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Passion et volonté ?

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« La tradition philosophique oppose radicalement passion et volonté ; Descartes, notamment, n o m m e passion tout ce qui, dans la vie mentale, est subi, tout ce qui ne dépend pas de ma décision volontaire, « toute pensée qui est excitée dans l'âme sans le secours de la volonté par les seules impressions qui sont dans le cerveau ».

Sans doute la définition actuelle de la passion est-elle plus limitative ; on entend aujourd'hui par passion un sentiment qui s'est développé aux dépens de tous les autres, comme l'amour, l'avarice ou l'ambition et qui polarise le psychisme ; mais ici encore, le moi n'apparaît-il pas entièrement passif, victime d'une fatalité étrangère qui s'est installée en lui, déroutant sa raison, détruisant son équilibre ? C'est Vénus tout entière à sa proie attachée... Devons-nous, à notre tour, consacrer cette opposition ou conviendrait-il d'y introduire quelque nuance ? Au vrai, la passion et la volonté semblent bien tout d'abord s'exclure comme s'excluent l'esclavage et la liberté.

L'homme passionné est un esclave.

Descartes pensait q u e toute passion exprime l'esclavage que notre corps fait subir à notre â m e .

Et c'est un fait q u e les passions se greffent sur les tendances, sur les besoins, ont une base biologique : l'amour est lié à la sexualité, l'avarice à un besoin de sécurité, à des privations anciennes. Mais l'esclavage passionnel n'est pas seulement d'ordre organique et la psychanalyse en donne aujourd'hui une explication plus profonde. Si la passion apparaît à celui-là même qui la subit comme une force étrangère qui se déploie « en lui, sans lui et malgré lui e, si nous s o m m e s impuissants à nous reconnaître e n n o s passions, c'est précisément parce que la source des passions est inconsciente, liée à notre lointaine enfance dont les péripéties oubliées ont n o u é e n nous, à notre insu, les complexes dont nous souffrons.

L'amour se rattache aux « fixations » infantiles, l'ambition effrénée est liée à d'anciennes humiliations, à des frustrations inconscientes qu'elle cherche désespérément à compenser. L'acte volontaire, en tant qu'il exprime la maîtrise de soi et s e saisit comme réfléchi et lucide, s'oppose trait pour trait à la passion. L'homme volontaire, parvenu à ce que Goethe nommait la « seigneurie de soi-même », domine son propre corps.

C'est là, selon Maine de Biran, le caractère typique de la volonté qui se révèle dans l'effort musculaire le plus banal ; je ne suis pas seulement ce corps crispé et douloureux, je suis aussi cette volonté supérieure au corps, hyperorganique », qui poursuit son effort malgré la douleur.

La volonté, c'est proprement le pouvoir de résister à la passion, de dompter le désir.

W.

James disait que la volonté était sur la ligne de la plus grande résistance.

Elle implique le pouvoir de dire « non » aux impulsions, aux caprices.

C'est une fonction d'arrêt, d'inhibition, par laquelle je me re-saisis.

Renouvier déclare en ce sens : « Vouloir vraiment, c'est vouloir ce qu'on ne veut pas ».

Tandis que la passion est l'abandon du moi à des puissances qui le submergent.

la volonté exprime la force de retenir le désir, de le maîtriser, bref ce « pouvoir de surmonter, qui, dit Alain, est tout l'homme ». O n saisit ici comment l'opposition psychologique traditionnelle d e la passion et d e la volonté s'approfondit sur le plan éthique ; le moraliste condamnera la passion, véritable « maladie de l'âme » selon Kant, hypertrophie morbide d'un sentiment devenu exclusif auquel le passionné sacrifie toutes les valeurs supérieures ; en revanche le moraliste soulignera le prix de la volonté qui est avant tout maîtrise de soi. Cependant cette opposition systématique de la passion et de la volonté se révèle à la réflexion un peu simpliste.

L'usage commun du vocabulaire, et parfois son emploi par les psychologues e u x - m ê m e s , nous i m p o s e des nuances.

L ' h o m m e que les caractérologues n o m m e n t « passionné » (Descartes par exemple, ou Napoléon, ou Mermoz) est un émotif, sans doute, mais un grand actif et un « secondaire e, c'est-à-dire un sujet dont le psychisme est cohérent et organisé.

La passion est, en fait, une source d'action.

Songez au grand peintre Renoir qui, dans ses dernières années, à demi paralysé par les rhumatismes, se faisait attacher les pinceaux aux doigts pour continuer à travailler.

Est-ce là passion de peindre ou décision volontaire ? Les deux assurément, car c'est ici la passion qui donne la force de vouloir. L'idéal stendhalien de « l'énergie » est aussi, typiquement, un idéal de passion et de volonté à la fois.

La passion, dit Stendhal.

« c'est l'effort qu'un homme qui a mis son bonheur dans telle chose est capable de faire pour y parvenir ».

