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Peut-on démontrer tout et son contraire ?

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« Dès que l'homme a commencé à développer les sciences, il a voulu comprendre ce qui l'entourait, sans recourir à l'explication d'une entité supérieure. C omprendre le fonctionnement, le mécanisme de la nature est une chose, mais une fois trouvé, il fallait au scientifique une preuve admise par tous.

Il a donc, pour prouver la véracité d e s e s affirmations, pour enlever le doute qui voilait l'esprit du monde, en utilisant sa logique, cherché à démontrer rationnellement s e s découvertes.

V isant ainsi une vérité absolue, la conclusion s'appuie sur des éléments de départ certains, admis par tous. C ontrairement à la preuve empirique dont il est souvent aisé de trouver un contre-exemple, la démonstration est un enchaînement de déduction, une démarche intellectuelle et abstraite, un modèle de rigueur et de certitude, et présente la vérité sous une forme plus contraignante qu'une simple affirmation. Lorsque nous entendons le verbe « démontrer », notre esprit le lie souvent aux mathématiques, où les théorèmes sont chacun reliés entre eux par des liaisons logiques, déductives et nécessaires.

C 'est à cause de cette fameuse rigueur mathématique, incontestable, que même les philosophes ont cherché à imposer par ce biais une vérité aux yeux de tous, pour garantir les mêmes certitudes à toutes nos connaissances. Mais toute vérité est-elle démontrable ? P eut-on étendre la démonstration au-delà des univers de la logique et de la nature ? Nous verrons en quoi la tendance actuelle des choses nous pousse à croire qu'un jour, tout pourra être démontré, mais cependant en quoi l'extension de la démonstration mathématique à tous les domaines et toutes les interrogations pose problème. Des tentatives de tout démontrer mathématiquement furent effectuées tout au long des siècles. Formulé en premier par A ristote, le syllogisme permet, par le biais de deux propositions supposées vraies, d'assurer la véracité d'une conclusion.

Ce raisonnement est l'ancêtre de la logique mathématique.

Il nous faut cependant être prudent avec ce procédé ; il nous faut distinguer syllogisme rhétorique et sophisme de syllogisme scientifique : pour une démonstration rigoureuse et vraie, il faut utiliser le deuxième.

En effet, il est facile de glisser une absurdité dans un syllogisme, comme le prouve Ionesco en écrivant « T ous les chats sont mortels, Socrate est morte, donc Socrate est un chat ». C e procédé rhétorique nous permet donc de justifier des éléments de notre entourage, mais comme le disait à juste titre Descartes, il ne nous apporte rien de nouveau, car pour construire un syllogisme correct, il faut déjà connaitre la conclusion.

C 'est pourquoi les philosophes se sont rapidement tournés vers d'autres procédés de démonstration, telles que l'expérience. En effet, cette dernière peut avoir une valeur démonstrative ; elle sert à valider des hypothèses, à les vérifier.

De plus, le donné expérimental est ce qui apparaît au plus grand nombre comme la réalité, car il est à la disposition d'un plus large public. Les philosophes ont essayé très tôt d'exercer la démonstration dans des domaines étrangers au strict logico-mathématique.

A ristote est, en plus de l' « inventeur » de la logique formelle, l'auteur de la première démonstration concernant l'existence d'un principe divin, qui serait un « premier moteur », comme un axiome. Spinoza, dans L'éthique, affirme suivre « la méthode des géomètres ».

Il admet que la démonstration mathématique est exemplaire par la rigueur et la sûreté qu'elle apporte à la pensée.

Dans son ouvrage, il analyse divers aspects du comportement humains « more geometrico », à la façon des géomètres. C ependant, s'il n'y avait de démonstration que mathématique, il serait sans doute ridicule de prétendre que tout peut se démontrer : « Le cœur a son ordre, l'esprit a le sien, qui est pas principe et démonstration.

Le cœur en a un autre.

On ne prouve pas qu'on doit être un être aimé en exposant d'ordre les causes de l'amour ; cela serait ridicule.

» (Pascal).

Mais la démonstration peut également être rhétorique, comme l'affirmait A ristote en écrivant Rhétorique, et donc relever de l'art de persuader.

Selon Alain, «On prouve tout ce qu'on veut, la vraie difficulté est de savoir ce que l'on veut prouver.

» ; la puissance de l'éloquence serait-elle capable de tout démontrer ? La puissance de cette rhétorique maîtrisée par les philosophes de l'antiquité grecque est décrite et parodiée par A ristophane dans s e s N u é e s ; un homme plein de dettes va chercher Socrate pour qu'il lui apprenne à parler et ainsi échapper à ses créanciers. Mais démontrer grâce aux mots et à l'art de la parole, il s'agit bien là de ce qu'un avocat essaie de faire en défendant son client et en essayant de prouver son innocence (ou de prouver la culpabilité de celui du plaignant).

C ependant, ces hommes de droit ne parviennent pas toujours à innocenter leur client ou inculper la bonne personne ; tout ne serait donc pas démontrable irréfutablement, ni même démontrable pour un jury de citoyens. Penser que l'on peut tout démontrer dans le cadre des sciences humaines pose problème.

