Peut-on être esclave de soi-même ?
Extrait du document
«
Un esclave est une personne placée sous la dépendance absolue d'un maître.
Cette dépendance implique
l'abdication de son libre arbitre au profit d'autrui, c'est-à-dire, le renoncement à sa faculté de se déterminer
librement et d'agir sous la conduite de sa seule volonté.
A première vue, la question « peut-on être l'esclave de soi même ? » ne saurait être que surprenante.
Il semble en
effet qu'elle implique une contradiction dans les termes : si être esclave, c'est être sous la dépendance absolue d'un
maître comme nous venons de le préciser, alors on ne saurait être l'esclave que d'autrui, d'un autre que soi même.
Pourtant, des exemples littéraires ou empruntés à la réalité peuvent nous fournir des exemples d'hommes esclaves
d'eux-mêmes, c'est-à-dire, choisissant de s'asservir eux-mêmes à la toute puissance prétendue de leurs passions ou
de leur volonté.
Enfin, une fois que nous aurons déterminé si l'homme est capable d'être l'esclave de lui-même, nous pourrons nous
demander s'il a également le pouvoir de se libérer de sa propre emprise, et de choisir la liberté contre
l'asservissement qu'il s'impose à lui-même.
I.
a.
Etre l'esclave de soi même : un paradoxe parfait
L'esclavage : une soumission à autrui ?
Comme nous l'avons posé en introduction, il n'y a d'esclavage que relativement à autrui.
En effet, l'esclavage est la
situation d'un être qui ne peut agir ni penser à sa convenance, mais dont l'action et la pensée émanent directement
de la volonté d'un autre être, qui à tout pouvoir sur lui.
Dans une parabole célèbre (la « parabole du maître et de
l'esclave ») Hegel évoque la situation de deux hommes, qui font tout deux l'expérience du maître absolu (c'est-àdire la mort) et dont l'un faiblit, recule, au contraire de l'autre.
Le premier devient donc l'esclave de l'autre, situation
incompatible avec la possibilité d'un esclavage à soi même.
b.
L'esclavage : une réalité sociale et économique
Parler d'esclavage à soi même ne peut se faire qu'en édulcorant la réalité de l'esclavage.
En effet, celui-ci est une
réalité économique, sociale, un modèle historique de sociétés, qui a existé et qui existe toujours sous des formes
nouvelles.
Hannah Arendt, dans « Conditions de l'homme moderne » rappelle que les sociétés antiques, notamment
la société romaine, employaient l'esclavage pour décharger une part privilégiée de la population de ce qu'elle nomme
« le fardeau de la vie ».
Parler d'esclavage d'un homme par lui-même, c'est déformer le sens réel du terme
d'esclavage, et confondre un modèle économique et social avec une simple pression de l'individu exercée sur luimême.
II.
a.
Etre l'esclave de soi même : une soumission moins paradoxale qu'il n'y parait
La complexité du sujet autorise une réponse affirmative à la question posée
Freud a bien montré qu'il y a en l'homme trois sujets, le moi, le ça et le surmoi.
Placé entre ces deux instances opposées, le moi peut être l'esclave de
ses instincts les plus bestiaux (sexuels, meurtriers, suicidaires…) ou les plus
élevés (ambition, volonté de se dépasser ou de surpasser autrui…).
En ce
sens, on peut dire qu'il est possible d'être l'esclave de soi même, car la
psychanalyse a montré que l'homme peut subir l'autorité des pulsions émanant
du ça ou du surmoi, qu'il subit comme l'autorité de maîtres extérieurs et
absolus.
En clinicien qui se désintéressait de la philosophie, Freud a observé que les
comportements humains ne répondaient pas à de strictes lois rationnelles, et
que, bien au contraire, le psychisme humain était dans son essentielle réalité
inconscient.
La plus grande partie de nos sentiments, affects, pensées, mais
aussi actes, gestes et comportements répondent à des motifs qui échappent
à notre conscience.
L'inconscient est doté de ses forces propres, de sa
propre dynamique et de ses propres intérêts, qui n'ont rien de rationnel.
Soumis au principe de plaisir, l'inconscient recherche une satisfaction au
mépris de la réalité, des ordres, des règles et des lois qui gouvernent la
rationalité des rapports humains.
L'inconscient est la manifestation constante
d'un irrationnel qui n'a de cesse de se jouer de notre volonté et de notre
maîtrise rationnelle et consciente.
b.
Le sujet esclave de sa passion
La littérature est pleine d'hommes qui subissent l'autorité de la passion avec une soumission parfaite.
Tel est le cas
du chevalier des Grieux dans « Manon Lescaut » (de Prévost) que sa passion pour la belle Manon entraîne dans des
malheurs toujours plus grands.
La toute puissance de la passion permet donc de répondre à la question : on peut
être l'esclave de soi même, en tant qu'on peut être l'esclave de sa passion.
III.
a.
Etre l'esclave de soi même : le choix de ma liberté
L'homme choisit sa servitude.
»
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