Pascal: La raison peut-elle faire l'économie de la croyance ?
Extrait du document
«
Le plus souvent, avoir raison, c'est s'imaginer que l'on dispose d'une opinion certaine ou que l'on peut l'imposer par la
persuasion ou la force : " avoir le dernier mot ".
Mais une telle conviction apparaît vite comme peu solide et nous
conduit au relativisme : chacun a raison s'il croit avoir raison.
D'où la tentation de chercher dans la sensation un
critère plus fiable de la vérité.
Hélas la sensibilité ne nous permet pas davantage d'échapper au relativisme.
En tout
ceci, la raison risque de prendre l'apparence d'une opinion parmi d'autres.
Toutefois, comme en science, l'idée de
prouver ou de démontrer peut nous sauver de l'incertitude, bien que là encore le vrai puisse souvent devenir faux.
Les données sensibles, plus immédiates et passives, permettent d'appliquer des raisonnements par induction dont la
pertinence logique est tout aussi incertaine que ceux de la déduction.
Ce qui nous fait soupçonner que les erreurs des
sens pourraient parfois être des illusions de la raison elle-même.
Cette dernière n'est-elle qu'un artifice ? Passer de
l'idée d'avoir raison à la raison met en lumière l'importance de l'activité proprement argumentative de la raison.
On peut
en gros distinguer trois acceptions principales du mot raison : 1) la raison est la faculté qui nous rend capable de
réfléchir, de penser, de raisonner.
2) Elle est le motif d'une action,l'argument d'une idée, ou la cause d'un fait.
3) «
Raison apparaît enfin dans « avoir raison «, qui indique une conformité — du reste assez problématique — entre le
sentiment de certitude et la vérité.
On peut penser que la raison laisse échapper tout un domaine de la vie humaine : celui de la conscience esthétique, et
plus généralement la vie affective et les sentiments.
D'autre part la raison est conditionnée par divers éléments
culturels et éducatifs qu'elle ne sait plus interroger.
Mais peut-elle faire l'économie de l'acceptation, de la confiance a
priori, de l'acte de foi, et tout remettre en question ? La raison peut toutefois s'efforcer de mettre sous son pouvoir,
sous sa juridiction, les autres facettes du psychisme.
La question reste de savoir si une maîtrise rationnelle constitue
pour l'homme un asservissement ou une libération.
Une telle prétention est-elle bien raisonnable ?
Qu'il soit question d'un exemple ou d'une idée, il s'agit de raisonner, d'approfondir pour COMPRENDRE / EXPLIQUER et
justifier nos pensées.
Toutefois la raison ne semble pas nous mettre à l'abri des contradictions.
Celles-ci proviennentelles des choses, ou serait-ce la raison elle-même qui les introduit en elles ? La raison contredit-elle les données de la
sensation ou se contredit-elle elle-même ? Le cas par cas du sensible doit-il primer sur l'universalité de la raison ? Si la
raison semble fiable en géométrie, est-elle valable dans tous les domaines ? Sur ces dilemmes repose le conflit entre
pratique et théorie.
Mais même si c'était la pensée seule qui était contradictoire, faudrait-il pour autant renoncer à
raisonner ?
La fonction de la raison ne se limite pas à son pouvoir de connaissance, elle a aussi un usage pratique, c'est-à-dire
qu'elle énonce également des règles de conduite, valables pour l'action.
On l'oppose à la sensibilité, mais cette dernière
nous fournit aussi des éléments utilisables pour régir nos comportements.
Des jugements sont portés, fondés sur des
rapports établis par la raison ou l'expérience, qui déterminent entre autres le bien et le mal, le vrai et le faux.
La raison
intervient également dans le domaine esthétique : elle se combine avec la sensation pour constituer notre expérience
de la beauté.
Mais si la raison est présente dans le monde, si elle en est la cohérence, mieux vaut se méfier de son
apparente toute-puissance.
Pour cela il s'agit de mieux la connaître et de la mettre en oeuvre.
Pascal: Nous connaissons la vérité, non seulement par la raison, mais encore
par le coeur ; c'est de cette dernière sorte que nous connaissons les premiers
principes, et c'est en vain que le raisonnement qui n'y a point part essaye de les
combattre.
[...] Nous savons que nous ne rêvons point ; quelque impuissance où
nous soyons de le prouver par raison, cette impuissance ne conclut autre chose
que la faiblesse de notre raison, mais non pas l'incertitude de toutes nos
connaissances, comme ils le prétendent.
Car la connaissance des premiers
principes, comme qu'il y a espace, temps, mouvements, nombres, [est] aussi
ferme qu'aucune de celles que nos raisonnements nous donnent.
Et c'est sur ces
connaissances du coeur et de l'instinct qu'il faut que la raison s'appuie, et qu'elle
y fonde tout son discours.
(Le coeur sent qu'il y a trois dimensions dans l'espace
et que les nombres sont infinis ; et la raison démontre ensuite qu'il n'y a point
deux nombres carrés dont l'un soit le double de l'autre.
Les principes se sentent,
les propositions se concluent ; et le tout avec certitude, quoique par différentes
voies.) Et il est aussi inutile et aussi ridicule que la raison demande au coeur des
preuves de ses premiers principes, pour vouloir y consentir, qu'il serait ridicule
que le coeur demandât à la raison un sentiment de toutes les propositions qu'elle
démontre, pour vouloir les recevoir.
Cette impuissance ne doit donc servir qu'à humilier la raison, qui voudrait juger
de tout, mais non pas à combattre notre certitude, comme s'il n'y avait que la
raison capable de nous instruire.
Plût à Dieu que nous n'en eussions, au
contraire, jamais besoin, et que nous connussions toutes choses par instinct et par sentiment ! Mais la nature nous a
refusé ce bien ; elle ne nous a, au contraire, donné que très peu de connaissances de cette sorte ; toutes les autres
ne peuvent être acquises que par raisonnement.
Et c'est pourquoi ceux à qui Dieu a donné la religion par sentiment du coeur sont bien heureux, et bien légitimement
persuadés.
Mais ceux qui ne l'ont pas, nous ne pouvons la [leur] donner que par raisonnement, en attendant que Dieu.
»
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