Pensez vous que connaître la vie des auteurs est nécessaire pour comprendre et appréciez leurs oeuvre
Extrait du document
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Les romanciers s'inspirent souvent de leurs expériences personnelles pour écrire leurs fictions, les poètes se nourrissent de leurs sentiments intimes pour
informer les vers ou la prose dont ils accouchent.
C omment séparer la vie de Genet, prostitué et emprisonné dans son jeune âge de ses premiers romans tel
Notre dame des fleurs, la vie de M usset de ses poèmes ou mieux encore celle de Proust d'A la recherche du temps perdu ? Mais l'oeuvre ne transcende t-elle
justement pas la vie de l'auteur, en la sublimant, la transfigurant en fiction littéraire n'est-elle pas toujours autre chose que ce dont elle s'inspire ? Dès lors
rapporter l'oeuvre à un événement de la vie de l'auteur n'est-ce pas manquer justement la force de l'écriture et son pouvoir d'arracher un drame à sa
banalité universelle et d'en faire une oeuvre d'art ? M ais c'est en se confrontant à des cas plus difficiles, celui des philosophes que nous affinerons notre
recherche, ceux-ci produisant des oeuvres qui a priori ne doivent rien à la contingence d'une vie, et pourtant.
I- Quand la fiction se nourrit de la réalité.
Souvent les auteurs de fiction s'inspirent de leur propre vie, intègrent partiellement des éléments vécus à leur récit, et les répètent de façon plus ou
moins réaliste.
Il ne faut pas dire que la fiction redouble la réalité mais s'en nourrit, l'écriture est pareille à la forme qui chez A ristote informe la matière, qui
ici est le vécu de l'auteur.
M ais s'il n'est pas inutile de savoir que tel élément décrit par tel auteur est autobiographique, ce savoir ne tient-il pas avant tout de l'exégèse ? Estil réellement indispensable pour comprendre et apprécier une oeuvre de fiction de reconnaître ça et là des faits probablement réels ? C ertainement non, en
effet, si la fiction se nourrit du réel en le portant à un niveau littéraire, factuellement on n'apprendra rien en retournant au réel, puisque les éléments intégrés
seront déjà connus et ceux laissés de côté ne nous apprennent rien sur l'oeuvre sinon ce serait postuler que l'oeuvre s'explique par des éléments cachés.
Une telle approche peut convenir pour une lecture psychanalytique mais paraît inapproprié lorsqu'il s'agit d'une pure appréciation littéraire.
On peut
dire que l'oeuvre ne sort pas d'elle-même, certes l'auteur peut la nourrir de sa vie ou elle peut l'éclairer mais de tels renseignements concernent plus celui
qui étudie la figure d'un auteur, les progrès de son style que celui qui simplement lit une oeuvre.
II- L'oeuvre reste pourtant liée à la vie de l'auteur.
L'oeuvre semble d'une certaine façon irréductible à la vie de l'auteur en cela qu'elle dit toujours plus, si A la recherche du temps perdu raconte la vie
de Proust elle ne se laisse pas résumer par cette vie, elle l'excède, déborde son modèle, y est à la fois comme enchaîné et pourtant autre, transcendant la
banalité dont elle s'inspire en la transformant en oeuvre d'art.
Mais cela n'est-il pas d'autant plus vrai dans le cas de la philosophie ? Le philosophe s'il doit être homme de son temps (et nul doute que de MarcA urèle en passant par Leibniz et jusqu'à Sartre beaucoup l'on été) et se préoccuper de problème actuels, n'écrit-il pas aussi en vue d'énoncer ou de
défendre des conceptions qu'il pense valoir éternellement ? N'est-ce pas en ce sens que l'on remarque que si la technique a progressé au fil des siècles, on
en est toujours en philosophie à se poser les mêmes questions que P laton ?
Pourtant, paradoxalement rien moins que la lecture des grandes oeuvres de philosophie ne saurait être séparé de la vie de son auteur.
C ertes on peut
apprendre de Descartes, de Platon ou de Kierkegaard sans rien savoir de leurs vies mais pourtant souvent celle-ci éclaire celle-là et la vie révèle l'oeuvre
sous une autre lumière, laissant paraître des motifs qui n'ont pas forcément de valeur que psychologique.
