Peut-on concevoir une morale sans jugement ni obligation ?
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Thèmes : Nous allons d’emblée procéder à l’analyse de deux thèmes autour desquels s’articule l’énoncé : l’obligation et le jugement. (i) L’obligation : L’obligation, dans le cadre d’une réflexion sur le domaine de la morale, se caractérise par son action sur le sujet. Face à l’obligation, le sujet est réduit à un état de passivité contrainte. En tant que sujet, et qui plus est sujet de la morale en question, il subit de l’extérieur (d’où la dimension de passivité) une contrainte à laquelle il doit se soumettre, mais à laquelle il peut également se soustraire et donc contrevenir à l’obligation. Aussi l’obligation peut-elle être éclairée à l’aide de la notion de norme et de règle de coercition. Une fois sa légitimité et le domaine de son emprise définis, ce qui ne s’y soumet pas est coupable de son enfreinte. En termes de morale, l’obligation permet l’élaboration d’un critère de distinction entre obéissance et déviance. Ce critère est résumé dans le concept de devoir. L’obligation implique le devoir. Et le devoir, en tant que devoir-être et/ou devoir-faire, est toujours à la fois normatif et prescriptif. (ii) Le jugement : le terme de jugement est quant à lui ambivalent : d’une part en effet, il appartient strictement au domaine de la connaissance et du savoir (domaine épistémique), d’autre part il peut également vouloir signifier un critère de valeur, et à nouveau un certain mode d’expression de la normativité (domaine axiologique).
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Thèmes : Nous allons d'emblée procéder à l'analyse de deux thèmes autour desquels s'articule l'énoncé : l'obligation et le jugement.
(i) L'obligation :
L'obligation, dans le cadre d'une réflexion sur le domaine de la morale, se caractérise par son action sur le sujet.
Face à l'obligation, le sujet est réduit à un
état de passivité contrainte.
En tant que sujet, et qui plus est sujet de la morale en question, il subit de l'extérieur (d'où la dimension de passivité) une
contrainte à laquelle il doit se soumettre, mais à laquelle il peut également se soustraire et donc contrevenir à l'obligation.
A ussi l'obligation peut-elle être
éclairée à l'aide de la notion de norme et de règle de coercition.
Une fois sa légitimité et le domaine de son emprise définis, ce qui ne s'y soumet pas est
coupable de son enfreinte.
En termes de morale, l'obligation permet l'élaboration d'un critère de distinction entre obéissance et déviance.
C e critère est
résumé dans le concept de devoir.
L'obligation implique le devoir.
Et le devoir, en tant que devoir-être et/ou devoir-faire, est toujours à la fois normatif et
prescriptif.
(ii) Le jugement : le terme de jugement est quant à lui ambivalent : d'une part en effet, il appartient strictement au domaine de la connaissance et
du savoir (domaine épistémique), d'autre part il peut également vouloir signifier un critère de valeur, et à nouveau un certain mode d'expression de la
normativité (domaine axiologique).
Problème : Suite à l'analyse des deux thèmes fondamentaux de l'énoncé, attardons-nous afin sur la question de la conception (« …concevoir une morale »)
afin d'en clarifier la problématique.
La notion de conception est à entendre dans le sens de ‘théoriser'.
En outre, dans la formulation de la question de
l'énoncé, le verbe ‘concevoir' figure sous un régime propre de modalité : la possibilité (« Peut-on… »).
Et le régime modal de la possibilité, employé dans une
interrogation, implique et suppose toujours une réflexion sur le conditions de possibilité : se demander si quelque chose est possible, implique toujours de
s e demander à quelle condition elle peut, ou non, être possible.
C ar si aucune condition ne peut en satifaire la possibilité, il est évident qu'elle sera
impossible.
La problématique de l'énoncé peut donc être reformulée comme suit : à quelle condition une théorisation de la morale est-elle possible sans y
faire intervenir aucun ordre normatif-prescriptif (devoir) et axiologique (évaluation-jugement) ? Répondre à une telle question exige, dans un premier temps,
de proposer une définition de la notion de morale (ceci concerne les conditions théoriques de possibilité), et dans un second temps, d'en définir le domaine,
ou champ d'application (ceci en concerne la possibilité effective pratique).
*
I.
Définir la morale
Définir la morale est un préalable nécessaire à toute réflexion sur la possibilité de concevoir une théorie morale de tel ou tel ordre.
C eci tient au fait que la
fonction de la définition est de déterminer quels sont les propritétés ou caractères qui entrent dans le contenu de signification d'une notion, dans notre cas
la morale.
A ussi, définir la morale doit permettre de déterminer si obligation et jugement sont des attributs nécessaires à la signification de la notion de
morale.
S'il le sont, et partant, si sans eux la morale n'est pas une morale au sens propre, alors concevoir une morale sans obligation ni jugement relèvera
simplement du non-sens.
