Peut-on échapper à la décadence ?
Publié le 17/12/2023
Extrait du document
«
L’écrivain et philosophe Denis de Rougemont décrit la décadence telle l’instant où
l’homme se demande « Que va-t-il arriver ? » au lieu de se demander « Que
puis-je faire ? ».
La décadence apparaît alors telle une situation inévitable et
indomptable, du moins par les Hommes.
C’est un terme utilisé pour décrire une
période progressive de déclin moral, social, culturel ou économique menant à la
chute ou la ruine d’un individu, d’une société, d’une civilisation ou même d’une
planète.
Le terme de décadence est emprunté du latin médiéval decadentia, luimême du latin classique cadere qui signifie « tomber ».
C’est un phénomène à la
fois descriptif et normatif qui comporte une forte dimension axiologique : il y a
toujours quelque chose comme un verdict dans le diagnostic de décadence, une
vérité cachée ou ignorée depuis un certain temps.
Elle doit être articulée à deux
concepts clés : celui d’origine, d’une part, comme point de référence et
commencement absolu, et celui de progrès dont la décadence est comme
l’envers, d’autre part.
Ainsi, la décadence est l’inverse du progrès et pourtant
certains voient le progrès comme une certaine décadence, l’intelligence artificielle
représentant ici un bon exemple.
La décadence est souvent associée à une
nostalgie du passé et à une critique de la modernité, bien que sa perception
puisse varier selon les perspectives culturelles, politiques et personnelles.
Mais
pour tous, elle fait référence à une chute et une situation désespérée que
personne ne souhaite connaître malgré le fait qu’elle semble parfois avoir été
imposée dans l’histoire.
On peut alors se demander dans quelles mesures une
société ou une civilisation sont-elles condamnées à s’effondrer ? Autrement dit,
peut-on échapper à la décadence ?
Dans un premier temps, nous verrons qu’échapper à ce processus paraît
incontrôlable et semble être imposé à toute civilisation ou société avant de
montrer que la décadence n’est pas irréversible et que son issue n’est pas
forcément toujours dramatique.
Enfin, nous évoquerons la décadence plutôt sous
l’angle d’un sentiment que d’une réalité.
D’abord, il semble impossible d’échapper à la décadence dans la mesure où elle
se déclenche à la suite d’un enchaînement d’évènements destinés à améliorer
une société et dont les conséquences se révèlent toujours bénéfiques.
En effet, la décadence d’une société ou d’une civilisation serait la suite logique de
son apogée.
Un déclin ne peut que s’opérer après avoir atteint un certain niveau
de richesse et de modernité, sans réellement révéler de signes avant-coureurs ou
du moins trop faibles pour qu’ils puissent éveiller des soupçons de décadence
chez les sujets d’une certaine civilisation ou société.
En effet, ces derniers sont
très souvent assujettis à la croissance et aux progrès de leur société et en
profitent sans vraiment se poser la question des conséquences que peuvent avoir
leurs actes.
Cela berce une civilisation dans l’illusion la plus profonde et ne lui
permet pas de faire face à la décadence et d’essayer d’y mettre une fin, mais au
contraire, cette illusion cherche à nous convaincre de l’aspect positif de la
situation en nous empêchant d’émettre une quelconque hypothèse de déclin.
Les
civilisations sont alors contraintes d’empirer la situation, profitant des ressources
et des progrès d’une société, menant à leur perte.
Par exemple, aujourd’hui, le
réchauffement climatique peut être comparé à une forme de décadence puisque
son ampleur nous entraînera vers la mort un jour, si nous ne prenons pas de
mesures.
Et pourtant, il est le résultat de multiples progrès dans une société, où
les personnes profitent des ressources comme si elles étaient toutes
renouvelables.
En effet, elles tirent bénéfice des avancées de leur société, ce
qu’elles ont toujours fait, sans être capables de se rendre compte qu’elles
participent à leur décadence.
Ensuite, la décadence peut être la conséquence d’une constante recherche de
progrès, mais cette fois sans réellement bercer les civilisations dans l’illusion,
mais en les poussant à prendre des risques majeurs pouvant soit mener leur
société au sommet de l’innovation et de la modernité, soit la mener à sa ruine.
