On ne peut apprendre aucune philosophie, on ne peut apprendre qu'à philosopher. Qu'en pensez-vous ?
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«
Termes du sujet:
PHILOSOPHIE
La philosophie, selon Pythagore, auquel remonte le mot, ce n'est pas la sophia elle-même, science et sagesse à la fois, c'est seulement le désir, la recherche, l'amour (philo) de cette sophia.
Seul le fanatique ou l'ignorance se veut
propriétaire d'une certitude.
Le philosophe est seulement le pèlerin de la vérité.
Aujourd'hui, où la science constitue tout notre savoir et la technique, tout notre pouvoir, la philosophie apparaît comme une discipline réflexive.
A
partir du savoir scientifique, la visée philosophique se révèle comme réflexion critique sur les fondements de ce savoir.
A partir du pouvoir technique, la sagesse, au sens moderne se présente comme une réflexion critique sur les
conditions de ce pouvoir.
La philosophie, comme l'indique l'étymologie du mot, n'est pas la possession de la Sophia (sagesse ou savoir) mais seulement l'amour de cette sophia.
La philosophie n'est donc pas un savoir achevé qu'on pourrait enseigner.
L'important, en philosophie, c'est donc le questionnement.
Or, toute question philosophique pose un problème et il n'y a pas de solution définitive.
On comprend dès lors pourquoi l'histoire de la philosophie n'est que le champ de
bataille des philosophes.
Les philosophes n'ayant cessé de se réfuter mutuellement, Kant écrit:
« Jusqu'à maintenant on ne peut apprendre aucune philosophie car où est-elle, qui l'a en possession, comment se laisse-t-elle reconnaître ? On ne peut apprendre qu'à philosopher » (Critique de la raison pure).
Mais c'est sa lecture des philosophes qui l'ont précédé et le résultat de sa philosophie critique qui permettent à Kant d'affirmer que la philosophie ne s'apprend pas.
On sait que Kant invalide toute prétention de la métaphysique à
vouloir démontrer que l'âme est immortelle, que le monde a un commencement ou non dans l'espace et dans le temps, que Dieu existe.
Si l'on veut restaurer la certitude de la science, il faut que sa méthode parvienne à concilier la nécessité rationnelle et le caractère toujours en partie contingent de
l'expérience.
Ce sera l'une des préoccupation centrale de Kant.
Il s'efforcera de montrer comment les connaissances dignes de ce nom sot toujours le produit d'une
rencontre entre les données de l'expérience sensible et le travail conceptuel de l'entendement.
Ce dernier reçoit de l'extérieur, par le moyen de la sensibilité, une matière
des connaissances sur laquelle il opère une mise en ordre conceptuelle dont la nécessité est interne à l'esprit.
Par exemple : les relations de causalité s'instaurant
nécessairement entre les phénomènes de la nature ne renvoient pas forcément à un ordre des choses, mais à un ordre nécessaire de leur mode de manifestation à notre
esprit.
La connaissance objective ‘est donc jamais connaissance des choses en soi mais connaissance de l'ordre nécessaire (rationnel) des phénomènes.
Très
schématiquement, on peut donc dire que Kant échappe ainsi à l'idéalisme du rationalisme pur.
La connaissance ne peut exister que dans le domaine de l'expérience
possible ; au-delà, la raison « ratiocine », cad qu'elle raisonne à vide, elle outrepasse ses droits, comme le montre la « Dialectique transcendantale » de la « Critique
de la raison pure » ; ainsi lorsqu'elle prétend démontrer l'existence d'un créateur qui ne peut être que postulée, car l'expérience n'en est pas possible.
Les idées de la
raison ont une fonction unificatrice et systématique ; la raison a également une fonction pratique ; mais c'est quand elle prétend connaître des objets transcendants (au-delà
de l'expérience possible) qu'elle mérite de subir une critique.
Mais Kant échappe aussi au scepticisme que semble entraîner l'empirisme : si la source matérielle de nos connaissances réside dans l'expérience, leur
forme rationnelle les réinscrit dans l'ordre de la nécessité et de la certitude ; le savant ne produit pas des théories au gré de sa fantaisie.
Ces théories scientifiques
rétablissent un ordre universel de la connaissance, car elles appliquent à la matière de l'expérience la forme rationnelle de l'entendement ; il y a donc bien des lois de la
nature.
Ni idéalisme, ni empirisme, le Kantisme laisse cependant subsister un problème redoutable : peut-on se résoudre à ce que la connaissance ne porte que sur des
phénomènes, sans que les choses en soi soient jamais accessibles ?