L'amour et l'ambition sont chez le héros stendhalien les sources passionnelles qui inspirent les grandes volontés.

Lorsque Julien Sorel décide de prendre la main de Mme de Renal, ou va retrouver Mathilde en grimpant par une échelle, sa passion lui permet seule de surmonter la peur d'être découvert et chassé ; de même la passion de l'aristocratique Mathilde pour son précepteur lui donne la force de surmonter son orgueil, les conventions de son milieu, la crainte de son père.

C'est parce que le héros stendhalien est un passionné qu'il agit « énergiquement » et va jusqu'au bout de ce qu'il a décidé. Il semble que la théorie cartésienne de la volonté — que l'on retrouve pour l'essentiel chez Biran et surtout chez James et Renouvier — reste prisonnière d'une conception dualiste contestable : tandis que la passion est renvoyée à la chair, la volonté appartiendrait au pur esprit.

Elle serait le contraire du désir, une faculté transcendante, un pouvoir de dire o u i o u n o n , d e f a i r e o u d e n e pas faire ; je veux parce q u e je veux.

La volonté serait alors ce pouvoir a u t o n o m e q u e les métaphysiciens n o m m e n t libre arbitre, pouvoir désincarné et l'analyse psychologique devrait cesser là où l'acte volontaire commence.

En fait, une psychologie concrète rejettera ce mythe d'une volonté transcendante, étrangère aux tendances, coupée des passions.

Dire que la force que nous opposons à nos désirs est la force même de la volonté, c'est s e payer d e m o t s ; cette « vertu volitive » du « vouloir» ne vaut pas m i e u x q u e la célèbre vertu dormitive d e l'opium. C o m m e l'a bien montré Spinoza, un libre arbitre désincarné, indifférent à m e s tendances, à m e s désirs, coupé d e m a personnalité affective, est une pure abstraction.

lin homme sans passion ne saurait être l'auteur du moindre acte volontaire. S'il n'est pas de volonté gratuite, si d'autre part la passion n'est point « passive » et stimule l'action, il reste qu'agir par passion n'est pas ce qu'on appelle vouloir.

Je puis « volontairement » m'opposer à un désir, triompher d'une impulsion.

La force qui entre en jeu est-elle tout simplement alors un désir plus puissant ? Comme le dit Claparède, « toute décision est un drame qui consiste dans le sacrifice d'un désir sur l'autel d'un autre désir u.

N'y a-t-il là que rivalité de passions diverses, la plus puissante l'emportant à la fin comme le poids le plus lourd fait pencher le plateau de la balance ? Mais alors toute distinction s'effacerait entre les conduites volontaires et les conduites involontaires, la notion même de volonté serait anéantie dans le déterminisme psychologique.

Tel est le paradoxe dans la philosophie de la volonté : ou bien je découvre à la source de l'acte le déterminisme des passions et la notion de « volonté» disparaît, ou bien je définis la volonté en dehors des tendances et contre elles et je n'ai plus qu'un f a n t ô m e d e volonté, une entité étrangère à m a personnalité concrète, une abstraction sans substance. Cette difficulté sera écartée si nous comprenons que l'acte volontaire est celui qui opère une synthèse réfléchie de mes tendances en vue de l'action.

C'est par son caractère synthétique — o u e n termes plus modernes, par son caractère profondément « intégré » que l'acte volontaire se distingue des conduites passionnelles.

Agir volontairement c'est d'abord « savoir ce qu'on veut », prendre conscience des exigences fondamentales d e m a personne, renoncer à satisfaire tels caprices, tels désirs, vifs peut-être, m a i s superficiels, qui m e pousseraient à accomplir des actes qui « n e m e ressemblent pas ».

Au contraire, l'acte accompli par passion est celui qui échappe au contrôle d e l a personne.

Le fumeur et l'ivrogne ne p e n s e n t p a s à leur santé, le joueur n'envisage pas la ruine prochaine, l'amoureux coupable ne songe pas au déshonneur, au scandale qui l'attendent.

Il y a une obnubilation passionnelle qui nous dissimule nos véritables intérêts, nos exigences profondes ; c'est pourquoi toute passion nous voue tôt ou tard au malheur.

Tandis que l'homme volontaire agit en fonction de sa personnalité tout entière, sait hiérarchiser avec lucidité ses tendances et tient compte de tous les instants du temps (ce qui lui donne le maximum de chances d'accomplir ses fins et d'être heureux), le passionné est l'homme d'un seul instinct et d'un seul instant, aveuglé par un caprice dont la force momentanée lui masque dangereusement tous ses autres besoins.

C'est pourquoi nous réserverons le n o m d e « volontaires » aux conduites intégrées marquées par la conscience lucide et la maîtrise de soi, tenant au contraire pour « passionnelles » les conduites où l'homme perd son contrôle, est agi plus qu'il n'agit et nous apparaît dépossédé de lui-même.. »

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