Pensez-vous comme Valéry que le diplôme est l'ennemi mortel de la culture ?
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La société, qui a délivré le diplôme, entretient l'idée illusoire que le diplômé conserve en permanence la qualification acquise, alors même que, subordonnant l'approfondissement des connaissances à la réussite à l'examen, le candidat est amené à se contenter du minimum le mieux adapté aux conditions de passage de celui-ci, quitte à oublier au moins partiellement, ce minimum une fois l'obstacle franchi. Réciproquement, le diplômé imagine qu'il a acquis auprès de la société le droit de voir sa compétence reconnue d'une manière tout aussi permanente, par exemple en monnayant celle-ci dans des conditions fixées par la loi (sous forme d'emplois, de rémunérations, de pouvoirs... stables). Ce qui s'accorde mal avec la fluctuation des besoins sociaux, et les nécessités de l'évolution. Évidemment, seul un esprit prévenu pousserait l'explication jusqu'à s'interroger sur le non-dit qui sous-tend le raisonnement dans cette partie du texte, en l'occurrence une conférence écrite en 1935. Par exemple, en le rapprochant de la crise économique du début des années trente (avec, en France, chômage, récession, appauvrissement des classes moyennes, diminution du traitement des fonctionnaires, etc.). Il va de soi que Paul Valéry n'est inspiré que par la considération des exigences supérieures de l'esprit.
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La société, qui a délivré le diplôme, entretient l'idée illusoire que le diplômé conserve en permanence la qualification acquise, alors même
que, subordonnant l'approfondissement des connaissances à la réussite à l'examen, le candidat est amené à se contenter du minimum le
mieux adapté aux conditions de passage de celui-ci, quitte à oublier au moins partiellement, ce minimum une fois l'obstacle franchi.
Réciproquement, le diplômé imagine qu'il a acquis auprès de la société le droit de voir sa compétence reconnue d'une manière tout aussi
permanente, par exemple en monnayant celle-ci dans des conditions fixées par la loi (sous forme d'emplois, d e rémunérations, de
pouvoirs...
stables).
Ce qui s'accorde mal avec la fluctuation des besoins sociaux, et les nécessités de l'évolution.
Évidemment, seul un esprit prévenu pousserait l'explication jusqu'à s'interroger sur le non-dit qui sous-tend le raisonnement dans cette
partie du texte, en l'occurrence une conférence écrite en 1935.
Par exemple, en le rapprochant de la crise économique du début des
années trente (avec, en France, chômage, récession, appauvrissement des classes moyennes, diminution du traitement des
fonctionnaires, etc.).
Il va de soi que Paul Valéry n'est inspiré que par la considération des exigences supérieures de l'esprit.
1 .
O n n'oubliera pas que ce texte a été écrit en 1935, c'est-à-dire à une époque où la relation entre système éducatif et société se
présente dans des termes sensiblement différents d e ceux que nous connaissons.
La proportion de jeunes gens d'une tranche d'âge
passant le baccalauréat est considérablement inférieure ; et leur recrutement social, beaucoup moins diversifié, se limite, pour l'essentiel,
aux enfants des classes privilégiées ou moyennes qui ont donc relativement les coudées franches quant à la rentabilisation immédiate
des études.
En même temps, la pression sociale, et notamment les besoins de l'économie en force de travail qualifiée (et sanctionnée par
un diplôme), est moins aiguë, et influe moins sur la formation générale : en particulier, toute préoccupation de « professionnalisation »
reste absente de l'enseignement secondaire, dont la finalité est encore exclusivement d e dispenser une culture générale, censément
désintéressée, et de former les esprits d'une manière polyvalente.
2.
Cela dit, le diplôme, du baccalauréat à l'enseignement supérieur, est déjà la clef de l'accession aux « carrières », et, dans un contexte
d'insécurité grandissante, notamment pour la petite bourgeoisie, comme c'est le cas depuis la crise de 1929, la question devient assez
pressante pour affecter le comportement des candidats et des familles, et faire apparaître les pratiques de « bachotage » : forcing au
moment des révisions pour compenser artificiellement les lacunes de l'année ; préparation intensive dans des établissements spécialisés
(ce qu'on appelait les « boîtes à bachot ») ; travail sur aide-mémoire ou guides de l'examen, censés condenser tout le savoir « utile »
(c'est-à-dire utilisable le jour de l'épreuve), au détriment d'une connaissance plus charpentée ; « impasses »...
D'où l'inquiétude de bons
esprits attachés aux valeurs d'un enseignement libéral, et conscients des exigences de la formation de la culture et de l'esprit critique.
3.
On développera donc les reproches adressés par Valéry à la pression multiforme exercée par l'examen sur le contenu et les méthodes
de l'enseignement; à l'assujettissement de ce dernier aux impératifs de l'épreuve :
• Multiplication des contrôles qui dramatisent la préparation, et favorisent un émiettement de la connaissance.
