Peut-on dire qu'il y a un progrès en philosophie ?
Extrait du document
«
Il s'agit ici de s'interroger sur la philosophie et de se demander si cette discipline est susceptible de suivre un
progrès.
Si c'est le cas, de quelle nature est ce progrès et comment s'exprime-t-il ? Qu'est-ce que le progrès ? C'est
avant tout un mouvement, un déplacement.
A ce titre, la philosophie progresse toujours puisqu'elle est d'une
certaine façon le mouvement de la pensée qui tente de se saisir elle-même au travers de sa relation au monde.
Mais
si on entend " progrès " au sens technique ou scientifique du terme, l'idée ne tient plus pour la philosophie.
Pourquoi
? Essentiellement parce que la science et la technique, lorsqu'elles progressent, rendent périmés, obsolètes les
modèles ou les choses qu'elles dépassent.
Nous n'utilisons plus aujourd'hui de boulier pour compter, de même que le
vieux système géocentrique de Ptolémée apparaît comme dépassé.
En philosophie c'est différent puisque nous
continuons à lire Aristote ou Platon...
La philosophie est, pour cette raison, inactuelle et intemporelle.
[Chaque penseur ajoute sa pierre à l'édifice de la connaissance.
Les philosophes modernes en savent plus
que les Anciens.
Il peut y avoir un progrès puisque chaque penseur bénéficie de l'acquis
accumulé par ses prédécesseurs.]
" L'homme [...
] n'est produit que pour l'infinité.
Il est dans l'ignorance
au premier âge de sa vie ; mais il s'instruit sans cesse dans son progrès
: car il tire avantage non seulement de sa propre expérience, mais
encore de celle de ses prédécesseurs, parce qu'il garde toujours dans
sa mémoire les connaissances qu'il s'est une fois acquises, et que celles
des anciens lui sont toujours présentes dans les livres qu'ils en ont
laissés.
Et comme il conserve ces connaissances, il peut aussi les
augmenter facilement ; de sorte que les hommes sont aujourd'hui en
quelque sorte dans le même état où se trouveraient ces anciens
philosophes s'ils pouvaient avoir vieilli jusqu'à présent, en ajoutant aux
connaissances qu'ils avaient celles que leurs études auraient pu leur
acquérir à la faveur de tant de siècles.
De là vient que, par une
prérogative particulière, non seulement chacun des hommes s'avance de
jour en jour dans les sciences, mais que tous les hommes ensemble y
font un continuel progrès à mesure que l'univers vieillit, parce que la
même chose arrive dans la succession des hommes que dans les âges
différents d'un particulier.
De sorte que toute la suite des hommes,
pendant le cours de tant de siècles, doit être considérée comme un
même homme qui subsiste toujours et qui apprend continuellement [...
]" PASCAL
Remarques préliminaires
Le thème du progrès, relativement récent dans l'histoire de la pensée occidentale, s'est d'abord affirmé au
niveau de la représentation de la connaissance, avant d'être envisagé, par les philosophes du XVIII siècle,
pour l'ensemble de la société.
Il n'a pas eu d'emblée une connotation positive (progrès = amélioration) et bien
des philosophes (Pascal, Rousseau) l'utilisent dans son sens premier — et neutre — d'avancée dans le temps
ou l'espace, développement quantitatif (latin progredior: « je m'avance »).
Le thème du progrès a été associé
très tôt à l'idée que les connaissances et l'expérience acquises par une génération sont transmissibles à la
génération suivante.
Ce cumul rend possible une amélioration des savoirs et des savoir-faire et, par le biais de
l'éducation, perpétue les acquis culturels en une sorte de « mémoire collective ».
De ce point de vue, le
progrès culturel constitue l'envers de l'évolution biologique : alors que cette dernière s'explique non par la
reconduction des caractères acquis par chaque génération (cf Jean Rostand, L'Homme) mais par une «
pression » sélective du milieu naturel sur l'ensemble des êtres préexistants, l'histoire humaine comme progrès
n'est possible que par une transmission de l'acquis, et ce à travers l'éducation.
Le texte de Pascal thématise
la notion de progrès comme cumul et dépassement tout à la fois.
S'il semble envisager surtout l'histoire des
sciences, il ne manque pas de signaler que cette faculté de « conservation » et d'augmentation des
connaissances constitue une donnée distinctive de l'homme (cf.
« prérogative particulière »).
La façon dont la
fin du texte met en parallèle le développement graduel de l'humanité et la croissance par étapes de l'individu
devra être examinée dans toutes ses implications.
Étude ordonnée du texte.
»
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