On dit souvent pour expliquer, ou même excuser, un comportement humain : c'est naturel Quel est le sens de cette expression Que faut-il en penser
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On dit souvent pour expliquer, ou même excuser, un comportement humain : «c'est naturel» Quel est le
sens de cette expression ? Que faut-il en penser ?
1.
C'est normal
a) Le premier sens de normal
Lorsque nous disons qu'un comportement est «naturel», nous voulons faire comprendre qu'à nos yeux il est normal,
en ce sens d'abord qu'il nous paraît conforme à ce qui est ou se fait habituellement, dans la majorité des cas.
Autrement dit, nous semblons établir un constat: telle conduite ou tel événement a des caractères ordinaires, qu'on
a déjà pu observer.
On est en présence de quelque chose qui va de soi, qui n'a rien de bizarre.
Par exemple, on dira qu'il est bien naturel ou normal qu'un candidat soit un peu inquiet la veille de son examen :
cette situation fait généralement naître une certaine anxiété et c'est l'absence totale d'anxiété qui paraîtrait
surprenante.
Ou encore, on jugera naturel qu'une mère prenne soin de ses enfants, qu'elle se conduise comme on se
conduit le plus souvent.
b) Le second sens de normal
Toutefois, la formule «c'est naturel» n'exprime pas un simple constat.
Elle peut aussi énoncer un véritable
jugement de valeur.
«C'est naturel», autrement dit : c'est normal, mais en un sens nouveau : c'est conforme àce
qui doit être, à une règle qu'on tient pour bonne, c'est comme il est bien ou juste que ce soit.
Par exemple, trouver naturel qu'une mère s'occupe d'une certaine façon, jugée convenable, de ses enfants, revient
à approuver sa conduite sur le plan moral.
Et inversement, celui qui parle de parents «dénaturés» les accuse ou les
condamne : il ne se contente nullement de trouver leur comportement inhabituel.
C'est encore plus net dans
l'expression : une conduite «contre nature», qui, note Lalande, «est une expression énergique de réprobation
morale» à l'égard de manières d'agir qu'on estime, à tort ou à raison, non seulement peu fréquentes mais mauvaises,
choquantes, voire monstrueuses.
Mais pourquoi utilise-t-on précisément le mot «naturel» et non un autre mot pour exprimer ces idées ? Pourquoi
dire «c'est naturel» plutôt que «c'est normal», par exemple ? Que faut-il penser de la présence ici du concept de
«nature?»
2.
C'est compréhensible, excusable
a) Des conduites qui dépendraient de notre nature
Ce qu'on dit être «naturel», ce n'est pas seulement qu'une femme, par exemple, désire avoir des enfants ou qu'une
mère aime ceux qu'elle a mis au 'monde.
Le mot «c'est naturel» s'appliquera non seulement aux conduites
«normales» de ces personnes, mais aussi à certaines manières d'agir, même «anormales» (aux deux sens du mot),
lorsque celle-ci paraîtront clairement explicables par leur «nature» même.
Ne dit-on pas d'une mère qui cherche par exemple à aider ou à protéger son enfant d'une manière plus ou moins
honnête, que sa conduite est peut-être blâmable, mais finalement, «au fond, bien naturelle» ? On a en effet le
sentiment qu'en agissant de la sorte cette mère se conforme à ce que sa nature de mère lui dicte.
On comprend
donc ses réactions, et même on les excuse.
«C'est naturel» : n'est-ce pas justifié par la «nature» même de la
personne.
De façon analogue, «c'est humain» s'applique à des attitudes qu'on croit pouvoir rattacher à la «nature»
humaine et, par là, excuser.
b) Les lois de la nature
Si donc paraît naturel un comportement qu'explique la «nature» de celui qui agit, on comprend que l'expression
«c'est naturel» suggère encore l'idée que le comportement a quelque chose de spontané, de nécessaire.
Il ne serait
pas calculé, ne résulterait pas d'une réflexion mais s'expliquerait plus par une sorte d'instinct que par une véritable
décision volontaire.
Autrement dit, on ne peut reprocher à quelqu'un de se conduire selon les lois de sa nature : celles-ci paraissent
d'abord plus fortes que lui, elles guident sa volonté.
Mais peut-on tenir pour vraies les idées que suggère de la sorte une expression commune ? Ne sommes-nous pas
en présence d'idées reçues, d'opinions dont l'évidence doit être interrogée sur le plan philosophique ?
3.
Interrogations
a) Le problème moral
«C'est par la maternité que la femme accomplit intégralement son destin physiologique ; c'est là sa vocation
«naturelle» puisque tout son organisme est orienté vers la perpétuation de l'espèce», écrit Simone de Beauvoir (Le
deuxième sexe, 1949, Idées, II, p.
134).
Sur ce plan, il est donc tout naturel qu'une femme ait des enfants.
Mais,
ajoute l'auteur, «la société humaine n'est jamais abandonnée à la nature».
En effet, « la nature ne saurait jamais dicter de choix moral; celui-ci implique un engagement» (id., p.
197).
Un
acte qui résulterait mécaniquement de l'être naturel serait sans aucune valeur morale : les battements du coeur ou
la respiration, comme mécanismes biologiques, ne sont ni bons ni mauvais.
Pour avoir une valeur morale, une
conduite doit être voulue par une conscience libre, qui aurait pu choisir une autre conduite.
b) La question de la liberté
C'est donc la liberté de la personne qui pourrait être mise en cause par la formule banale : c'est naturel, appliquée à.
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