Peut-on être objectif envers soi-même ?
Extrait du document
Peut-on être objectif envers soi-même ?
«
S’interroger sur la possibilité d’un jugement objectif sur soi-même, c’est poser la question de la valeur de vérité de
ce jugement.
En effet l’objectivité suppose une distance et une neutralité grâce auxquelles la conscience ne
transforme pas à sa guise la réalité.
L’astronome qui cherche à connaître la position et la distance d’une étoile fait
taire sa subjectivité au profit de l’objectivité des calculs mathématiques et des lois de l’astrophysique.
Peut-on être pour soi-même un tel objet de connaissance ? Le fait même que le sujet porte un jugement, non sur un
objet extérieur comme c’est le cas de l’astronome, mais sur lui-même semble interdire toute objectivité.
Ne suis-je
pas en effet le plus mal placé pour me connaître en toute impartialité ? Cela nous conduit à considérer le problème
dont il est question ici.
La conscience serait donc à la fois la condition de possibilité de la connaissance du réel et
ce qui interdit la connaissance objective de soi.
Il sera question de se demander si le moi peut répondre aux conditions de l’objectivité que nous aurons rappelées.
N’est-ce pas illusoire de penser que le sujet pourrait s’appréhender de façon objective comme un objet de
connaissance ? La vérité sur le sujet ne doit-elle pas passer par un médiateur impartial ? Nous nous demanderons
dans un dernier temps si l’échec de connaissance objective de soi ne signifie pas que les vérités du sujet sont
proprement subjectives.
Un jugement objectif est l’affirmation neutre d’un sujet à propos d’un objet.
L’esprit qui ne voit pas les choses telles
qu’elles sont mais en étant influencé par ses préférences ou ses habitudes n’est pas objectif.
Le sujet peut se
prendre lui-même comme objet.
Il peut se représenter son moi tout comme il se représente le monde extérieur.
Cette réflexivité lui vient de sa conscience qui est une fenêtre sur le monde et sur lui-même.
Elle suppose une
distance à soi et à ce qui nous entoure.
Si nous entretenions une relation fusionnelle avec nous-mêmes au sens ou
nous coïnciderions parfaitement avec notre être, la distance nécessaire à l’objectivité n’existerait pas.
Le propre de
l’ « existence » est de « se tenir hors de soi ».
Grâce à cette conscience de soi ou conscience réfléchie, le sujet
peut avoir une image de lui-même comme s’il se regardait dans un miroir.
« Réfléchir » c’est étymologiquement « voir
son reflet ».
Je peux en effet me décrire comme le ferait autrui.
Ce n’est pas un problème d’objectivité mais
d’honnêteté intellectuelle.
Je sais très bien qui je suis mais il est en mon pouvoir de mentir sur ma réalité.
Est objectif ce qui est valable universellement et non pour moi seul.
Kant soutient que l’objectivité est garantie du
fait que les structures de l’esprit humain sont universelles.
Notre identité duelle telle que l’a pensée Sartre dans
L’Être et le néant permet au moi sujet de penser de façon objective le moi objet qui se présente à travers des
caractéristiques physiques.
Je peux prendre sur moi « le point de vue d’autrui ».
Le Je transcendantal peut regarder
à la façon d’une conscience extérieure et impartiale la dimension objective et immanente du moi.
Mon corps
appartient en effet à la réalité physique et s’appréhende comme un objet dans le monde.
Je suis objectif envers
moi-même quand je donne mon poids, ma taille, la couleur de mes yeux ou de mes cheveux car ces données sont
valables indépendamment de l’énonciateur en l’occurrence de moi.
L’objectivité est le critère de la vérité.
Est vrai le jugement qui reflète la réalité sans la déformer ni l’inventer.
Si je
peux donner en toute objectivité mes caractéristiques physiques, en est-il de même de mon for intérieur ? Puis-je
énoncer des propositions aussi universelles sur mon caractère ? L’idée que la subjectivité puisse être son propre
objet est la vérité première de la philosophie de Descartes.
Il montre dans son cogito que la conscience est une
réalité objective (une chose pensante) qu’elle saisit elle-même en toute certitude.
La méditation cartésienne débute
par le rejet de l’idée d’objectivité face aux choses et au monde.
Il est possible que la connaissance soit une illusion.
Toutefois, quand bien même notre objectivité serait une chimère une vérité demeurerait : le Moi qui doute est hors
de toute.
Le jugement « je suis une chose qui pense » est « nécessairement vrai ».
L’existence de ma conscience
est donc une vérité indubitable et objective.
L’idée d’objectivité se heurte à la subjectivité du sujet qui ne saurait jamais être totalement à distance de lui-même.
Il est en effet plus facile de connaître l’existence de ma conscience que sa profonde nature.
Comment savoir si ce
que je pense et ce que je dis de moi n’est pas une illusion sur moi ? La connaissance de soi peut-elle être
objective ?
L’observation méthodique du sujet par lui-même semble être un chemin vers la connaissance de soi.
L’introspection
a été nourrie en effet dans la littérature par le souci de livrer des vérités sur soi.
Montaigne prétend dans ses Essais
lire en lui comme dans un livre ouvert qui n’aurait aucun secret pour sa conscience.
Dans cette analyse de soi
l’auteur et le sujet du livre se confondent.
Se représenter pour les autres conduit à une meilleure connaissance de
soi.
Au chapitre 18 du livre II des Essais Montaigne présente cette idée à travers l’image de la peinture : « Me
peignant pour autrui, je me suis peint en moi des couleurs plus nettes que n’étaient les miennes premières ».
Le
récit de soi permet de s’atteindre en toute objectivité.
L’observation de soi qui est à la fois précise et profonde
aurait tout de l’observation minutieuse du scientifique derrière un microscope.
L’écriture de soi permet d’après
Montaigne d’analyser ses rêveries et de mener une existence lucide sur elle-même.
Ce désir d’échapper à la prison de la subjectivité par soi-même est une illusion.
L’idée même qu’un sujet puisse se
considérer de façon neutre et impartial comme un objet d’étude est paradoxale.
Nietzsche voit dans l’introspection
une façon pour le sujet de justifier ce qu’il ignore en réalité.
« Je sais que je ne sais rien de moi » dit-il.
Son discours
sur lui-même est une interprétation qui le maintient dans une illusion vitale.
La vérité de nos profonds instincts nous
ferait trop peur.
Les Confessions de Rousseau marquent cette difficulté de la transparence totale de soi envers soi.
Rousseau en appelle parfois à l’indulgence de son lecteur signe qu’il est extrêmement pénible pour le sujet de
regarder ses vérités en face.
Comme l’a montré Kant dans la Critique de la raison pure nous appréhendons
nécessairement le monde et nous-mêmes à travers les lunettes déformantes de notre subjectivité.
Nous ne pouvons
pas connaître objectivement les choses c'est-à-dire leur réalité indépendamment de la perception que nous en
avons.
La chose en soi est inconnaissable.
Ainsi imaginer que l’on puisse saisir notre moi en toute objectivité est une
croyance infondée..
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Le bonheur est-il un objectif de l’État ?
- Philippe Audoin écrit dans son ouvrage sur Breton (1970) : «Breton assignait au surréalisme l'objectif - suspect aux politiques comme aux philosophes - de contribuer à la formation d'un nouveau mythe. Il ne s'agissait certes pas d'agencer de toutes pièce
- La possibilité de la discussion sur les goûts se fonde-t-elle sur un principe objectif ?
- l'historien peut-il être objectif ?
- L'historien est-il objectif?