Les limites de la raison.
Dans le domaine de l'étude scientifique des phénomènes, rien ne saurait remplacer la raison et on peut même aller jusqu'à affirmer que « l'inexplicable » n'est qu'un provisoirement inexpliqué.
Mais comme Kant l'a
montré, la raison est impuissante à rendre compte de l'Etre lui-même.
Nous ne pouvons connaître la réalité qu'à travers les formes « a priori » de la sensibilité (espace & temps), sortes des structures mentales qui
sont la condition de notre perception des choses, et les formes « a priori » de l'entendement (« catégories »).
C'est pourquoi, seuls les phénomènes (l'apparaître) nous sont accessibles.
Au-delà du savoir, il y a
donc un monde des noumènes (choses en soi) qui nous échappe.
Lorsque la raison tente de dépasser l'apparence pour essayer d'atteindre l'absolu, elle tombe dans d'inévitables contradictions, antinomies et
paralogismes.
Une métaphysique est impossible comme science.
En particulier, la raison ne saurait prouver la liberté de notre volonté, l'immortalité de l'âme, l'existence de Dieu.
Avec le grand rationalisme classique inauguré par Descartes, la raison apparaissait comme l'instrument infaillible d'une critique des illusions, généralement imputées aux sens ou à l'imagination.
Or, avec Kant, l'illusion est portée au coeur même de la raison.
Le rationalisme fait place au criticisme, cad à une critique permanente des moyens de la connaissance, et à un incessant procès de la raison contre
elle-même et ses prétentions abusives.
C'est le sens de l'illusion transcendantale : la raison prétend connaître au-delà des limites de l'expérience et déterminer des choses en soi, cad des objets qui ne sont pas
donnés dans un phénomène sensible (le Moi, le monde, Dieu).
L'illusion n'est plus seulement un déchet à éliminer (Platon, Descartes), mais elle est consubstantielle à l'instrument lui-même, la raison, qui se trouve empêtrée dans ses propres contradictions (antinomies :
opposition d'une thèse et de son antithèse).
La « Dialectique transcendantale » est donc cette partie de la « Critique de la raison pure » où Kant examine comment la raison se contredit elle-même
lorsqu'elle veut connaître au-delà de l'expérience.
Et il est bien question ici d'illusion, et non d'erreur, car l'illusion transcendantale est inévitable, incorrigible, à l'inverse de l'erreur.
L'illusion transcendantale est un besoin structurel de la raison pure, et aucun effort
d'attention ne peut y remédier.
La connaissance est unification.
Pas de connaissance sans données sensibles ; mais les formes a priori de la sensibilité (espace et temps) unifient déjà les données de l'expérience.
Puis cette expérience sensible est
unifiée sous les catégories de l ‘entendement.
La raison, enfin, a pour destination d'unifier toute la connaissance en un système sous des idées, le moi, le monde et Dieu.
Ces idées ne sont donc que des formes
organisatrices, ou des « principes régulateurs ».
Il y a illusion dès lors que la raison nous induit, par son essence même, à prêter à ces idées une valeur objective, et à vouloir faire de la psychologie et de la
théologie des sciences à part entière, alors que nous n'avons aucune expérience sensible de ces objets, et ne pouvons en aucune façon en avoir.
La dialectique a pour tâche de nous prémunir contre cette apparence trompeuse qui consiste à prêter une valeur objective à ces pures formes de la raison.
L'illusion de la psychologie rationnelle (ou paralogisme) consiste à transformer le « je pense », forme a priori d'unification de mes connaissances, en un être substantiel, à faire du pur sujet de la pensée un objet de la
pensée.
L'illusion peut alors se développer en une pseudo-science de la nature, de l'origine et de l'immortalité du moi.
L'illusion cosmologique objectivise l'idée du monde comme unité suprême de l'expérience externe.
L'illusion se révèle à travers les quatre antinomies qui permettent, concernant quatre « propriétés » du monde, de
soutenir à la fois la thèse et l'antithèse.
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Première antinomie : le monde a un commencement dans le temps et il est limité dans l'espace/ le monde n'a pas de commencement dans le temps et n'est pas limité dans l'espace.
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Seconde antinomie : tout ce qui existe est composé d'éléments simples / il n'existe rien de simple dans le monde (divisibilité à l'infini).
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Troisième antinomie : tout n'est pas soumis au déterminisme, il existe une causalité libre / il n'existe pas de causalité libre.
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Quatrième antinomie : il existe un être nécessaire, comme partie ou cause du monde / il n'existe pas d'être nécessaire, ni dans le monde, ni en dehors.
