Peut-on dire de certains hommes qu'ils font l'histoire
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«
LIRE LE SUJET Ce sujet pose deux problèmes : le premier, celui d e l'histoire elle-même dans son rapport à l'homme en général, en
d'autre terme le problème de savoir dans quelle mesure les hommes font — plus ou moins librement — l'histoire (ou si l'histoire se fait
plus ou moins indépendamment d'eux) ; le second, celui des «personnalités historiques», c'est-à-dire le problème—dès lors que l'on
admet que les hommes font l' histoire —de savoir si seulement certains d'entre eux la font.
C'est ce second problème seulement que, pour notre part, nous étudierons ici, le premier étant traité de manière étendue dans le sujet
suivant : «Les hommes font-ils librement leur histoire ?».
Mais le candidat doit, lui, veiller bien poser les deux problématiques.
1.
L' «atomisme historique»
• Le grand historien français Henri Berr nommait «atomisme historique.
la conception de l'histoire, qui pose que ce sont certains hommes
exceptionnels, certains individus qui ont fait l'histoire, soit en raison des circonstances, soit en raison de leur personnalité spécifique.
• Une telle conception est sans doute la plus ancienne et la plus spontanée.
En effet, «comme les individus sont ce qu'il y a de plus
tangible en histoire, que les faits sont tous ou produits par eux, ou relatifs à eux, les chroniqueurs naïfs, et à leur suite, les historiens
historisants leur ont attribué tout naturellement le rôle capital.» (H.
Berr, La synthèse en histoire, 1911, p.
7071)
2.
Des arguments théoriques
Cet «atomisme historique.
n'est cependant pas nécessairement une position naïve.
Il s'inscrit en effet dans la difficile question de la
causalité et du déterminisme en histoire.
• Si à côté des différents types de causalité et de déterminisme (biologique, économique, sociologique, psychologique, etc.), l'historien
admet qu'il faut bien laisser une certaine place au hasard, comme le voulait Cournot, alors on peut concevoir que certains hommes font
effectivement, dans une certaine mesure, l'histoire.
• Selon Cournot, en effet, on peut considérer qu'il existe dans le monde des phénomènes ordonnés, des systèmes, mais que le monde
lui-même n'est pas un système.
A côté de ces systèmes gouvernés par des lois (économiques, sociologiques, etc.), il existe des accidents
dus au hasard, lequel est un désordre ou une absence d'ordre, c'est-à-dire l'intersection d e séries causales d e phénomènes
indépendants.
Chacune de ces séries obéit à un déterminisme rigoureux, mais leur rencontre échappe à toute loi.
Le grand homme serait
un de ces lieux privilégiés de rencontre qui orienteraient l'histoire.
Dira-t-on qu'il y a une immense disproportion entre l'individu et l'Histoire, que donc aucun grand homme ne saurait réellement la faire ?
On répondra qu' «une dose infinitésimale d'un virus peut détruire un organisme; pourquoi un individu ne serait-il pas capable d e
bouleverser, de transformer une société ?»
3.
Critique de l'atomisme historique
• Contre l'atomisme historique, les partisans du déterminisme général objectent que :
–Le grand homme est lui-même un produit de l'histoire, puisqu'il est lui-même déterminé que donc ce n'est pas lui véritablement qui fait
l'histoire, mais l'histoire qui se fait à travers lui.
– Tous les faits, tous les événements sont liés les uns aux autres : si la Révolution n'avait pas préparé les conditions socio-politiques de
l'empire, Napoléon n'aurait pu l'établir.
– Les individus expriment, manifestent l'histoire, mais ils ne sont nullement irremplaçables: si Newton n'avait pas découvert la gravitation
universelle, un autre l'eût fait à sa place, et vers la même époque (on observe en effet souvent que les découvertes sont souvent faites à
peu prés simultanément mais indépendamment par plusieurs personnes) ; si Jules César n'avait pas existé, l'établissement de l'empire
romain aurait néanmoins eu lieu, etc.
• Hegel et les «grands hommes»
Une telle position rejoint celle de Hegel qui pourtant accorde un rôle important aux «grands hommes.
Selon Hegel, en effet, ce sont les grands hommes qui font l'histoire, mais ils ne sont que les
instruments de l'Absolu, de l'Esprit du monde, de l'Universel supérieur, dont l'Histoire elle-même est la
manifestation et la réalisation.
«Ce sont les grands hommes historiques, écrit Hegel, qui saisissent cet universel supérieur et font de lui
leur but ; ce sont eux qui réalisent ce but qui correspond au concept supérieur de l'Esprit.
C'est pourquoi
on doit les nommer des héros.
Ils n'ont pas puisé leurs fins et leur vocation dans le cours des choses
consacré parle système paisible et ordonné du régime.
Leur justification n'est pas dans l'ordre existant,
mais ils la tirent d'une autre source.
C'est l'Esprit caché, encore souterrain, qui n'est pas encore parvenu
à une existence actuelle, mais qui frappe contre le monde actuel parce qu'il le tient par une écorce qui
ne convient pas au noyau qu'elle porte [...] Les individus historiques sont ceux qui ont dit les premiers
ce que les hommes veulent E...] Il serait vain de résistera ces personnalités historiques parce qu'elles
sont irrésistiblement poussées à accomplir leur oeuvre.
Il appert parla suite qu'ils ont eu raison, et les
autres, même s'ils ne croyaient pas que c'était bien ce qu'ils voulaient, s'y attachent et laissent faire.
Car l'oeuvre du grand homme exerce en eux et sur eux un pouvoir auquel ils ne peuvent pas résister,
même s'ils le considèrent comme un pouvoir extérieur et étranger, même s'il va à l'encontre de ce qu'ils
croient être leur volonté.
Car l'Esprit en marche vers une nouvelle forme est l'âme interne de tous les
individus ;il est leur intériorité inconsciente, que les grands hommes porteront à la conscience.
(La
Raison dans l'Histoire, éd.
10-18, p.
120-123).
Conclusion
Ainsi que l'observait R.
Aron, la controverse traditionnelle théorique sur le rôle des grands hommes dans l'histoire est sans doute sans
issue.
Car «tant que l'on s'en tient aux formules abstraites, on parvient à justifier aussi bien le déterminisme que le culte des héros.
Il
faut analyser l'individu et la situation pour préciser ce que la réalité doit finalement à celle-ci et à celui-là.
Or, cette analyse (du même
type que toute enquête causale historique) doit être reprise à neuf dans chaque cas : le problème ne comporte pas de solution générale,
il n'est même pas authentiquement philosophique puisqu'il relève de la recherche scientifique..
(Introduction à la philosophie de l'histoire,
p.
181)..
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