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Peut-on être heureux dans et par la consommation ?

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« Introduction : La consommation est devenue un terme si banal qu'il semble ne plus être nécessaire de le définir.

Nous savons d'emblée qu'elle est la contrepartie de la production.

Elle vise à utiliser et à user les objets produits en masse.

Aussi, tout ce qui est mis à notre disposition pour pouvoir être « consommé » se résume en un ensemble de produits, qui ne sont pas le plus souvent nécessaires, mais qui peuvent éveiller, et dans le même temps satisfaire, tout un tas de désirs particuliers.

Etre « dans la consommation » s'entend alors comme le fait d'être plongé dans un univers où cette logique de création/satisfaction de désirs règne en maître.

Chercher à atteindre quelque chose « par la consommation » signifie bien plutôt se servir de cette consommation pour atteindre un autre but qu'elle-même.

La consommation serait alors un moyen et non une fin.

Ceci dit, nous ne savons rien de cette fin, si ce n'est qu'ici, elle s'apparente avec le bonheur.

Nous devons donc chercher à savoir si nous avons la capacité d'atteindre le bonheur en consommant.

Le « peut-on », en effet n'a pas ici le sens d'un droit ou d'une morale.

(a-t-on le droit de…) Dans la mesure où la consommation est une réponse au besoin de satisfaire nos désirs, il s'agit de comprendre si nous pouvons arriver au bonheur simplement en ayant la possibilité de satisfaire tous nos désirs.

Désirs d'autant plus nombreux que c'est bien souvent la consommation qui les engendre… Nous commencerons ainsi par établir que la consommation est un processus infini, un mouvement sans fin, et qu'elle ne peut pour cela nous amener à un état stable de béatitude.

Nous considérerons ensuite que ce bonheur continu n'est sûrement qu'une illusion, et que pouvoir satisfaire ses désirs est révélateur d'une certaine puissance.

Enfin, il sera temps d'établir le danger possible d'une conception d'un monde entièrement consommable. I/ La consommation ne peut procurer le bonheur. Nous avons établi auparavant que si nous consommions, c'était essentiellement pour combler des désirs.

En effet, c'est parce que nous trouvons des objets à notre disposition, prêts à être consommés, que nous éprouvons le désir de les posséder et d'en être satisfaits.

A ussi plus les objets à consommer nous sont faciles d'accès et plus la consommation augmentera.

Le fait qu'elle crée même de nouveaux désirs nous amène alors à nous demander si ces désirs peuvent véritablement être comblés.

Lorsque l'objet est consommé, il disparaît entièrement en nous donnant satisfaction.

Or, cela ne dure que jusqu'au moment où le désir renaît à nouveau.

Comme l'objet à consommer a disparu, il ne nous reste plus alors qu'à nous en procurer un autre, qui lui-même disparaîtra…etc.

La définition même de la consommation ressemble donc à un éternel recommencement.

Le terme « consommation » lui-même révèle un processus, un déroulement et non un état stable.

Comment peut-on alors prétendre pouvoir être heureux, atteindre le bonheur, si nous sommes au sein de quelque chose qui n'a pas de fin ? De la même façon, comment prétendre utiliser la consommation, qui est indissociable des désirs, pour accéder au bonheur ? Car, enfin, quelqu'un qui serait entièrement heureux ne désirerait plus l'être, il serait proche de cet état d'ataraxie que les Anciens désignaient comme une satisfaction telle que tout désir n'aurait plus lieu d'être.

Or, la consommation se trouve véritablement à l'opposé de cette conception, comme nous le rappelle Baudrillard dans son Système des objets .

« Il n'y a pas de limites à la consommation.

(…) On veut consommer de plus en plus.

Cette compulsion de consommation n'est pas due à quelque fatalité psychologique ni à une simple contrainte de prestige.

Si la consommation semble irrépressible, c'est justement qu'elle est dynamisée par le projet toujours déçu et sous-entendu dans l'objet.

(…) C'est de l'exigence déçue de totalité qui est au fond du projet que surgit le processus systématique et indéfini de la consommation.

Les objets dans leur idéalité s'équivalent et peuvent se multiplier à l'infini : ils le doivent pour combler à tout instant une réalité absente.

C'est finalement parce que la consommation se fonde sur un manque qu'elle est irrépressible.

» La consommation peut donc bien amener au contentement de désirs mais non pas au bonheur. II / Combler nos désirs par la consommation est un aspect essentiel du bonheur. Nous venons d'établir que parce que la consommation répondait à des désirs, elle ne pouvait nous aider à cheminer vers le bonheur.

Les désirs, en fait, se renouvellent sans cesse et nous enferment dans leurs exigences de telle sorte qu'il nous serait impossible à cause d'eux d'atteindre un état de parfaite sérénité.