En l'absence du critère de l'expérience, la raison démontre aussi bien le pour que le contre.
Surgit alors le fantôme du scepticisme.
Mais Kant pense échapper au scepticisme justement en mettant à nu le sophisme,
qui fait glisser d'une idée de la raison à son existence comme chose en soi objective.
La raison est à elle-même son propre remède : c'est la démarche critique.
Il en va de même, enfin, concernant la théologie rationnelle qui entretient l'illusion de preuves de l'existence de Dieu, preuves que Kant démonte une à une, montrant leur valeur purement spéculative.
Avant Kant, Hume avait déjà soumis ces trois idées, le moi, le monde, Dieu, à une critique définitive en en montrant la connaissance illusoire.
Mais Hume, en sceptique, concluait à l'inutilité, voire au caractère
néfaste de ces idées pour la science, Kant, au contraire, malgré leur charge d'illusion, leur accorde un rôle positif suprême comme pôle d'unification systématique de la connaissance humaine.
Les idées de la raison n'ont pas de valeur transcendante (objective), mais uniquement une valeur régulatrice et organisatrice dans l'interprétation de l'expérience.
Sans elles, pas de système, mais une simple
juxtaposition de savoirs locaux (ce qui reproché à l'empirisme).
Il reste que l'illusion interne à la raison et l'usage illégitime des facultés qu'elle provoque naissent d'un désir irrépressible, celui de faire connaître les choses en soi au-delà des limites de l'expérience (usage
transcendantal), ou pire, comme on vient de le voir, de constituer de simples conditions de la connaissance en objets de cette connaissance (usage transcendant ou constitutif).
D'où vient ce besoin qu'a la raison de franchir les limites de l'expérience et d'engendrer ainsi, non des erreurs contingentes et accidentelles, mais des illusions structurelles, des faux problèmes inéluctables ?
Pourquoi l'illusion transcendantale ne disparaît-elle pas, lors même qu'elle est dévoilée ?
C'est que l'intérêt spéculatif trahit un intérêt encore plus haut de la raison, un intérêt qui la porte vers les choses en soi : l'intérêt pratique ou moral.
L'intérêt pratique concerne trois objets : la liberté de la volonté, l'immortalité de l'âme et l'existence de Dieu.
Et c'est le besoin pratique de connaître les fins de l'action humaine qui pousse la raison à l'usage
transcendant des facultés.
« La métaphysique, cette science tout à fait à part qui consiste dans des connaissances rationnelles spéculatives et qui s'élève au-dessus des instructions de l'expérience en ne s'appuyant que sur de
simples concepts (et non pas comme les mathématiques en appliquant ces concepts à l'intuition) et où par conséquent la raison n'a d'autre maîtresse qu'elle-même, cette science n'a pas encore été assez favorisée
du sort pour entrer dans le sûr chemin de la science.
Et pourtant elle est plus veille que toutes les autres et elle subsisterait toujours alors même que celles-ci disparaîtraient toutes ensemble dans le gouffre de la
barbarie.
La raison s'y trouve continuellement dans l'embarras...
Quant à mettre ses adeptes d'accord dans leurs assertions, elle en est tellement éloignée qu'elle semble n'être qu'une arène exclusivement
destinée à exercer les forces des jouteurs et où aucun champion n'a jamais pu se rendre maître de la plus petite place...
»
Kant.
COMMENTAIRE.
Les premières pages de la préface à la deuxième édition de la « CRP » rappellent les conquêtes solides de la raison humaine au cours de l'histoire ; d'abord la logique inchangée depuis Aristote qui doit sa
rigueur et sa certitude à ceci que « l'entendement ne s'y occupe que de lui-même et de sa forme ».
Puis les mathématiques qui travaillent sur un objet (par exemple la géométrie étudient des figures dans l'espace)
mais de telle sorte que le mathématicien construit a priori son objet et n'en « dégage que ce que lui-même y fait entrer par la pensée » ; en fin la physique qui suppose l'expérience, mais une expérience ordonnée,
rationalisée par des concepts de sorte que « la raison prend les devants avec les principes qui déterminent ses jugements selon des lois constantes et force la nature à répondre à ses questions ».
En logique, en
mathématique, en physique tous les esprits compétents parviennent à un accord, aboutissent aux mêmes théorèmes ou aux mêmes lois ; et cet accord est un signe ou tout au moins une solide présomption de
vérité.
Mais que dire de la métaphysique ?
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« ...
la métaphysique qui consiste dans des connaissances rationnelles spéculatives...
».
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