En effet, l'homme fait qu'elles ne peuvent pas adopter la même méthode que les sciences de la nature et ne peuvent donc prétendre à autant de certitude que les sciences de la nature.

L'homme n'agit pas seulement selon son bon sens, et son comportement reste principalement imprévisible.

Il paraît donc évident qu'on ne peut se contenter d'établir des lois et des causes nécessaires pour expliquer ce qui concerne l'homme.

Il faut plutôt essayer de le comprendre, saisir les mécanismes qui sont à l'origine des actions et des réactions.

Or, ceci relève du domaine de l'interprétation ; on ne peut donc appliquer une démonstration dans ce cas là, qui se révèlerait inutile et sans débouchée. De plus, beaucoup de mystères et questionnements ne trouvent pas de réponse, notamment dans le domaine de la métaphysique, à cause de l'impossibilité de démontrer une réponse, quelle qu'elle soit. Hume a fortement critiqué les preuves de Dieu qui avaient été mises au point par la théologie « naturelle », c'est-à-dire celle qui ne prétend s'appuyer que sur la raison et ne pas faire appel aux textes sacrés.

Hume a montré que lorsqu'il s'agit de la religion, la raison se trouve amenée à utiliser certains concepts dans des conditions qui rendent leur usage impropre.

« Dieu est la cause du monde » : c'est ce qu'affirment A ristote et Thomas d'A quin, chacun à leur façon.

Pour Hume, cette causalité est employée dans un contexte incompatible avec son usage rationnel.

C omme Dieu est infini et parfait, le monde devrait l'être, comme l'expérience montre qu'une cause n'est pas disproportionnée à son effet.

Or, le monde n'est ni infini, ni parfait. Toutes les tentatives de démonstrations en théologie ont conduit à des bizarreries.

De plus, comment raisonner sur un être unique, qui n'a pas son pareil et dont le fonctionnement nous est donc totalement étranger ? De plus, vouloir démontrer que Dieu existe, c'est ne pas encore assez croire en son existence, comme l'affirmait Kierkegaard. S'il est enfin un domaine qui se rebelle à la démonstration, c'est celui de la subjectivité individuelle et du vécu ; comment pourrais-je démontrer à un autre que ma souffrance est réelle, ou que mes sentiments sont vrais ? L'authenticité affective ne se réduit pas à des formules mathématiques.

Il en va de même pour ses goûts ; il me parait difficile d'imposer mon avis sur un artiste en démontrant mathématiquement que ce qu'il fait est plus beau ou meilleur qu'un autre, alors que c'est un sentiment personnel, inhérent à chacun.

Le vécu n'est pas transmissible, et ne peut que être subjectivement expérimenté ; on ne peut donc l'approcher avec un souci de vérité absolue ou de démonstration. Mais même si nous revenons à des démonstrations sur des sujets purement scientifiques ; pour qu'une démonstration soit vraie, il nous faut partir de prémices vraies.

Mais pour nous assurer que ces dernières soient bien vraies, il faut qu'elles aient été démontrées.

Or, pour démontrer ces prémisses, il nous faut d'autres prémisses qui doivent à leur tour être démontrées… Il nous faut donc remonter sans cesse, de prémisses en prémisses.

Il nous faut donc une idée de départ, que nous considérerons comme vraie, sans l'avoir démontrée.

Ces idées, appelées axiomes, sont des propositions indémontrables car évidentes et admises comme un point de départ d'un raisonnement, en particulier en mathématiques.

Aristote écrivait à leur sujet dans Métaphysique « c'est de l'ignorance, en effet, que de ne pas distinguer ce qui a besoin de démonstration et ce qui n'en a pas besoin.

Or il est absolument impossible de tout démontrer : on irait à l'infini, de telle sorte que, même ainsi, il n'y aurait pas de démonstration.

Et s'il y a des vérités dont il ne faut pas chercher de démonstration, qu'on nous dise pour quel principe il le faut moins que pour celui-là ? » .

Tout en affirmant qu'il est absurde de chercher à démontrer l'évidence, il concède que les évidences ne sont pas démontrables, et que tout au sens de l'entité du monde n'est dons pas démontrable. Tout démontrer avec la rigueur mathématicienne semble donc être une tâche bien complexe, même si de grands philosophes se sont attelés à cette tache, tels que Descartes par exemple, ne reculant pas devant un tel défi.

Il reste toujours quelques postulats et axiomes qui résistent à de tels raisonnements, même si la nécessité de leur démonstration peut être remise en cause.

Mais même si la démonstration est capable de fournir des vérités, est-ce la seule démarche possible ? L'idéal démonstratif est-il la seule et authentique démarche de connaissance ? De plus, avons-nous besoin de vivre dans un monde où tout est démontré, où tout a un fonctionnement figé, où rien n'est laissé au hasard ? Une part de liberté d'interprétation nous est nécessaire, et c'est en faisant des erreurs de ce type que l'on découvre de nouvelles choses.. »

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