Peut-on etre méchant et libre ?
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«
Introduction
-Etre méchant, c'est faire un acte mauvais en ayant conscience, et en se délectant d'accomplir un acte tel : par
ex.
l'épisode du larcin, chez saint Augustin, dans ses Confessions.
-La liberté, c'est avoir une volonté indépendante par rapport aux sollicitations sensibles extérieures, souvent
identifiées à la source du mal.
-La méchanceté constitue ainsi, apparemment, l'opposé exact de la liberté : or, n'est-ce pas faire acte de liberté,
que d'agir différemment de ce que l'on sait être mauvais, alors même que notre volonté incline naturellement à
réaliser le bien ? N'est-ce pas plutôt le mal qui permet à l'homme d'exercer à plein sa liberté ? Ou bien la liberté estelle indifférente à toute considération morale, fondant elle-même toute moralité possible dans son rapport à ellemême ?
I.
Etre méchant, c'est être esclave de ses passions (Platon)
-Etre méchant envers autrui, c'est ne pas avoir de contrôle sur soi : la faculté inférieure de l'âme, celle des
passions, n'est plus dirigée par la faculté supérieure, celle de l'intelligence (cf.
théorie de l'âme, République, IV).
-Exemple d'un tyran méchant, Archélaos de Macédoine, totalement soumis à ses passions, qui finiront par se
retourner contre lui : la méchanceté, non seulement constitue l'inverse de la liberté, mais elle constitue de plus un
obstacle au bonheur (Gorgias).
Aussi, Platon dira-t-il que :
« Nul n'est méchant volontairement ».
Cette thèse
surprenante de prime abord doit être reliée aux deux autres : « Commettre l'injustice
est pire que la subir » ; « Quand on est coupable il est pire de n'être pas puni que de
l'être ».
L'injustice est un vice, une maladie de l'âme, c'est pourquoi, nul ne peut
vraiment la vouloir (on ne peut vouloir être malade), et la punition, qui est comparable à
la médecine, est bénéfique à celui qui la subit.
L'attitude commune face à la justice est résumée par Polos dans « Gorgias » et
Glaucon au livre 2 de la « République ».
Les hommes souhaiteraient être toutpuissants et pouvoir commettre n'importe quelle injustice pour satisfaire leurs désirs.
Il
vaut donc mieux, selon eux, commettre l'injustice que la subir.
Cependant, comme subir
l'injustice cause plus de dommage que la commettre de bien, les hommes se sont mis
d'accord pour faire des lois en vue de leur commune conservation.
Nous ne sommes
donc justes, en vérité, que par peur du châtiment.
Si nous pouvions être injustes en
toute impunité, comme Gygès qui possède un anneau le rendant invisible, nous agirions
comme lui : nous ne reculerions devant aucune infamie pour nous emparer du pouvoir,
devenir tyran.
Bref, nous serions injustes pour satisfaire nos désirs.
Platon réfute inlassablement cette thèse, cette hypocrisie qui consiste à ne vouloir que l'apparence de la justice,
l'impunité, pour pouvoir accomplir n'importe quelle injustice.
Le nerf de l'argument consiste à montrer que, en réalité, « Commettre l'injustice est pire que la subir ».
C'est par
une ignorance du bien réel que les hommes souhaitent pouvoir être injustes.
Parce que nous confondons le bien
apparent (le plaisir, la satisfaction immédiate des désirs les plus déréglés) avec le bien réel, la santé de l'âme.
Nous
croyons vouloir commettre l'injustice, alors que c'est impossible, que « nul n'est méchant volontairement », parce
que nous voulons.
Etre injuste est faire son malheur en croyant se faire plaisir.
L'antagonisme entre le point de vue habituel et la position de Socrate est magnifiquement exposé par le débat entre
Calliclès et Socrate, dans le « Gorgias ».
Calliclès prétend : « Voici, si l'on veut vivre comme il faut, on doit
laisser aller ses propres passions, si grandes soient-elles, et ne pas les réprimer .
» Socrate pense, lui, que l'accès
au bonheur, au Bien, « cela veut dire être raisonnable, se dominer, commander aux plaisirs et aux passions qui
résident en soi-même ».
Pour tenter de réfuter Calliclès, Socrate lui montrera que son idéal de mode de vie ressemble bien à une
« passoire ».
L'intempérance consiste à accumuler des plaisirs qui n'ont aucune consistance, à ne pas savoir se
mesurer, se satisfaire, mais au contraire à être habité par des désirs tels que pour les combler il faut « s'infliger les
plus dures peines ».
L'erreur fondamentale de Calliclès est de confondre l'agréable et le bon, de confondre la
démesure des désirs déréglés et irrationnels avec l'équilibre de la satisfaction véritable.
C'est que l'injustice est une maladie de l'âme, et plus précisément encore la subversion d'un ordre.
Le magnifique
mythe de l'attelage ailé dans le « Phèdre » décrit d'une façon imagée ce qu'est l'âme.
Elle est comparée à un
attelage composé d'un cocher et de deux chevaux.
L'un est blanc, docile, l'autre est noir, à les oreilles poilues et se
montre sourd aux injonctions du cocher ; il menace ainsi l'équilibre de l'attelage.
Il y a donnc trois instance dans
l'âme.
Le cocher figure la raison, qui a pour tâche de diriger.
Le « cheval blanc » représente le siège de l'honneur, de
la colère.
Le « cheval noir » symbolise l'âme concupiscible, siège des désirs, et plus précisément des désirs liés au
corps.
Or ces désirs ont pour caractéristiques d'être multiples, tyranniques, de ne rien respecter (Platon anticipe
dans certaines descriptions sur tous les cas cliniques décrits par Freud).
Or, la justice consiste d'abord dans le respect de la hiérarchie naturelle des trois instances, qui doivent s'ordonner
sous la conduite de la raison.
Se dominer, être maître de soi, tenir en bride le « cheval noir », c'est faire régner
l'ordre.
L'injustice consiste au contraire dans la subversion de cet ordre, dans la prédominance que l'on accorde à
l'âme concupiscible.
C'est une maladie, une perversion, qui remet en cause la totalité de l'individu.
Dans cette
tyrannie du supérieur par l'inférieur, l'homme devient esclave des désirs sans frein ; c'est pourquoi il est
nécessairement malheureux.
Il devient incapable de jugement, d'honneur, et, au lieu d'être maître de soi, il est.
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