III- Le rapport entre l'oeuvre et la vie de l'auteur n'est pas anecdotique.
Dans la philosophie pratique de Kant (sa morale) le sujet doit se donner à lui-même sa propre loi, beaucoup ont vu là (Nietzsche notamment) un
rapport avec le protestantisme qui était la religion de Kant.
En effet, il n y a pas pour le protestant de médium entre soi et Dieu, de même dans la loi morale
le sujet est seul avec lui-même.
C 'est de cette façon tout un pan de la philosophie kantienne qui se trouve éclairée différemment, non parce que un
mécanisme psychologique a été découvert mais parce que la philosophie est happée par l'histoire et relativisée.
Le phénoménologue Michel Henry est l'auteur d'une philosophie où l'important est toujours du côté de l'invisible, de l'auto affection pure du sujet en
tant que celle-ci n'est possédée que du dedans par le sujet.
C e circuit interne du sujet avec lui-même on peut le rapporter à l'expérience d'Henry qui fut
résistant pendant la seconde guerre mondiale, vivre la résistance l'a conduit à placer dans le caché, le privé, l'invisible, ce qui était vital, l'intériorité
métaphysique est inspirée du repli nécessaire du résistant sur lui-même puisqu'il doit vivre comme une ombre.
C es deux exemples privilégiés illustrent que sous couvert de paraître anecdotique la relation entre un vécu et la direction apparemment désaffectée,
désintéressée, que prend une thèse, est en fait essentielle.
L'influence que le vécu peut avoir sur un philosophe montre comment l'auteur transforme une
expérience commune en philosophie, cela non seulement relativise en l'historisant la philosophie mais aussi, cela montre comment la philosophie, loin
d'avoir déserté le réel, y est ancrée, même lorsqu'elle fait de la métaphysique.
Rapprocher un vécu d'une théorie philosophique ce n'est pas réduire ou
expliquer la philosophie par la psychologie, c'est montrer la continuité entre les deux, entre l'histoire et la philosophie, le concret et l'abstrait.
Conclusion :
On pourra toujours apprécier une oeuvre en ignorant tout de la vie d'un auteur, mais, et c'est particulièrement vrai en philosophie, la vie de l'auteur
éclaire souvent l'oeuvre ou une partie de l'oeuvre de sorte que notre compréhension s'en trouve modifiée.
C e n'est certainement pas aussi valable pour tout
les philosophes, et parfois un rapport entre le vécu et une pensée peut ne sembler qu'anecdotique, toutefois il arrive que l'anecdote prenne une dimension
philosophique, on sait que Leibniz (cf.
Leibniz : introduction à sa philosophie, Belaval) retraduisit à dix ans un livre de T ite-Live sans rien connaître du latin et
sans dictionnaire, simplement en combinant les mots à partir de sens appréhendés grâce aux légendes de gravures présentes dans le livre.
C e « génie
combinatoire » semble déjà contenir le pouvoir qu'il développera d'inventer le calcul infinitésimal et la monadologie où l'unité contient une série infinie.
On
peut dire que le jeune Leibniz est déjà la monade qui contient toute la série des inventions à venir.
La vie rejoint le système, aussi abstrait qu'il puisse
paraître.
RAPPEL: LA MONADE CHEZ LEIBNIZ
C e terme renvoie à l'unité spirituelle élémentaire dont tout ce qui existe est composé.
La monade est à la métaphysique
ce que le point est à la géométrie à la fois unique et en nombre infini.
Il n'y a pas chez Leibniz de dualisme (d'un côté
l'âme et de l'autre l'esprit).
M êmes les minéraux ou les végétaux possèdent une dimension spirituelle ! Il y a des
monades douées de mémoire chez les animaux, des monades douées de raison comme chez les hommes.
Aucune monade
ne ressemble à une autre.
C hacune d'elles représente le monde de manière toujours particulière et plus ou moins claire, à
la manière de miroirs plus ou moins bien polis.
A la faveur de la bonté et de l'omniscience divines, toutes les monades
constituent un tout harmonieux, car chacune est comme un monde fermé, s a n s portes ni fenêtres, cad s a n s
communication..
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