Q uels sont donc les caractères distinctifs propres de la morale ? La morale appartient toujours au domaine de l'évaluation.
Il y a
toujours possibilité de décréter la valeur de tels acte ou comportement en référence à la morale.
En conséquence, la morale a pour fonction de fournir une
échelle de valeur à l'aune de laquelle tout acte humain est susceptible d'être comparé.
En ce sens, la morale implique dans sa définition comme condition de
son existence effective une dimension axiologique propre qui s'exprime toujours dans le jugement.
Sans jugements, pas de morale.
C e qui ne signifie bien
sûr en aucune cas que tout jugement est affaire de morale, mais bien que toute morale est d'ordre judicative.
Tel est son sens définitionnel, telle est sa
condition.
Quant à l'obligation, le point est certainement plus complexe.
C ar il concerne l'application pratique de la morale en tant que corps de règles
évaluant le comportement.
C eci est la dimension prescriptive de la règle.
C 'est en référence à la Critique de la raison pratique de Kant que le caractère
prescriptif de la morale peut le mieux se comprendre.
P our ce dernier en effet, la morale est de l'ordre du devoir.
Il y a morale quand le comportement
soumet librement sa volonté (bonne) à la contrainte de la loi (morale).
C 'est en ce sens que seulement en la morale il peut être question, pour Kant de liberté
d'un acte.
Parce qu'être libre, c'est obéir à la loi du ‘T u dois !'.
En retour à l'approche définitionnelle du début de cette partie, la morale doit donc se
caractériser par une certaine transcendance : elle est la norme, extérieure au sujet et impérieuse, d'un commandement.
(C 'est même par sa transcendance
que la morale se distingue par exemple de l'éthique, quant à elle immanente et horizontalisée.) En conséquence, une morale sans devoir, c'est-à-dire sans
obligation, n'est pas plus possible qu'une morale sans jugement.
A llons même plus loin, si la définition de la morale par sa transcendance fait consensus (ce
qui, à vrai dire, est le cas), alors vouloir concevoir une morale sans jugement ni obligation est simplement une contradiction dans les termes, et relève du
non-sens.
II.
La réalité effective et pratique de la morale
Le problème de l'absolutisation de la transcendance dans la morale kantienne consiste en son impossible application pratique : jamais il est possible de
juger moralement avec certitude, car la liberté, étant d'un ordre distinct de la réalité factuelle des choses de la nature (soumis aux lois de la causalité), ne
saurait s'y manifester indubitablement.
A ussi, si concevoir une morale est en ériger la transcendance, la morale conçue, certes dans le respect définitionnel
du jugement et de l'obligation, sera impossible en pratique.
En élargissant le concept de morale, en le défaisant de sa référence à la transcendance, nous
sommes transposés sur le plan de l'éthique.
L'éthique se distingue de la morale par son immanence, et donc par l'intervention d'une dimension également
descriptive (et non plus uniquement prescriptive et contraignante comme l'est le devoir dans la morale) : on y parle de bon et de mauvais en tant qu'ils sont
des notions relatives, et non plus de Bien et de Mal en tant que valeurs absolues (Spinoza, Ethique).
C ependant, une telle extension, qui est la seule
condition de possibilité d'une conception de la morale qui se passe de jugement catégorique et d'impératif moral soumettant définitivement le sujet par
l'élévation des concepts d'obligation et de devoir en condition de sa liberté, n'omet en aucun cas toute référence à une normativité du comportement.
Et la
norme rend possible le décret de déviance, l'exclusion du comportement par référence à la règle.
Et la référence à la règle n'est autre chose que la
manifestation de l'exercice du jugement.
A insi pour A ristote (Ethique à Nicomaque), la condition du caractère éthique d'un comportement est la possibilité de
son évaluation en termes de louange ou de blâme ; si le comportement n'est pas susceptible d'une évaluation, c'est-à-dire d'être jugé, c'est qu'en lui ne se
manifeste aucune délibération et liberté d'agir.
O r ce qui n'est pas libre ne relève simplement pas de l'éthique.
Et ce qui dans la libre volonté est louable est
le choix de la vertu, c'est-à-dire le désir du bien : il y a là, certes non pas obligation, mais du moins valeur et critère normatif contraignant.
Donc, même par
extension de la définition de la morale au domaine de l'éthique ne peut se passer, si ce n'est d'obligation (auquel cas ce n'est plus à proprement parler de la
morale), du moins du jugement.
Il est non seulement impossible de concevoir une morale sans obligation ni jugement sur le plan théorique, mais également
pratique.
*
Conclusion
-
O bligation et jugement appartiennent à la définition théorique la notion de morale en tant qu'attributs nécessaires à son existence.
Le jugement est caractéristique de la fonction de la morale : en tant que norme, elle doit toujours permettre l'évaluation.
La morale est
axiologique.
L'obligation est caractéristique du statut de la morale.
Elle est l'expression propre de sa transcendance..
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