Peut-on concilier la liberté et l'égalité dans la vie sociale ?
Extrait du document
«
Introduction.
Les notions d'égalité et de liberté sont deux éléments essentiels de l'idéal démocratique.
Certains
auteurs se sont plu cependant à les opposer ou, du moins, à les présenter comme l'expression de deux courants
distincts, issus de sources tout à fait différentes, qui se seraient rencontrés par suite de circonstances historiques,
mais sans convergence réelle.
I.
Opposition apparente de l'égalité et de la liberté.
A.
— Cette thèse a été soutenue notamment par G.
Gurvitch (voir son article Le principe démocratique et la
démocratie future, dans la Revue de Métaphysique et de Morale, juil.-sept.
1929, p.
403 et suiv.).
Selon cet auteur,
l'idée d'égalité aurait son origine dans la politique de nivellement pratiquée par la monarchie dans sa lutte contre la
féodalité, plus tard dans les théories du droit naturel.
L'idée de liberté viendrait, au contraire, de l'action de la secte
anglaise des Indépendants fondée vers 1580 par Robert Browne et illustrée par Cromwell; développée sur le plan
philosophique par John LOCKE, elle prit tout son essor avec l'individualisme du xviiie siècle.
Ces deux idées seraient
loin de former un ensemble homogène; car, tandis que la seconde est liée à l'individualisme, la première
s'apparenterait à « l'universalisme » c'est-à-dire à la doctrine qui considère la société comme « un tout organique »
puisant en lui-même le principe de sa vie : « L'égalité est une fonction du tout » (art.
cité, p.
409).
B.
— On ne peut nier que les deux notions d'égalité et de liberté répondent à deux exigences distinctes de l'idéal
démocratique : « La revendication égalitaire vise non pas à transformer les hommes, mais à répartir entre eux les
pouvoirs et les biens.
Au contraire, la revendication de la liberté tend à développer l'être humain dans un sens
déterminé, celui de l'autonomie, celui de la personnalité » (Roger LACOMBE, La Crise de la démocratie, p.
10).
A la
limite, on aboutirait à deux conceptions très différentes de la démocratie : d'une part, avec l'idée de liberté, à «
l'idée que les pays d'Occident, et plus particulièrement peut-être anglo-saxons, se font de la démocratie », et, de
l'autre, avec l'idée d'égalité, au « sens que lui accordent la Russie bolcheviste et tous ceux qui subissent son
influence » (Ibid., p.
11).
C.
— Il est faux cependant que les deux idées aient des origines aussi différentes que l'indiquait l'auteur cité cidessus.
« Du point de vue historique, le mouvement vers l'égalité et celui vers la liberté s'accompagnent.
L'un et
l'autre se développent lorsque s'affaiblit le prestige de la tradition, lorsque la réflexion et l'esprit critique s'appliquent
aux questions politiques.
A ce moment, l'individu prend conscience de sa réalité propre en face de la société; il
commence à se libérer du conformisme, à affirmer sa personnalité; il est bientôt conduit à réclamer sa liberté.
Mais,
en même temps, les classes sociales inférieures, réfléchissant sur leur condition, se rendent compte peu à peu
qu'elle n'est pas inévitable; elles en viennent à vouloir la disparition des inégalités qu'elles subissent » (R.
LACOMBE,
ouv.
cité, p.
8).
— Bien mieux, il est permis de reconnaître, à la source même des deux idées, une inspiration
commune : « L'idée de la liberté, écrit Henry MICHEL dans son Idée de l'État, est par excellence une idée
chrétienne...
Il a fallu le dogme du péché originel, celui de la rédemption, celui de la grâce, pour mettre la liberté au
rang qu'elle occupe dans la philosophie moderne.
» De même, « l'égalité, la haute valeur de la personne, telles que le
christianisme les a comprises et proclamées », sont devenues « une très positive conquête de la conscience » (Ouv.
cité, p.
72-73).
Ce n'est pas l'idée d'un « tout organique » qui a engendré l'idée de l'égalité, c'est celle d'une «
communauté » dont tous les membres sont fils du même Père et ont été rachetés par le sang d'un même Christ.
II.
Solidarité des deux notions.
A.
— Loin de s'opposer, les deux notions de liberté et d'égalité sont donc solidaires, parce qu'elles ont le même
fondement : la valeur de la personne humaine.
RENOUVIER l'avait déjà affirmé : « On oppose fréquemment la liberté
et l'égalité l'une à l'autre, et cet antagonisme est exact dans beaucoup d'applications où l'on doit les considérer
objectivement.
Mais, dans l'ordre purement moral, les hommes ne sauraient être libres quand ils ne sont pas égaux,
ni atteindre, quand ils ne sont pas libres, cette égalité qui suppose chez eux la dignité propre et le respect de la
dignité d'autrui » (Science de la Morale, liv.
IV, chap.
LXXXVIII, t.
II, p.
212).
En effet, comme le remarque R.
LACOMBE (Ouv.
cité, p.
7), « la liberté réclamée par la démocratie, c'est la liberté pour tous, et non pour quelquesuns : ce qui implique l'établissement d'une certaine forme d'égalité entre les hommes.
Inversement, tout progrès
vers l'égalité, puisqu'il est la suppression de certains privilèges, est ressenti par ceux qui en souffrent comme une
libération ».
B.
— On peut aller plus loin.
Ces conflits possibles que signale RENOUVIER entre les deux idées dans leurs
applications ne résulteraient-ils pas d'une fausse conception de l'une et de l'autre? —1 ° La liberté a été souvent
conçue, particulièrement dans le domaine économique, comme un « laissez-faire », une absence de toute
réglementation.
Or c'est la liberté ainsi conçue qui est responsable des inégalités sociales les plus criantes.
Mais
c'est qu'il y a là une fausse conception de la liberté.
La liberté vraie, selon DURKHEIM, est « le produit d'une
réglementation », et cette réglementation a précisément pour but d'empêcher ceux qui disposent de la force,
économique ou autre, d'en abuser pour créer des inégalités à leur profit.
— 2° Mais l'égalité, elle aussi, peut être
faussement conçue, comme une égalité de nivellement, qui ne respecte aucune supériorité, même légitime, et ne
tolère aucune hiérarchie, même bien fondée.
C'est cet égalitarisme-là qui se traduit par « ce mépris de l'individu et
de ses libertés essentielles que manifeste en pratique le communisme » (R.
LACOMBE, ouv.
cité, p.
24).
Mais l'égalité
vraie est tout autre chose : c'est une égalité au point de départ, qui laisse à chacun la possibilité de courir ses
chances, de faire valoir ses aptitudes et de développer sa personnalité.
Non seulement elle n'est pas opposée à la
liberté, mais elle lui est indispensable; car, ainsi que l'a dit H.
LASKI, « une société fondée sur l'inégalité est
forcément amenée à refuser la liberté ».
Conclusion.
Non seulement l'égalité et la liberté, pourvu qu'elles soient correctement conçues, sont conciliables,
mais elles procèdent de la même inspiration et ,elles sont nécessaires l'une à l'autre..
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