C'est bien plus qu'un praticien, au point qu'il peut se passer de toute
pratique artistique, devenant lui-même pur « goûteur » des « choses de l'art ».
Le XIX e siècle a engendré des individus qui ne vivent que pour l'art et qui se
sont coupés de la réalité.
Ils ont demandé dès lors à l'art d'être de plus en plus sophistiqué pour répondre à toutes leurs attentes qui sont restées dans le
domaine de la rêverie.
Ce raffinement décadent de l'esthétisme, qui a trouvé son expression littéraire dans le personnage de Des Esseintes chez Huysmans
(À rebours, 1884) n'a pas été sans influencer le mouvement même des arts.
En protégeant et en encourageant les recherches destinées à satisfaire les
goûts les plus délicats et les plus blasés, l'esthétisme a favorisé l'éclosion des créations rares à la fin du siècle, notamment dans le domaine des arts du
décor (mobilier, céramique, tissu, vitrail, etc.) .
Les principaux artisans de l'Art nouveau, Gallé notamment, que Montesquiou admirait, lui doivent beaucoup,
de même que les plus ésotériques ou les plus précieux des peintres symbolistes.
Cette recherche continue d'un art toujours plus élaboré et original, a
débouché sur le kitsch fin de siècle de l'éclectisme outrancier, sur un kitsch baroque et assez luxueux.
Le dandysme est une réponse à l'uniformité de la vie
moderne en montrant l'éclat de ce qu'il reste d'héroïsme dans la décadence.
Il soulignera par là l'importance du maquillage chez la femme, de la toilette, et la volonté
de rompre avec la monotonie au risque du mauvais goût.
Des dandys comme Oscar Wilde n'hésitent pas à mettre des costumes violets assez kitsch pour se faire
remarquer tout en ne s'étonnant de rien.
Le refus de la médiocrité passera par la provocation et l'étrange.
Le dandysme sera une tentative désespérée de sauver
les restes d'un passé glorieux où les aristocrates avaient une vie essentiellement faite de loisirs, de flâneries et de dîners mondains.
Baudelaire a une
pensée résolument moderne et antiacadémique, mais il ne s'y abandonne pas totalement, car il reste en retrait par rapport à elle en voulant fonder une
esthétique propre à son époque.
Conclusion.
On peut demander certes demander à un artiste de faire autre chose que des œuvres d'art mais le plus souvent ce ne sont plus des œuvres d'art, ce sont
des actes politiques ou sociaux.
Mais l'artiste n'est obligé à rien, ce qui le caractérise c'est la liberté.
Il n'est engagé en rien auprès des spectateurs ou des
lecteurs, et on ne peut donc rien exiger d'eux.
L'art contemporain a remis en question la notion même d'œuvre d'art, l'artiste crée désormais des
événements, des happenings, des objets éphémères, des vidéos, des œuvres faites de lumières qui n'ont plus rien de matériel..
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