Où faut-il chercher l'origine de la passion ?
Extrait du document
«
introduction
La passion est l'objet de discours contradictoires, qui la célèbrent ou la déprécient : on dit qu'elle libère, ou qu'elle
aliène ; on lui associe dynamisme, vie intense, ou folie et malheur.
Pour mieux la comprendre, ne faudrait-il pas
commencer par s'interroger sur son origine, raison de ses effets ? Mais où faut-il chercher cette origine ?
Première partie : Analyse du sujet
a) S'il faut chercher l'origine de la passion, c'est que la réponse à la question n'est pas certaine : l'analyse peut
s'engager dans plusieurs directions parce que la passion a quelque chose d'énigmatique pour celui qui la vit comme
pour celui qui l'examine.
b) L'origine, dans la question, n'a pas le sens chronologique de commencement, première manifestation, mais un
sens causal : comment est-il possible d'expliquer l'apparition de la passion ?
Deuxième partie : Dans la passion, l'homme est le jouet de forces qui le dépassent
a) Une longue tradition, déjà présente dans la mythologie grecque, voit dans le passionné le jouet ou la victime de
forces transcendantes : le fatum, destin auquel nul ne peut résister, ou les dieux, qui déposent dans le coeur des
hommes des passions incompréhensibles.
Dans la tragédie grecque, on entend par exemple oedipe accuser Apollon
(Cf.
Sophocle, oedipe-Roi, v.
1329).
« Lors même que l'homme semble prendre l'initiative de ses actions, en prévoir
les conséquences, en assumer les responsabilités, n'ont-elles pas au-delà de lui leur véritable origine ? » (J.-P.
Vernant).
Telle est la question que se posent les Grecs dans toutes leurs tragédies.
L'au-delà divin semble
nécessaire pour expliquer l'inexplicable emportement du passionné.
On retrouve une telle conception jusque chez
Racine : « C'est Vénus tout entière à sa proie attachée » (Phèdre, 1,3).
b) Dans une perspective en apparence très différente, Hegel écrivait : « Rien
de grand ne s'est accompli dans le monde sans passion » (La Raison dans
l'Histoire, coll.
10-18, p.
108).
L'histoire nous montre en effet des grands
hommes qui consacrent toutes leurs forces à la réalisation de leurs buts
politiques, militaires, etc.
On pourrait croire que l'histoire est faite par ces
actions passionnées, qu'elle tient d'elles, et donc des grands hommes, son
orientation et son sens.
Mais, selon Hegel, c'est « la Raison qui gouverne le
monde »; c'est elle qui, comme les dieux antiques, inspire ces passions à
travers l'égoïsme desquelles se réalise toujours une Rationalité dont le sens
échappe aux « acteurs ».
L'origine véritable de la passion demeure
transcendante à l'humanité qui en subit les effets, en interprète les
mouvements, mais en ignore la signification profonde.
L'Histoire, réalisation de
la Raison, est encore tragique.
La passion a souvent été méprisée comme une chose qui est plus ou moins
mauvaise.
Le romantisme allemand et, en particulier, Hegel restituent à la
passion toute sa grandeur.
Dans une Introduction fameuse (« La Raison
dans l'histoire ») à ses « Leçons sur la philosophie de l'histoire » publiées après sa mort à partir de manuscrits de l'auteur et de notes prises
par ses auditeurs -, on peut lire (trad.
Kostas Papaioannou, coll.
10118):
« Rien ne s'est fait sans être soutenu par l'intérêt de ceux qui y ont participé.
Cet intérêt nous l'appelons passion lorsque, écartant tous les autres intérêts ou buts, l'individualité tout entière
se projette sur un objectif avec toutes les fibres intérieures de son vouloir et concentre dans ce but ses forces
et tous ses besoins.
En ce sens, nous devons dire que rien de grand ne s'est accompli dans le monde sans
passion.
»
L'histoire est en apparence chaos et désordre.
Tout semble voué à la disparition, rien ne demeure : « Qui a
contemplé les ruines de Carthage, de Palmyre, Persépolis, Rome, sans réfléchir sur la caducité des empires et
des hommes, sans porter le deuil de cette vie passée puissante et riche ? Ce n'est pas comme devant la tombe des
êtres qui nous furent chers, un deuil qui s'attarde aux pertes personnelles et à la caducité des fins particulières:
c'est le deuil désintéressé d'une vie humaine brillante et civilisée.
»
L'histoire apparaît comme cette « vallée des ossements » où nous voyons les réalisations «les plus grandes et les
plus élevées rabougries et détruites par les passions humaines », «l'autel sur lequel ont été sacrifiés le bonheur des
peuples, la sagesse des Etats et la vertu des individus ».
Elle nous montre les hommes livrés à la frénésie des
passions, poursuivant de manière opiniâtre des petits buts égoïstes, davantage mus par leurs intérêts personnels
que par l'esprit du bien.
S'il y a de quoi être triste devant un tel spectacle, faut-il, pour autant, se résigner, y voir
l'œuvre du destin ? Non, car derrière l'apparence bariolée des événements se dévoile au philosophe une finalité.
»
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