Peut-on constituer une morale indépendante, pour ses principes et pour ses fins, de toute croyance et de tout postulat métaphysique
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Peut-on constituer une morale indépendante, pour ses principes et pour ses fins, de toute croyance et de
tout postulat métaphysique ?
INTRODUCTION.
— L'essentiel, pour l'homme, c'est de réaliser sa destinée Aussi, lorsqu'il s'agit d'établir le
programme de vie lui assurant la réalisation de ce qui doit être son plus profond désir, le moraliste voudrait ne tabler
que sur le certain et l'indiscuté.
Or, les croyances religieuses et les thèses métaphysiques qui sont à la base de la
morale de la plupart des hommes donnent lieu à des discussions qui ne sont pas à la veille de prendre fin.
C'est
pourquoi certains penseurs ont naguère formé lt projet d'une morale indépendante de ces conceptions qui ne
réalisent pas l'unanimité des esprits.
Mais leur dessein n'était-il pas d'avance voué à l'échec ? Est-il possible de
constituer une morale dont les principes et les fins se déterminent indépendamment de toute croyance et de tout
postulat métaphysique ?
I.
Exposé de la question.
— II convient d'abord de préciser le problème que nous avons à résoudre et de
déterminer le sens des termes principaux de la question.
Une morale est un ensemble de règles de conduite admises comme obligatoires.
Toute morale est donc normative :
par définition, elle indique ce qui doit être, comment il faut agir.
Mais tout ensemble de règles de conduite n'est pas une morale constituée.
Pour qu'une morale puisse être
considérée comme constituée, ses éléments doivent former un tout cohérent dont les diverses parties se tiennent
ensemble (cum stant) et qui repose sur une base solide.
Pour cela elle doit répondre, dans ses détails et dans son
ensemble, à tous les « pourquoi » qui peuvent être posés.
Mais « pourquoi » a deux significations principales,
correspondant aux deux grands principes directeurs de la connaissance rationnelle : « à cause de quoi » ? et « en
vue de quoi » ? En répondant à la première de ces questions, le moraliste détermine les principes de la morale; en
répondant à la seconde, il fixe ses fins.
Il faut entendre ici par « principes » les données premières posées à la base du système dont elles justifient toutes
les propositions sans avoir! besoin elles-mêmes d'être justifiées.
Comme principes de la morale, voici les principaux
qui ont été proposés : 1° la nature libre et raisonnable de l'homme, qui entraîne une dignité dont la sauvegarde
mérite les plus grands sacrifices; 2° la société, être moral immense qui vaut bien le dévouement des pauvres
individus que nous sommes; 3° enfin, Dieu, conçu soit comme le souverain maître de toutes choses, ayant le droit
d'imposer ses volontés, soit comme la Raison souveraine, norme absolue de toutes les raisons et de toute activité
raisonnable.
En parlant des fins de la morale, on veut désigner le but auquel doit viser l'agent moral.
On peut ramener à deux les
diverses fins qui ont été proposées : d'une part, le bien ou la vertu, c'est-à-dire la réalisation d'un idéal; de l'autre,
le bonheur, c'est-à-dire la satisfaction de toutes les tendances, mais principalement le contentement résultant de la
conscience de sa propre perfection.
Mais où pouvons-nous espérer la réalisation de ces fins ? La morale naturelle
des anciens, se bornant à la terre, enseignait que le bonheur et la perfection devaient être cherchés dans cette
vie.
Le christianisme a changé les perspectives : notre vraie fin est dans l'au-delà que notre passage sur terre est
destiné à préparer.
Ces principes et ces fins, peut-on les déterminer indépendamment de toute croyance et de toute métaphysique ?
La métaphysique, sur laquelle la plupart des philosophes fondent la morale, constitue la véritable philosophie, dont
elle réalise la définition la plus courante : la connaissance de la nature intime des choses et de leurs causes
dernières.
La morale classique considère comme démontrées — et dans ce sens postule — les thèses métaphysiques
du spiritualisme : liberté, spiritualité et immortalité de l'âme, existence de Dieu.
La notion de croyance est plus vague.
Ce mot désigne parfois de ces opinions ou plutôt de ces attitudes pratiques
commandées par le milieu, par les sentiments ou les intérêts, qui ne présentent à peu près rien d'intellectuel et ne
comportent aucune justification rationnelle.
Mais il est des croyances plus rationnelles qui supposent des raisons
explicites, quoique insuffisantes à entraîner l'adhésion de l'esprit sans l'intervention de forces d'ordre extra
intellectuel, en particulier de la volonté : telles sont les croyances religieuses des esprits réfléchis sur lesquelles se
fonde la morale traditionnelle de notre pays.
Ces fondements sont-ils nécessaires, ou bien pouvons-nous établir les principes et les fins de la morale
indépendamment de toute croyance et de tout postulat métaphysique ?.
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