Peut-on définir la raison comme un ensemble de principes immuables, universels et nécessaires ?
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De la résolution de ce problème dépend évidemment le destin du rationalisme classique fondé sur l'immuabilité de
l'ordre éternel de la nature.
L'argument le plus fort en faveur d'une évolution de la raison a été donné par la découverte de la « mentalité
prélogique » que Levy-Bruhl décrivait dans ses ouvrages sur les primitifs et que les psychologues pensèrent
retrouver chez les enfants.
Cette mentalité prélogique est en particulier caractérisée par F absence du principe
d'identité et l'absence du principe de causalité objective, remplacés par le principe de participation mystique et le
principe du pouvoir magique.
Ainsi, pour le primitif, chaque individu est lui-même et l'animal totem à la fois, et si un
guerrier est happé par un crocodile, ses camarades y voient non pas l'action du crocodile mais le maléfice d'un
sorcier (« imperméabilité à l'expérience » dit Levy-Bruhl).
— A ces arguments on répondit que les croyances étaient prélogiques, mais les actes (viser l'animal pour le tuer)
impliquaient une bonne causalité vécue (arguments de Bergson).
Il n'en reste pas moins que l'idée de réalité est
profondément différente dans la mentalité prélogique et dans la nôtre parce que les primitifs n'ont pas la notion
d'objectivité.
D'autre part, G.
Bachelard a montré qu'après l'âge de l'animisme et l'âge du dogmatisme, la raison atteignait, depuis
le XXe siècle, un âge nouveau où ses principes devaient changer pour rester adaptés à l'expérience de la science
nouvelle : c'est l'âge d'une chimie non-lavoisienne, d'une physique non-cartésienne, d'une logique nonaristotélicienne.
Sans arguer du fait que G.
Bachelard fait le procès de la raison au nom de la raison, disons, avec Lalande (« La
raison et les normes » 1942), qu'il faut distinguer la raison constituante et la raison constituée.
La raison constituée
est l'ensemble des principes logiques admis à une époque donnée, à un âge de la raison ; la raison constituante est
la raison capable de perfectionner ses principes pour mieux saisir le tissu des relations réelles, ce qui reste son
besoin a priori permanent.
Elle est donc non pas une raison « fermée » sur les méthodes, mais, comme le désire G.
Bachelard, une raison « ouverte ».
INTRODUCTION.
— Si toutes nos connaissances reposent en définitive sur des intuitions qui nous font atteindre la
réalité elle-même, notre savoir est considérablement étendu par l'élaboration rationnelle du donné intuitif : grâce à
la raison, l'esprit, en se fondant sur les données expérimentales, déborde toujours plus le domaine de l'expérience;
ensuite, par une organisation logique des connaissances acquises, il approfondit sans cesse son intelligence du réel.
Or, l'armature de cette activité et d»e ce savoir est constituée par les principes de la raison : dans les sciences
mathématiques, dont l'objet n'est qu'une abstraction de l'esprit, n'intervient que le principe d'identité avec ses
dérivés, le principe de contradiction et le principe du tiers exclu; dans les sciences expérimentales qui cherchent à
déterminer les lois de la réalité concrète, comme d'ailleurs dans la pensée pratique complètement engagée dans le
réel, les principes que nous venons d'énumérer restent toujours nécessaires pour assurer la correction logique des
opérations mentales; mais le levier essentiel du progrès, de la découverte et de la preuve est le principe de raison
suffisante qu'on invoque le plus, souvent sous une de ses formes dérivées, le principe de causalité et le principe de
finalité.
Par suite, la valeur de nos connaissances dépend de la valeur de cette armature qui a contribué à leur acquisition et
les a élaborées en un système cohérent.
Sans doute, il est théoriquement des connaissances intuitives qui, nous
donnant l'objet avant toute élaboration rationnelle, présentent une valeur absolue Mais, pratiquement, chez l'adulte,
l'intuition pure n'est plus qu'un état limite auquel il est incapable de revenir : le savoir élaboré par l'esprit se
superpose constamment au donné intuitif quand il ne se substitue pas à lui.
Aussi n'est-il pas exagéré de faire
dépendre la valeur de nos connaissances de la valeur des principes.
Il est donc important de savoir si les principes de la raison sont immuables.
Cette immutabilité seule peut garantir la
valeur de l'édifice des sciences comme aussi la légitimité de nos certitudes.
I.
— La thèse : L'IMMUTABILITÉ.
(Conception classique.)
A la question de l'immutabilité des principes de la raison, la philosophie classique répond nettement par l'affirmative.
Pour elle, les principes de la raison sont la loi de toute pensée; par suite, il est contradictoire de concevoir un esprit
soumis à des principes différents.
Les principes ne changent donc pas avec l'âge mental, soit des individus, soit des peuples.
Sans doute, il est un
niveau de développement auquel la raison n'apparaît pas ou n'apparaît guère : la vie psychique s'explique alors
totalement ou principalement par le jeu des associations.
Mais dès que la pensée prend le caractère rationnel, elle
se conforme aux principes qui régissent l'activité intellectuelle de l'adulte civilisé.
Il y a donc bien un progrès de la raison en ce sens que les hommes, à mesure qu'ils s'instruisent et se forment
l'esprit, s'habituent à penser plus rationnellement et à éliminer de leurs jugements les facteurs extra-rationnels qui
les faussent.
Mais ce progrès s'effectue toujours dans le même sens et consiste dans l'extension à des domaines
nouveaux de principes d'abord admis dans la partie du réel la plus aisée à connaître : c'est ainsi que le principe de
raison suffisante a été progressivement étendu du règne minéral à celui du vivant, puis à l'activité humaine,
individuelle ou collective, et même à des faits psychiques qui, comme les lapsus ou les rêves, semblent ne relever
que du hasard; la tentative faite par E.
MEYERSON de ramener l'explication causale à l'explication par l'identité nous
fournit un autre exemple du progrès de la rationalisation tel que le concevait la philosophie classique.
II.
— L'antithèse : LA MUTABILITÉ (Conception dialectique.)
A.
Faits contraires à la conception classique.
— La conviction de l'immutabilité des principes de la raison a été
fortement ébranlée chez nombre de philosophes contemporains par une observation plus attentive et plus étendue
de la pensée humaine et surtout par le développement de la physique dans le sens de l'infiniment grand et de.
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