Peut-on être l'historien de son temps ?
Extrait du document
«
Termes du sujet:
HISTOIRE: C e mot désigne soit le devenir, l'évolution des individus et des sociétés (allemand Geschichte), soit l'étude scientifique de ce devenir
(allemand Historie).
TEMPS: Milieu indéfini et homogène, analogue à l'espace, dans lequel se déroulent les événements.
Temps objectif: Mouvement continu et irréversible (« flèche du temps ») par lequel le présent rejoint le passé.
Temps subjectif: Sentiment intérieur de la temporalité, telle qu'elle est vécue par le sujet (synonyme : durée).
Analyse du sujet.
On s'interroge ici sur une possibilité.
(Peut-on être l'historien de son temps ?).
Le sens d'une telle interrogation doit donc être mis en évidence par l'examen
de ce qui rend problématique cette possibilité.
La forme même de la question laisse entendre, ou suggère, que l'on peut être sans problème l'historien d'un
temps révolu, d'une autre époque.
Quelle conception de l'histoire, et de ses critères constitutifs, engage une telle présupposition ? Telle pourrait être la
première approche à développer.
Seraient mises en jeu alors la réflexion sur le statut de l'événement historique, et l'étude des conditions mêmes de
l'intelligibilité du devenir humain - si du moins celle-ci est possible.
A u-delà d'une élucidation épistémologique du travail réflexif de l'historien, l'analyse
ferait alors surgir la question philosophique du sens de l'histoire : commencement et recommencement, répétition et/ou irréversibilité, pur et simple chaos
dont il serait vain de chercher à saisir une quelconque logique.
Le paradoxe de la question posée n'en est pas moins très réel, puisqu'il semble réserver la connaissance historique en domaine du révolu, à un objet absent
et insaisissable par les voies directes de l'observation ou même de la mémoire collective (est-il besoin d'histoire quand cette mémoire collective suffit à
conserver le souvenir d'événements marquants ? Question difficile, où se joue l'irréductibilité de la compréhension rationnelle à la mémoire elle-même).
Hegel distinguait l'histoire originale, faite par les historiens contemporains des événements qu'ils racontent, et l'histoire réfléchie, accomplie par ceux qui
étudient un passé révolu.
Pour les premiers, il s'agit de transformer « les événements, les actes et les situations de l'actualité en une oeuvre de
représentation destinée à la représentation ».
(Hegel, La Raison dans l'histoire, Éditions 10-18, page 25.) Et Hegel ajoute que dans ce cas, il y a
communauté d'esprit et de culture « entre l'écrivain et les actions qu'il raconte » (idem).
Dans l'histoire réfléchie au contraire, il y a distance, et cette
distance rend possible autre chose qu'une simple narration : une véritable réflexion à finalité critique et explicative.
« Il s'agit d'une forme d'histoire qui
transcende l'actualité dans laquelle vit l'historien et qui traite le passé le plus reculé comme actuel en esprit [...].
C e qui compte ici, c'est l'élaboration des
matériaux historiques et ce travail d'élaboration se fait dans un esprit qui diffère de l'esprit du contenu.
» (O uvrage cité, page 29.)
On remarquera que le sens du mot « historien » est donc double.
La narration, et la tentative d'explication, donnent naissance à deux genres différents, et
ceci explique d'une certaine manière les enjeux de la question posée.
Pour comprendre, ne faut-il pas ce recul que rend possible la distance à l'égard de la
période considérée ? Mais cette distance ne compromet-elle pas la possibilité de disposer de documents et de témoignages authentiques ? Les sciences
auxiliaires de l'histoire peuvent nourrir tout aussi bien l'activité des faiseurs d'illusion et des faussaires que les historiens sérieux.
La fascination du «
document authentique », livré sans distance ni critique, est peut-être plus dommageable à l'exigence d'objectivité que la distance considérée par Hegel
comme salutaire.
Fascination réactivée aujourd'hui par la prétention de certains journalistes à être des « historiens du présent ».
Grâce aux media, les faits,
immédiatement connus, semblent avoir d'emblée statut d'événements, par la publicité même qui leur est accordée.
Mais cette « sur-information », sans
travail réflexif ou sélectif, dissout toute pertinence - et l'empire du spectaculaire ne semble s'accomplir qu'au détriment de la compréhension rationnelle.
