Peut-on considérer que la science et la philosophie nous délivrent des mythes ?
Extrait du document
«
1) En apparence, la philosophie nous délivre du mythe, la science nous délivre de la philosophie.
On entendra ici par « mythe » un récit imaginaire correspondant à une étape prélogique de la pensée : ainsi nous
qualifions de mythe une histoire fausse qui nous mystifie.
a) Le mythe est à entendre comme fabulation primitive, étape préphilosophique et préscientifique du
savoir:
La mythologie apparaît d'abord comme un ensemble de croyances anciennes, révolues.
Il s'agirait de représentations
imagées et illusoires, de naïves tentatives d'explication du monde et de l'homme.
Le mythe relèverait de la fabulation
enfantine, il serait une conscience fausse du monde, une parole douteuse née de l'impuissance rationnelle de
l'homme archaïque.
Faute de savoir, on se contenterait de « raconter des histoires», au sens propre et figuré.
À ce
titre, le mythe n'intéresserait que l'historien des mentalités primitives et prélogiques.
b) La philosophie se constitue comme refus du mythe.
le logos (parole rationnelle) délivre du muthos:
« Il ne sera pas ici raconté d'histoires (muthoi, en grec, pluriel de muthos, l'histoire, le récit) ».
Ainsi Platon
inaugure-t-il le Sophiste.
IL faut en effet passer de l'enfance crédule à la majorité intellectuelle, d'une parole reçue
de la tradition à une parole critiquée et examinée, de l'image à l'idée, du vraisemblable au vrai.
Il faut passer du
raconté (« contes de bonnes femmes », dit Gorgias en 527a) au démontré.
Dans le mythe, la fonction pratique
(rites) empêche la recherche théorique et désintéressée du vrai.
c) Mais à son tour La science se présente comme refus des « mythes» philosophiques:
De même que le mythe ne résisterait pas au progrès de la raison philosophique, de même celle-ci ne résisterait pas
au progrès de la raison scientifique.
La philosophie aurait pour domaine ce qui est vraisemblable et n'aurait plus qu'à
se taire lorsque paraît la vérité scientifique : ainsi, les philosophes ont spéculé sur le vide ou les atomes, jusqu'à ce
que la science les ait fait connaître avec certitude.
Selon A.
Comte, l'esprit humain progresserait en passant par
trois états : l'état théologique, celui du mythe et de la religion, propre à l'enfance imaginative ; l'état métaphysique,
propre à L'adolescence éprise d'absolu ; enfin, l'état positif, celui de la science adulte, qui renonce à La question
«pourquoi?» et se contente de la question « comment?»
Transition : Si on peut dénoncer scientifiquement les « mythes » philosophiques (la quête métaphysique
engendrerait de nouvelles fabulations, comme l'a d'ailleurs soupçonné Nietzsche à propos du «cas » Socrate), ne
doit-on pas encore davantage dénoncer philosophiquement les mythes engendrés par la science.
CITATIONS:
1- "Le mythe donne une réponse; provisoire, il est vrai, mais enfin une réponse aux questions de l'homme curieux de
connaître la raison des choses.
Il s'agit donc d'un phénomène purement intellectuel.
La mythologie comme la science
est donc un produit de l'intellect...
Ce qui la distingue de la science, c'est qu'elle dinne infiniment plus de poids à
l'imagination et pas assez à l'observation." Krappe, La genèse des mythes, page 32.
2- "Mythe est le nom de tout ce qui n'existe et ne subsiste qu'ayant la parole pour cause." Valéry, Variété, pléiade,
I, page 967.
3- "pendant des millénaires, le mythe a été un certain mode de construction intellectuelle...
Mais, dans notre
civilisation, à une époque qui se situe vers le XVII è, avec le début de la pensée scientifique -Bacon, Descartes et
quelques autres-, le mythe est mort ou, à tout le moins, il a passé à l'arrière-plan comme type de construction
intellectuelle.
Alors ...
la musique a pris en charge certaines des fonctions que le mythe cessait d'assumer." C.
LéviStrauss, La voix compte plus que la parole, La quinzaine littéraire, 1er Août 1978.
- "Peut-être découvrirons-nous un jour que la même logique est à l'oeuvre dans la pensée mythique et dans la
pensée scientifique, et que l'homme a toujours pensé aussi bien." C.
Lévi-Strauss, Anthropologie structurale, page
254.
4- "Le mythe, ainsi démythologisé au contact de l'histoire, et élevé à la dignité de symbole, est une dimension de la
pensée moderne." P.
Ricoeur, Finitude et culpabilité, II, page 13.
5- "l'art grec suppose la mythologie grecque, c'est à dire la nature et les formes sociales, déjà élaborées au travers
de l'imagination populaire d'une manière inconsciemment artistique." Marx, Introduction générale à la critique de
l'économie politique.
6- "Il y a mythe et mythe, et s'il fallait condamner le mythe dans son ensemble, on en viendrait à condamner toute
religion et même toute raison.
La puissance de symboliser peut bien devenir un piège pour la pensée, mais elle en
est aussi le germe." Pradines, L'esprit de la religion page 272.
7- "Le mythe du bonheur est celui qui recueille et incarne dans les sociétés modernes le mythe de l'Égalité." J..
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