Penser est-ce nier l'irrationnel ?
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Introduction
Penser désigne en un sens général l'ensemble des activités de l'esprit comme concevoir, imaginer, sentir ; en un
sens restreint l'acte spécifique de l'esprit qui cherche à connaître les choses qui existent en dehors de lui par le
moyen de la raison.
Si l'irrationnel est le contraire de ce qui est le propre de la raison, on ne voit pas pourquoi
l'activité de l'esprit qu'est la pensée impliquerait nécessairement la négation de l'irrationnel.
En effet l'irrationnel ne
s'oppose qu'à la raison et pas aux autres modes de pensée.
Or la pensée ne se réduit pas complètement à la raison.
Par conséquent la pensée semble parfaitement pouvoir s'exercer en coexistant avec l'irrationnel.
Cependant l'idéal
de la connaissance scientifique définit la pensée authentique comme une activité de l'esprit par le moyen de la
raison ; cette conception plus restreinte de la pensée s'oppose à la définition du sens commun qui était compatible
avec la coexistence de l'irrationnel.
Ainsi si la pensée scientifique se fonde sur un usage exclusif de la raison, alors
l'activité de penser travaillerait à faire disparaître l'irrationnel.
Néanmoins rien ne nous indique que toute pensée
doive se réduire à la pensée scientifique qui nie l'irrationnel.
Ainsi nous sommes confrontés à ce problème : l'activité
de l'esprit qui s'appelle penser implique t-elle nécessairement la négation de l'irrationnel ou bien lui est-il
possible de coexister avec lui voire de le reconnaître ?
I Penser, ce n'est pas nécessairement nier l'irrationnel
_ L'acte de penser n'implique pas nécessairement de nier l'irrationnel.
En effet en un sens restreint, la pensée
désigne l'activité de la raison qui, dans le but de connaître, passe d'une inférence logique à une autre selon les
règles de la nécessité logique.
L'activité de penser se fonde sur le respect implicite de règles comme le principe de
non contradiction exposé par Aristote au livre gamma, chap III de sa Métaphysique.: « il est impossible que le
même attribut appartienne et n'appartienne pas au même sujet sous le même rapport »P Néanmoins pour le sens
commun, la pensée désigne simplement l'ensemble des activités de l'esprit.
Or l'activité de penser ne nie
nécessairement l'irrationnel que si la pensée se réduit à la raison.
Il nous faut donc examiner ce que c'est que
penser pour savoir si la seule raison suffit à définir la pensée.
_ Qu'est-ce que penser ? Dans l'article 9 des Principes de la Philosophie, Descartes écrit : « par le mot de penser,
j'entends tout ce qui se fait immédiatement en nous de telle sorte que nous
l'apercevons immédiatement par nous-mêmes : c'est pourquoi non seulement
entendre, vouloir, imaginer , mais aussi sentir est la même chose que
penser ».
Dans l'étude que je fais de ma propre pensée, je peux constater
que la pensée ne se réduit pas à la raison, mais comprend aussi la volonté,
l'imagination et même la sensibilité.
Ce qui permet à toutes ces facultés d'être
rassemblé sous le nom de penser, c'est la conscience.
Par exemple, si je
marche, j'ai conscience dans le temps même où je marche que je marche.
Toutes les activités de l'esprit se fondent en ce sens sur la pensée qui me
permet d'être présent à moi-même.
_ La rêverie ou la folie sont deux expériences qui prouvent que la pensée ne
se réduit pas à la raison, et donc n'implique pas la négation de l'irrationnel
Ainsi Bachelard dans l'introduction à la psychanalyse du feu oppose la
science qui rompt avec les images et la poésie qui les cultive.
A l'origine de la
poésie, il y aurait une rêverie, c'est-à-dire un élargissement et un
assouplissement de la pensée destinée à appréhender la totalité du monde.
Or
de cette rêverie sur le monde naîtrait des images poétiques irrationnelles au
sens où elles ne respecteraient pas le principe de non-contradiction : par
exemple le célèbre vers d'Eluard « la terre est bleue comme une orange »
attribue comme prédicats contraires à la terre à la fois le bleu et l'orange.
Ainsi si la poésie est une pensée qui lie les choses entre elles sur le mode de
l'analogie, elle entretient une différence de degré et non de nature avec la
folie.
Dans le chapitre VII des Mots et des choses, Foucault explique que le fou pense bien dans la mesure où il fait
des analogies, mais ce qui le distingue des gens ordinaires; c'est qu'il fait des analogies inadéquates : par exemple,
Don Quichotte qui prend les moulins pour des géants qu'il faut combattre.
Si penser au sens général n'implique pas nécessairement la négation de l'irrationnel, il semble cependant que la
coexistence avec ce dernier soit refusée par les exigences de la pensée scientifique.
En effet , pour l'idéal de la
connaissance scientifique, la seule pensée authentique est une activité de l'esprit entièrement soumise à l'autorité
de la raison.
En ce sens l'activité de la pensée nierait l'existence de l'irrationnel.
II La pensée implique nécessairement la négation de l'irrationnel
_ Nous avons montré que la pensée pouvait accueillir et coexister, voire cultiver dans le cas de la poésie et de la
folie.
Mais cet accueil de l'irrationnel n'est-elle pas plutôt un défaut qu'une excellence de la pensée comprise au
sens général du sens commun ? En effet l'irrationnel vient contaminer la démarcher scientifique de son incertitude.
Est irrationnel en ce sens tout ce qui échappe à la raison et nuit à son cheminement.
Les opinions et les préjugés
désignent exemplairement ces marges de la raison qu'il faut détruire.
En effet les préjugés désignent des opinions
reçues passivement par l'esprit qui n'ont pas été passé au crible de la raison.
C'est le fait même que les préjugés se
soient glissés dans l'esprit depuis l'enfance qui les rend nuisible à l'exercice de la pensée; Ainsi Descartes dans sa
première Méditation métaphysique se propose de suspendre sa croyance en tout ce en quoi il trouvera des raisons.
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