Mais le progrès n’a pas de limites, les connaissances et les techniques peuvent
sans cesse s’améliorer et s’étendre, ce qui rend les civilisations enclines à une
certaine soif de progrès.
Or réaliser des progrès demande des expériences qui
elles, comportent des risques pouvant se révéler destructeurs.
Si l’on prend
l’exemple de la centrale nucléaire soviétique de Tchernobyl, son explosion en
1986 est le résultat d’une très forte volonté de la part des ingénieurs de s’inscrire
dans l’histoire du progrès.
En effet, ils ont poussé la centrale à bout durant des
expériences augmentant sa puissance, malgré leur connaissance des risques
majeurs, mais se sont obstinés, poussés par la devise soviétique stakhanoviste
qui demandait à son peuple d’en faire toujours plus pour sa patrie afin la mener
au sommet de la puissance, et pourtant cette recherche continue de progrès
s’est révélée destructrice pour une partie de sa population et a participé à sa
décadence et à la chute de l’URSS dans les années 90.
Enfin, la décadence est un phénomène difficile à éviter puisqu’elle découle d’une
volonté extrême de puissance, qu’acquièrent les sociétés à un moment ou à un
autre.
En effet, on parle souvent de décadence pour se référer au déclin des
grandes puissances et empires dans l’histoire, comme celui de l’empire Romain
ou Britannique.
Le géopoliticien Paul Kennedy, dans son ouvrage Naissance et
déclin des grandes puissances, publié en 1987, s’intéresse aux facteurs du déclin
de ces grands empires.
Il y évoque la surextension impériale qui se rapporte à la
volonté de conquérir toujours plus de territoires.
Ce phénomène absorberait les
ressources économiques du pays pour maintenir une certaine domination
militaire sur l’empire et empêcherait de réaliser des progrès ou du moins de bien
les réaliser.
Ainsi, vouloir être trop puissant mène forcément à sa perte et sa
décadence, mais c’est un phénomène inarrêtable puisqu’une société et ses
dirigeants restent très facilement attirés par la puissance et la domination,
comme le montrent les différentes chutes d’empires dans l’histoire qui se
répètent, sans que l’une tire leçon de l’autre.
Par conséquent, il semblerait que nous ne puissions échapper à la décadence
puisqu’elle est le fruit d’une croissance et d’une suite de progrès parfois
révolutionnant le monde, qui nous berce dans une illusion utopique et nous force
à fermer les yeux sur l’effet inverse que pourraient produire ces avancées, à
savoir la perte d’une civilisation ou d’une société.
Mais la décadence n’a pas
toujours mené à la ruine dans l’histoire et elle reste un phénomène réversible.
En effet, entrer en décadence peut s’avérer seulement être une étape de
construction d’une société ou d’une civilisation et non forcément sa chute finale.
Oswald Spengler avait prophétisé que l’Europe allait vers son suicide.
Son
monumental ouvrage, Le Déclin de l’Occident, paru en Allemagne de 1918 à
1923 avait eu immédiatement un énorme retentissement.
Selon lui, les sociétés
naissent et meurent comme des êtres vivants, la « civilisation » étant la phase
ultime de leur développement, celle qui précède leur fin, règne de la technique et
du progrès.
Et pourtant, aujourd’hui, l’Europe est toujours présente, sortie de 2
grandes guerres mondiales encore plus unie et plus puissante à l’échelle du
monde.
La décadence est inévitable mais peut parfois être un tremplin pour
accéder à un renouveau d’une civilisation.
Elle permet de nous mettre face aux
problèmes et nous invite à les solutionner, le plus souvent collectivement, pour
en sortir plus fort.
En effet, la décadence est souvent due à une forme d’unilatéralisme et de
division dans la société.
Associée à la perte de valeurs traditionnelles ou de
l’affaiblissement, elle est la conséquence d’une fracture se créant au sein d’une
civilisation le plus souvent, comme on le voit à travers les guerres civiles qui
peuvent opposer deux groupes provenant d’une même civilisation mais n’ayant
plus les mêmes valeurs et voulant imposer les siennes aux autres.
Ainsi,
échapper à la décadence n’inclut plus seulement des critères inévitables
puisqu’elle trouverait une de ses....
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