N'y a-t-il aucune vérité dans le mensonge ?
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Vocabulaire:
MENSONGE (n.
m.) 1.
— Assertion qui indique un fait auquel le locuteur ne croit pas, ou exprime une opinion qui n'est pas la sienne
; par ext., assertion contraire à la vérité.
2.
— Menteur (paradoxe du ) : argument sceptique contre la raison et paradoxe logique
(auquel la théorie des types donne une solution) : Épiménide le Crétois dit que les Crétois sont menteurs, donc il ment, mais alors les
Crétois ne sont pas menteurs, donc il ne ment pas, mais alors il ment, etc.
Vérité
La vérité concerne l'ordre du discours, et il faut en cela la distinguer de la réalité.
Elle se définit traditionnellement comme l'adéquation
entre le réel et le discours.
Qualité d'une proposition en accord avec son objet.
La vérité formelle, en logique, en mathématiques c'est l'accord de l'esprit avec ses
propres conventions.
La vérité expérimentale c'est la non-contradiction de mes jugements, l'accord et l'identification de mes énoncés à
propos d'un donné matériel.
On distinguera soigneusement la réalité qui concerne un objet (ce cahier, cette lampe sont réels) et la
vérité qui est une valeur qui concerne un jugement.
Ainsi le jugement : « ce cahier est vert » est un jugement vrai ou bien un
jugement faux.
La vérité ou la fausseté qualifient donc non l'objet lui-même mais la valeur de mon assertion.
La philosophie, parce qu'elle recherche la vérité, pose le problème de ses conditions d'accès et des critères du jugement vrai.
[Introduction]
Le mensonge se définit comme une assertion sciemment contraire à la vérité, énoncée avec l'intention de tromper l'interlocuteur.
Vérité et mensonge semblent donc antithétiques.
Ils s'excluent mutuellement : s'il y a mensonge, il n'y a pas vérité ; et inversement.
Cependant, le mensonge n'existe que par rapport à la vérité : il est la non-vérité.
Peut-on en déduire qu'il n'y a plus aucune vérité en
lui ? S'il reste quelque trace de vérité, quelle est cette vérité qui persiste dans le mensonge ? Le mensonge lui-même n' a-t-il pas sa
propre vérité, notamment lorsqu'il s'agit de l'action politique ?
[I.
Mentir, et pourquoi ?]
Tout mensonge est délibéré.
Cette volonté de taire la vérité obéit à plusieurs situations.
Dans la vie quotidienne, la vérité concerne en
priorité le discours : pour dire la vérité, il faut en être informé.
En revanche, il ne suffit pas de connaître la vérité pour l'énoncer
spontanément : cette non-réciprocité ouvre la possibilité du mensonge.
Le problème essentiel est celui de l'éthique : Kant affirme, dans
la Métaphysique des moeurs, que « la plus grande transgression du devoir de l'homme envers lui-même considéré comme être moral,
est le contraire de la véracité : le mensonge ».
Le mensonge est une trahison de la vérité, mais à quelle fin ?
On peut mentir pour soulager quelqu'un, et lui apporter un certain réconfort.
Pourquoi dire la vérité si elle fait mal ? Quelle est alors la
valeur de la vérité ? Le mensonge, ici, ne dévoile-t-il pas quelque chose de plus — un supplément d'âme ? — que la vérité assénée
sans préoccupation de l'autre ? C'est pourquoi la vision manichéenne vérité-mensonge n'est peut-être pas suffisante pour expliquer le
rapport vérité-mensonge.
Si la vérité
reste ce qui doit être valorisé et le mensonge ce qui doit être blâmé, n'y a-t-il pas, dans la sphère de l'action politique, une autre
logique ?
[II.
Mentir, mais dans l'intérêt de l'État]
Le mensonge, comme modalité d'action, peut être justifié ; c'est ce que dit Platon dans La République, livre III : le mensonge ne peut
être utile et donc justifié que s'il vise le bien commun.
C'est pourquoi il doit être réservé aux connaisseurs du bien commun, c'est-àdire aux rois-philosophes de la république.
C'est aussi la vision de Machiavel, quelque 2000 ans plus tard : c'est par la force, la ruse, le
mensonge, la séduction et le courage que le Prince parvient à déjouer les dangers qui menacent l'État.
C'est la nécessité plutôt que
l'intention morale qui détermine la conduite à tenir.
Tous les moyens sont bons pour protéger l'État, y compris le mensonge.
La vérité
serait ce qui réussit et le mensonge une possibilité d'arriver à cette fin.
Peut-on se contenter de cette définition et, ainsi, aller jusqu'à
nier la possibilité de la valeur morale de l'action ?
[III.
L'art : justification du mensonge ?]
Nous avons vu que le devoir de vérité est une relation entre la parole et l'action : il existe aussi, comme le soulignait Hegel dans sa
Propédeutique philosophique, un devoir de ne pas dire la vérité quand on n'en a pas le droit.
Puis, nous avons analysé le mensonge
comme une vérité possible du discours, notamment dans l'action politique.
Il nous reste à aborder le rapport vérité-mensonge sous
l'angle de l'imagination, de l'artifice, de l'illusion.
Le caractère illusoire, donc mensonger, de l'art, ne peut-il pas être bénéfique ?
Nietzsche signale combien il est nécessaire — pour la critiquer — de revenir sur cette exigence de la vérité comme seule valeur
morale.
Dans cette opposition vérité-mensonge se trouvent en fait en jeu deux conceptions contradictoires de la vie : celle du logicien et celle
de l'artiste.
Vouloir toujours la vérité aboutit à étouffer toute exaltation artistique, et finalement toute vie.
L'art n'est pas un mensonge :
il a sa propre vérité qui révèle autrement la réalité quotidienne.
L'art dévoile, et il n'est plus question ni de mensonge ni de vérité, ou
alors pour rappeler qu'en grec « vérité » se dit alêtheia, ce qui signifie « dévoilement ».
Et derrière ce voile soulevé, pourquoi n'y
aurait-il pas encore un autre voile ?
[Conclusion]
Mentir, c'est transgresser sciemment la vérité que l'on connaît et que l'on ne veut pas dire, soit pour tromper, soit pour réconforter.
En
ce sens, il n'y a aucune vérité dans le mensonge.
À cette conception éthique, répond la conception artistique : il n'y a ni vérité ni
mensonge dans la création, et cette activité humaine désintéressée — qui n'a d'autre fin qu'elle-même — donne toute sa valeur à la
condition humaine..
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