Peut-il y avoir une pensée sans mots ?
Extrait du document
«
Nous avons vu qu'il n'y a pas de pensée sans langage.
Mais qui n'a pas fait l'expérience de « chercher ses mots
»?
Cette expérience témoigne de l'existence d'une pensée antérieure à la parole, d'une antériorité à la fois de
temps et de causalité.
Il y a là quelque chose que nous pensons comme un « encore à dire », une sorte de
pensée antérieure à tout discours, même intérieur.
Tantôt nous ne trouvons pas les mots pour le dire soit
parce que, jusqu'à présent, cela n'a pas encore été dit et qu'il faudrait avoir recours à des mots nouveaux, soit
parce que notre pensée refuse de faire surface et d'émerger des profondeurs de l'esprit.
Tantôt nous trouvons
les mots, mais, une fois ceux-ci trouvés, nous avons le sentiment que le langage a pacifié notre pensée, qu'il
l'a faite passer à l'être et au repos, voire qu'il l'a pétrifiée.
Dans le langage, notre pensée a son « domicile », elle se possède elle-même ; la pensée est un désir que le
langage satisfait, mais cette satisfaction ne peut être que provisoire.
Dans la mesure où le mouvement tend
vers le repos, la volonté vers l'habitude, la satisfaction du mot est provisoire puisque le mot est fixe tandis que
la pensée est dynamique.
Le mot réalise donc la pensée, lui donne une extériorité mais en même temps il la réalise sous une forme
particulière qui va exclure d'autres formes.
Le mot n'est qu'une des possibilités de la pensée, il n'est qu'un
vêtement.
Le mot est plat, précis, net déterminé et n'a aucune auréole.
La pensée est toujours plus nuancée,
plus riche.
La pensée est toujours plus profonde que le langage.
Il y a donc un ineffable qui n'est pas
seulement le monde du coeur ou des sentiments mais qui est aussi la pensée –cette pensée qui ne peut être
traduite par les mots.
[La pensée ne se réduit pas seulement à des concepts
bien définis, mais englobe tous les phénomènes de l'esprit.
Parmi ceux-ci, il y a l'imagination, le sentiment et la sensation,
qui ne peuvent pas toujours être exprimés par des mots.]
L'idée déborde le mot
S elon la théorie dite intellectualiste, l'idée désigne toujours une réalité beaucoup plus large que le mot utilisé
pour l'exprimer.
Ainsi, le mot cheval utilisé pour décrire génériquement tous les chevaux particuliers, qu'ils
soient grands ou petits, bais ou blancs, ne recouvre de loin pas toute la diversité contenue dans l'idée de
cheval.
«Le concept mutile le réel»
Le langage n'est-il qu'une médiation, un obstacle, entre langage et pensée, langage & réalité, ou peutil se comporter en intermédiaire fidèle ? N ‘arrivons-nous à penser qu'en dépit des mots, que malgré le
langage ?
Bergson est un remarquable interprète de la thèse selon laquelle le langage fait
obstacle à la pensée : sa conception des rapports entre la vie et la réalité fournit le sol propice
à cette thèse ; elle sera en effet le socle de sa distinction entre langage et pensée.
La vie, au sens où l'entend Bergson, est action, et s'oppose à la
réalité qu'elle nous empêche de voir.
Si vivre, c'est agir, c'est choisir :
c'est donc sélectionner ce qui répond en besoin, et élaborer des choses
une conception qui dépend des besoins.
Dans l'action et pour remplir les
besoins de la vie, nous concevons les choses selon un temps spatialité
alors que la réalité est pure durée.
Nous organisons la vie autour
d'habitudes alors que la vraie vie est création continue d'imprévisible
nouveauté.
Enfin nous la régissons à partir d'idées générales abstraites
alors que la durée, la vie ne peuvent être l'objet que d'une intuition.
Par conséquent, ce n'est pas seulement la vie qui nous masque la
vraie réalité, c'est aussi le langage, puisque celui-ci est un des moyens
par lesquels nous manquons la réalité.
Donc le langage ne fait que
renforcer quelque chose d'inscrit dans les besoins de la vie, et qui nous
éloigne de la réalité.
Le langage est un instrument de l'intelligence, mais il
trahit à la fois la réalité et la pensée..
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