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Peut-on concevoir une société sans art ?

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« Problématique: Est-il possible, est-il légitime de former le concept d'un groupement humain organisé qui ne produirait aucune chose belle ? Ce sujet pose le problème de l'art en tant que moyen d'expression de la nature humaine: une société peutelle se passer de ce moyen et réduire sa vie à une activité purement utilitaire ? Les artistes n'ont-ils pas un rôle dans la cohésion sociale et n'oeuvrent-ils pas à la formation de ce sentiment d'appartenance commune ? L'artiste dangereux et nuisible. Platon montre que l'image artistique est doublement inadéquate, à la fois à l'être (à l'Idée) et à l'étant (à la chose représentée).

Que l'on compare, pour reprendre l'exemple du livre x, un lit fait par un menuisier, et un lit peint par un peintre.

L'artisan qui veut fabriquer un lit doit se référer en pensée à l'Idée du lit, se soumettre à ce qu'exige un tel ustensile, obéir à ses conditions d'utilisation.

Le peintre pourra se contenter de quelques traits et ombres qui évoqueront un lit.

Il lui suffira pour produire une vue du lit d'en donner une «apparence» (l'apparence de sa matérialité) sans se préoccuper de sa Forme, de son Idée, où se trouve inclus l'usage possible du lit: qu'on puisse s'y allonger.

Pour produire son image, l'artiste n'a pas à remonter à l'Idée.

Mais, en outre, Platon s'appuie sur le postulat réaliste qui veut qu'un lit dont on peut se servir est supérieur à un lit qu'on peut seulement regarder, et encore toujours sous le même angle.

L'art est ainsi condamné comme inadéquat à l'étant, autant qu'à l'être. Mais l'art n'est-il pas au moins respectable sinon admirable parce qu'il est difficile ? Non, rien de plus simple, dit Socrate, que de produire comme le fait un artiste.

Il suffit pour «produire » de cette façon de prendre un miroir et de le « promener en tous sens ».

Alors naîtront aussitôt des « apparences » (phaïnomena) de toutes choses.

L'art est ainsi déprécié à la faveur d'une affirmation surprenante: l'image artistique n'est qu'un reflet dans un miroir, une illusion sans substance.

Platon feint d'ignorer qu'il existe une technique du dessin, un art de la couleur.

La théorie du miroir évacue toute la matérialité de l'art.

L'artiste est assimilé à un charlatan dépourvu de « toute espèce de métier ».

Ce qu'il « produit », tout le monde peut le produire, et ce n'est pas une opération très difficile.

« Tu pourrais le produire toi-même, dit Socrate à Glaucon, d'une certaine façon et qui n'est pas compliquée,[...] pourvu qu'un miroir à la main tu veuilles le promener dans toutes les directions, tu auras vite fait de produire un soleil, vite de produire une terre, vite de te produire toi-même, tout comme le reste, animaux, objets fabriqués, plantes.

» L'artiste est défini comme un pseudo-producteur, comme un producteur aveugle de pures et simples apparences.

Car, dit Glaucon, il est certes possible de «produire» avec un miroir, mais ce seront des apparences, et non pas des étants «en vérité» (alètheia).

Le peintre produit un lit «apparent », c'est-à-dire inconsistant.

Et le menuisier ? « Il ne produit pas une Forme, ou ce qu'est le lit, mais seulement un lit particulier » (597 a).

Il ne produit pas la vérité en soi du lit, c'est-à-dire un lit parfaitement clair, car le bois du lit, le style, la facture, ne font qu'introduire de l'obscurité dans la clarté de l'essence du lit.

Cependant il produit vraiment un lit. D'où la hiérarchie des trois lits, qu'établit le texte: le premier lit, l'unique qui soit existant « par nature », le Prototype, l'aspect essentiel établi ou contrôlé par le dieu lui-même ; le second, fabriqué par le menuisier; le troisième, peint par le peintre.

Ici le terme « nature », phusis, signifie bien entendu, l'essence, ce qui se montre de soi-même, par opposition à ce qui est produit par le moyen d'autre chose.

Imitation de la nature veut dire pour Platon, imitation de l'eïdos, de l'Idée.

L'Idée n'est pas véritablement produite par le dieu.

Il la laisse s'épanouir et veille seulement sur son identité et unicité éternelle.

Car s'il y en avait deux, elles auraient nécessairement une nature commune, et se réduiraient à une troisième.

Ainsi il y a trois sortes de «préposés » à trois modes de présence de l'être: «Le peintre, l'artisan, le dieu sont ces trois préposés qui président à trois modes de l'eïdos du lit.» Platon distingue donc trois degrés de « production », c'est-à-dire de « venue à la présence », et trois types de « producteurs » : 1.

Le dieu - « il laisse surgir la nature » (phusisphuei).

Dieu seul est artiste, dira Schelling.

Il est nommé phutourgos: celui qui prend soin de la présentation du pur Aspect des choses ; 2.

L'artisan - « l'ouvrier du lit » (dèmiourgos klinés), celui qui laisse apparaître dans le bois cet objet disponible, à chaque fois singulier, qui correspond vraiment à l'idée du lit; 3.

Le peintre - il ne fait paraître ni le pur Aspect du lit, ni un lit utilisable, mais il obscurcit lourdement l'eïdos par la matière de la couleur et de la surface peinte, ainsi que par l'angle unique, réducteur, sous lequel est présenté l'objet.

Le tableau est ainsi la «troisième production», la troisième « à partir de la nature », dit le texte (597 e), c'est-à-dire à partir de l'Idée.

L'« imitateur » (mimètès) est celui qui préside à ce troisième degré d'éloignement par rapport à la vérité.

Il mérite le nom d'«ouvrier de l'image », car il se propose non pas de représenter le lit tel qu'il est, mais tel qu'il paraît. L'artiste a-t-il de cette apparence fantomatique le moindre savoir ? Peut-on apprendre d'un peintre la façon de faire un lit ? Peut-on apprendre d'un poète qui chantera une guérison la manière de guérir ? Les poètes ne savent pas de. »

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