Percevoir, c'est unifier - Merleau-Ponty
Extrait du document
«
Percevoir, c'est unifier
C'est un lieu commun de dire que nous avons cinq sens et, à première vue, chacun d'eux est comme un monde
sans communication avec les autres.
La lumière ou les couleurs qui agissent sur l'oeil n'agissent pas sur les
oreilles ni sur le toucher.
Et cependant on sait depuis longtemps que certains aveugles arrivent à se
représenter les couleurs qu'ils ne voient pas par le moyen des sons qu'ils entendent.
Par exemple un aveugle
disait que le rouge devait être quelque chose comme un coup de trompette.
Mais on a longtemps pensé qu'il
s'agissait là de phénomènes exceptionnels.
En réalité le phénomène est général.
Dans l'intoxication par la
mescaline', les sons sont régulièrement accompagnés par des taches de couleur dont la nuance, la forme et la
hauteur varient avec le timbre, l'intensité et la hauteur des sons.
Même les sujets normaux parlent de couleurs
chaudes, froides, criardes ou dures, de sons clairs, aigus, éclatants, rugueux ou moelleux, de bruits mous, de
parfums pénétrants.
Cézanne disait qu'on voit le velouté, la dureté, la mollesse, et même l'odeur des objets.
Ma
perception n'est donc pas une somme de données visuelles, tactiles, auditives, je perçois d'une manière indivise
avec mon être total, je saisis une structure unique de la chose, une unique manière d'exister qui parle à la fois
à tous mes sens.
MERLEAU-PONTY
1.
mescaline : substance provoquant des troubles hallucinatoires.
QUESTIONS
1.
a.
Quelle est la conception de la perception réfutée par Merleau-Ponty dans ce texte et quelle thèse
soutient-il ?
b.
Quels sont ses arguments ?
2.
a.
Expliquez : « chacun [des cinq sens] est comme un monde sans communication avec les autres.
»
b.
En vous appuyant sur les exemples dans le texte, expliquez : « une unique manière d'exister qui parle à la
fois à tous mes sens.
»
3.
Ma perception est-elle une somme de sensations ?
Mots clés
• lieu commun : banalité, cliché.
• communication : « vient du latin communicatio qui signifie « relations, commerce » et communicare, « mettre
en commun ».
Communiquer, c'est établir une relation avec quelqu'un ou avec quelque chose.
C'est donc échanger des
signes.
C'est pourquoi communication et information sont étroitement liées.
• se représenter quelque chose : former dans son esprit l'image d'une réalité absente, la concevoir, l'imaginer,
se la figurer.
• perception : vient du latin perceptio, « action de recueillir ».
En psychologie, c'est l'acte par lequel l'esprit
organise ses sensations et reconnaît un objet extérieur.
C'est aussi le résultat de cet acte.
• indivise : qui ne peut pas être divisé, partagé.
• structure : construction, composition, forme.
Idée directrice
Merleau-Ponty pose ici le problème de la perception : contrairement à une idée répandue, la perception n'est
pas « une somme de données » mais une activité synthétique.
La dernière phrase du texte vous indique
clairement la position de ce philosophe.
Structure du texte
Nous pouvons distinguer trois parties dans ce texte :
• « C'est un lieu commun [...] sur le toucher ».
Merleau-Ponty constate un lieu commun : nos cinq sens
semblent vivre indépendamment les uns des autres, sans échanger d'informations.
• « Et cependant [...] l'odeur des objets ».
Merleau-Ponty remet en question ce lieu commun par le moyen
d'exemples pertinents qui ne touchent pas seulement des cas pathologiques, comme l'aveugle, mais touchent
n'importe qui d'entre nous : tous nos sens communiquent entre eux.
• Ma perception [...] tous mes sens ».
Merleau-Ponty affirme ainsi sa thèse, conséquence de l'analyse qu'il
vient de faire.
Ma perception est une synthèse et non une juxtaposition des cinq sens.
QUESTION 1
Merleau-Ponty est un phénoménologue, c'est-à-dire un philosophe du vécu qui veut décrire concrètement le
monde et « revenir aux choses mêmes ».
Dans ce texte, il réfute la thèse selon laquelle nos sens sont séparés
les uns des autres, cloisonnés.
La perception n'est pas une « somme de données », une addition de sensations,
mais au contraire, tous nos sens sont en interrelation, en corrélation entre eux.
Percevoir, c'est synthétiser
tous ces échanges et ainsi rendre compte de l'unité du moi, du sujet pensant.
« Le monde est inséparable du
sujet [...], et le sujet est inséparable d'un monde qu'il projette lui-même », écrit-il dans la Phénoménologie de.
»
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