On apprend en vue des «
compositions » (version années trente) ou des interrogations écrites (version années quatre-vingt) — au lieu d'appréhender l'ensemble du
programme.
• Utilisation d'un matériel pédagogique excessivement synthétique (résumés, manuels, guides mnémotechniques, etc.) — sans oublier
pour autant que celui-ci n'est qu'un outil, qui ne dispense en rien de l'accès à l'intégralité des œuvres ou à l'ensemble d'une question ; et
que sa valeur dépend aussi de celui qui l'utilise, c'est-à-dire des conditions, intelligentes ou non, de la préparation.
• Spécialisation à outrance : sur les matières décrétées plus utiles parce que dotées d'un plus fort coefficient à l'examen, et/ou d'un
potentiel supérieur de valorisation sociale — au détriment d'une formation générale équilibrée.
Pour prendre un exemple prosaïque, la
mauvaise note en arts plastiques, en musique ou en grec ne déclenche certainement pas un drame analogue à une baisse de moyenne
en mathématiques ou en économie...
Mais aussi bien, à l'intérieur d'une même discipline, focalisation sur les points-clefs : les sujets qui
ont le plus de chance de « sortir » à l'examen ou les quelques aspects cruciaux d'une question, le reste étant un peu laissé au hasard,
comme remplissage ou conditionnement — j'allais dire : condiment...
• Émulation mal conçue, conduisant à privilégier ce qui est le plus « rentable », mais aussi ce qui peut assurer un petit « plus » : artifices
de présentation ; « topos » tout faits ; prudence excessive et refus de s'engager ; voire sollicitation des « manies » supposées des
correcteurs...
Tout cela risquant de déboucher sur le formalisme et le conformisme.
• D'une manière générale, développement d'un utilitarisme, d'un pragmatisme, qui risquent alors de déborder des frontières de l'école, et
d'affecter « la vie intellectuelle et civique » dans son ensemble.
Sans oublier la réciproque, à savoir que c'est aussi l'utilitarisme, l'élitisme,
la concurrence, la réussite, ressenties comme valeurs sociales suprêmes, qui « déteignent » sur l'école et en infléchissent la pratique.
4.
Cela dit, le diplôme, ou, plus exactement, les nécessités d e la préparation d'un examen, peuvent aussi être des adjuvants à
l'acquisition et à la structuration de la culture :
• D'abord l'urgence et le sentiment d'autoresponsabilité qui en résultent, sont un aiguillon, une puissante incitation à apprendre, à
s'attaquer, sans rechigner, à des matières austères, rébarbatives, mais sans lesquelles il n'y a pas de connaissance approfondie d'une
discipline.
Il ne s'agit pas de faire l'éloge ici d'une conception doloriste de l'apprentissage.
Mais, pour prendre un exemple, l'étude de la
syntaxe nécessaire à la version latine du baccalauréat, ou de la métrique destinée à déjouer les « colles » de l'examinateur de français,
n'ont rien de bien réjouissant.
Mais sans elles, au-delà de la bonne note, impossible de tirer ultérieurement une jouissance véritable de
Virgile, de Racine ou de Baudelaire.
• Le besoin de présenter un travail le plus efficacement possible, et en un temps limité, peut développer l'esprit de synthèse, le goût de la
clarté, l'habitude de sérier et ordonner les questions : en un mot, la méthode (qui consiste notamment, selon Descartes, à faire des «
dénombrements » parfaits — ou à structurer les problèmes).
• Les impératifs de programme peuvent même procurer de divines surprises ; être l'occasion de découvrir des auteurs, des thèmes de
réflexion, des aspects d'une question, auxquels on n'aurait pas spontanément pensé.
Dans un ordre d'idée voisin, on peut, en préparant
un concours exigeant, être amené à « pousser », à approfondir, et pas seulement à se contenter du « minimum exigible ».
• Enfin, le diplôme contribue à donner à l'acquisition des connaissances une mise en perspective sociale, qui n'est pas simplement le «
fantôme » de garanties et de droits dont parle Valéry (ce qui resterait d'ailleurs à discuter).
Sans renoncer à une conception « large » du
savoir et de ses exigences ; sans sous-estimer le besoin de ce que Mme de Romilly appelle le détour par l'inutile et l'inactuel ; sans
confondre l'utilité sociale du savoir avec la « réussite », on pourra rappeler que la culture est aussi fonction des rapports sociaux, qu'elle
humanise et qui l'humanisent.
Que les besoins sociaux, dont le diplôme est un reflet, certes bien imparfait, ne sont pas tout crûment une
« machine à décerveler », et sont, en tout cas, incontournables.
Et que le diplôme, qui n'est pas seulement un « parchemin » égoïste,
contribue à sanctionner la finalité collective de la connaissance : l'humanisme des « normaliens » Jaurès et Sartre valant bien, après tout,
celui de Des Esseintes, ou de Valéry..
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