Or, à quoi ressemblerait cet état de sérénité ? Il faut à présent nous demander si une absence de désirs est vraiment un état que l'homme peut espérer.

Certes, lorsque le désir n'est pas satisfait quelque chose nous manque et nous rend malheureux.

Mais les désirs sont-ils pour autant la cause de notre malheur ? A l'inverse, lorsque nous les suivons et que nous les comblons, ce sont ces mêmes désirs comblés qui nous procurant une grande satisfaction.

Or, la consommation n'a-t-elle pas pour but de combler le moindre de nos désirs, au mieux et au plus vite ? Dès lors, elle s'avère tout à fait essentielle pour nous permettre d'être heureux.

Il serait illusoire de prétendre que nous pouvons échapper à la consommation : cela reviendrait à dire que nous pouvons échapper à nos désirs.

Or, comme nous désirons toujours (même le désir de contrôler nos désirs reste…un désir), nous sommes d'emblée naturellement portés à la consommation.

De même, si nous voulons ensuite prendre le temps de penser, cela est beaucoup plus facile lorsque nos désirs sont comblés et satisfaits.

Dans ce cas encore, la consommation s'avère être un passage indispensable pour parvenir à être heureux.

A insi, c'est jouir d'une consommation effrénée qui s'avère être essentiel à notre bonheur.

Comme nous l'indique le personnage de Calliclès dans le Gorgias : « Pour bien vivre, il faut entretenir en soi-même les plus fortes passions au lieu de les réprimer, et à ses passions, quelques fortes qu'elles soient, il faut se mettre en état de donner satisfaction par son courage et son intelligence, en leur prodiguant tout ce qu'elles désirent.

(…) La vie facile, l'intempérance, la licence, quand elles sont favorisées, font la vertu et le bonheur ; le reste, toutes ces fantasmagories qui reposent sur les conventions humaines contraires à la nature, n'est que sottise et néant.

» Vouloir limiter la consommation ou prétendre qu'elle ne donne pas le bonheur est donc une sottise qui ne se fonde sur rien et qui provoque notre malheur. III/ Le monde de la consommation La consommation nous apparaît ainsi comme ce dont nous ne pourrions nous passer pour goûter au bonheur.

Il est vrai, nous l'avons vu, que pouvoir combler nos désirs est indispensable pour accéder au bonheur.

Seulement, est-il légitime que la vision du monde donnée par la consommation en vienne à régner absolument ? Rappelons-nous : lorsque nous considérons quelque chose comme un objet de consommation, la raison d'être de cet objet est d'être utilisé, absorbé ou détruit au plus vite.

Il n'est absolument pas fait pour durer.

Or, peut-on absolument tout considérer de la sorte ? C ela reviendrait à ôter tout critère de durabilité aux choses qui nous entourent.

Dans ce cas, il deviendrait impossible d'établir une distinction ou une hiérarchie entre une table sculptée par un ébéniste et une table basique fabriquée à des millions d'exemplaires par exemple.

De même, quelle importance peuvent encore avoir les arts et les monuments dans ce cas ? Le fait qu'ils échappent au déroulement du temps à travers les siècles n'aurait plus aucune importance.

Les relations amoureuses, enfin, construites sur le même « modèle » n'auraient aucune raison de se maintenir dans le temps.

Ainsi, si nous faisons de la consommation notre unique critère de bonheur, toute notre vision du monde risque d'être marquée du sceau de l'éphémère, du tout consommable.

Il ne s'agirait même plus d'un monde dans la mesure où ce dernier doit se maintenir à travers le temps, afin de donner des repères quotidiens à l'homme.

Hannah Arendt, reprenant le concept de « monde » de Heidegger, ajoute dans la Condition de l'homme moderne : « Toute notre économie est devenue économie de gaspillage dans laquelle il faut que les choses soient dévorées ou jetées presque aussi vite qu'elles apparaissent dans le monde ( …) Si vraiment nous n'étions plus que les membres d'une société de consommateurs, nous ne vivrions plus du tout dans un monde, nous serions simplement poussés par un processus dont les cycles perpétuels feraient paraître et disparaître des objets qui se manifesteraient pour s'évanouir, sans jamais durer assez pour environner le processus vital.

» Ne compter que sur la consommation pour atteindre au bonheur, c'est donc perdre toute perspective d'un bonheur spécifiquement humain. Conclusion : -Parce que la consommation répond à des désirs, elle ne peut amener qu'à une satisfaction passagère. -Elle est néanmoins ce qui satisfait les désirs : en ce sens, elle nous procure un plaisir semblable au bonheur. -La vision du monde purement consommatrice est nuisible à la conception d'un bonheur purement humain. On ne peut être heureux dans et par la pure consommation : elle est un confort qui ne doit pas empêcher de concevoir le bonheur autrement que par ellemême.. »

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