Traitée comme un perpétuel reportage où le souci de captiver devient bien vite une démarche de capture, l'histoire journalistique peut engendrer un nouvel
obscurantisme (pour une approche critique de cette emprise des media, voir notamment l'ouvrage de Régis Debray, C ours de médiologie générale,
Gallimard).
Les trois types d'histoire chez HEGEL
Hegel a distingué trois formes de l'histoire : l'histoire originale, l'histoire réfléchie et l'histoire philosophique.
L'histoire
originale, dont les fondateurs sont Hérodote et Thucydide, est une description des actions, des événements et des
situations par ceux qui les ont vécus et qui y ont pris part.
Cette histoire est non réflexive du fait de la communauté de
culture entre l'historien et les événements qu'il raconte.
Habité par l'esprit même de l'événement, il n'a pas besoin de le
transcender pour le raconter.
C 'est au contraire en transcendant l'actualité de l'historien que l'histoire réfléchie va traiter
du passé reculé, comme étant actuel en esprit.
L'histoire réfléchie élabore les matériaux, et ce travail d'élaboration
relève d'un esprit distinct de l'esprit du contenu élaboré.
C ette histoire renonce à la représentation individuelle du réel.
Elle produit de nombreuses abstractions en simplifiant le donné pour ne retenir que l'essentiel.
L'histoire philosophique
enfin s'applique à l'histoire réfléchie, s'efforce de montrer comment l'Idée est la vérité qui mène les peuples et le monde.
Elle dégage l'Esprit comme volonté raisonnable et nécessaire qui a guidé et qui continue de guider les événements du
monde.
L'histoire universelle
La philosophie de l'histoire montre que "la Raison gouverne le monde, et par conséquent gouverne et a gouverné l'histoire
universelle." Tout est subordonné à cette raison et lui sert d'instrument ou de moyen.
Si les peuples et les individus
recherchent d'abord leur bien propre dans leur incessante activité, ils sont — quoique à leur insu —, les instruments de la
Raison.
De toutes les actions humaines, il résulte quelque chose d'autre que ce qu'ils ont conçu, projeté et accompli.
En
réalisant leurs intérêts immédiats, ils servent les intérêts secrets de la Raison, dont on ne pourra connaître le dessein
final qu'une fois accomplie.
L'Esprit est un, mais se manifeste de multiples façons.
Un peuple, une époque, un temps, ne sont que des moments dans la
formation de l'esprit : "L'histoire universelle est la manifestation de la marche graduelle par laquelle l'Esprit connaît et réalise sa vérité." L'histoire est
l'histoire des étapes de la connaissance de l'Esprit qui, en se manifestant, prend conscience de lui-même.
C haque peuple dans l'histoire incarne ainsi un
principe de l'Esprit : les contradictions et les oppositions ne sont donc qu'apparentes et transitoires, car elles visent à des unités plus hautes.
C haque
peuple à un moment donné, avec son éthique, sa constitution, son art, sa religion, sa science, est une configuration déterminée dans la marche graduelle de
l'Esprit dont le destin est de franchir tous les degrés, jusqu'à atteindre une totale transparence à lui-même.
Il n'y a pas de leçons de l'histoire
On entreprend souvent le travail historique de déchiffrement du passé pour en trouver précisément le "chiffre", à savoir, en tirer une leçon de morale.
L'histoire des A nciens et des personnages illustres peut nous donner de bons exemples, qui servent utilement à la formation du caractère.
Mais leur vertu
exemplaire s'arrête ici.
La destinée d'un peuple ou d'un Etat, ses intérêts, ses conditions réelles d'existence et leur degré de complexité font que les leçons
morales et édifiantes que l'on peut tirer de l'histoire ne comptent pratiquement pas.
Q uand on fait de la morale, on ne fait pas de politique et réciproquement.
Toutes les conditions, à un moment présent donné, toutes les situations réelles et concrètes sont si particulières, que la décision politique
ne peut se prendre qu'en fonction de "cette" situation et de "ces" conditions.
Le grand homme d'État est précisément celui qui trouve la solution appropriée,
qui ne peut jamais se déduire a priori d'une maxime générale, ni même reproduire des décisions qui ont été prises par le passé.
Les leçons de l'histoire n'ont
aucun pouvoir sur le monde libre et vivant de l'actualité.
Les décisions à prendre ou les solutions à proposer ne peuvent qu'être aussi originales que la
situation présente est unique..
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