Nous ne nous comportons pas de la même manière à l'égard d'une personne et à l'égard d'une chose. Quelle conception de la personne cette différence d'attitude vous paraît-elle impliquer ?
Extrait du document
Introduction. — En lisant les « Caractères nous nous amusons des distractions de Ménalque qui, entrant à l'église, prend un mendiant pour un pilier et un pieux chrétien agenouillé pour un prie-Dieu sur lequel il s'agenouille à son tour. Mais, notre rire le montre, de telles confusions, plus imaginaires d'ailleurs que réelles, sont anormales. Nous ne nous comportons pas à l'égard des personnes comme des choses. Pourquoi cette différence de comportement? Pour l'expliquer ne faut-il pas admettre qu'elle suppose une conception particulière de la personne ? I. — LE FAIT A. Normalement, nous percevons d'abord les personnes sur un fond de choses. Il arrive, sans doute, que, absorbés ou intrigués par quelque spectacle matériel qui nous intéresse ou nous surprend, nous paraissions ne pas les remarquer. Même alors cependant, à moins de distraction digne de Ménalque, notre inconscient a enregistré leur présence et nous en tenons un certain compte sans y penser. A plus forte raison est-ce sur les personnes que notre attention, quand elle est libre, se porte en premier lieu. B. Mais elle s'y porte de manières bien diverses suivant nos dispositions du moment et surtout suivant le genre de personnes qui s'offrent à nos regards. Parfois, aspirant à la solitude et nous reposant au milieu de choses dont nous savons qu'elles ne peuvent nous interpeller et même qu'elles ne nous voient pas, l'apparition d'une silhouette humaine suscite en nous un certain malaise; aussi tâchons-nous de changer de direction pour éviter la rencontre. Nous nous comportons souvent de même à la rencontre de celui dont la conversation, les idées ou le physique nous déplaisent, à moins que nous préférions, par notre froideur, lui marquer ce qu'il est pour nous. Au contraire, que paraisse un visage sympathique bien connu de nous, le spectacle de choses que nous contemplions, se dispersant dans un fond indistinct, s'estompe et se brouille. C'est l'ami qui accapare tout notre intérêt: nous nous portons vers lui, négligeant tout le reste.
«
Introduction.
— En lisant les « Caractères nous nous amusons des distractions de Ménalque qui, entrant à l'église, prend un mendiant
pour un pilier et un pieux chrétien agenouillé pour un prie-Dieu sur lequel il s'agenouille à son tour.
Mais, notre rire le montre, de telles
confusions, plus imaginaires d'ailleurs que réelles, sont anormales.
Nous ne nous comportons pas à l'égard des personnes comme des
choses.
Pourquoi cette différence de comportement? Pour l'expliquer ne faut-il pas admettre qu'elle suppose une conception particulière
de la personne ?
I.
— LE FAIT
A.
Normalement, nous percevons d'abord les personnes sur un fond de choses.
Il arrive, sans doute, que, absorbés ou intrigués par
quelque spectacle matériel qui nous intéresse ou nous surprend, nous paraissions ne pas les remarquer.
Même alors cependant, à moins
de distraction digne de Ménalque, notre inconscient a enregistré leur présence et nous en tenons un certain compte sans y penser.
A plus
forte raison est-ce sur les personnes que notre attention, quand elle est libre, se porte en premier lieu.
B.
Mais elle s'y porte de manières bien diverses suivant nos dispositions du moment et surtout suivant le genre de personnes qui s'offrent
à nos regards.
Parfois, aspirant à la solitude et nous reposant au milieu de choses dont nous savons qu'elles ne peuvent nous interpeller et même
qu'elles ne nous voient pas, l'apparition d'une silhouette humaine suscite en nous un certain malaise; aussi tâchons-nous de changer de
direction pour éviter la rencontre.
Nous nous comportons souvent de même à la rencontre de celui dont la conversation, les idées ou le physique nous déplaisent, à moins
que nous préférions, par notre froideur, lui marquer ce qu'il est pour nous.
Au contraire, que paraisse un visage sympathique bien connu de nous, le spectacle de choses que nous contemplions, se dispersant dans
un fond indistinct, s'estompe et se brouille.
C'est l'ami qui accapare tout notre intérêt: nous nous portons vers lui, négligeant tout le reste.
C.
Cependant les différents cas que nous venons d'évoquer, comme certains autres qu'il serait facile d'imaginer, présentent un caractère
commun : jamais, à l'égard des personnes, nous ne prenons l'attitude de totale neutralité dans laquelle nous laissent la plupart des
choses.
Toujours leur arrivée nous agrée ou nous importune, leur présence nous charme ou nous ennuie.
Aux uns nous voulons le plus
grand bien; à l'égard de certains autres, nous en sommes incapables et nous surprenons même à leur vouloir du mal.
Rien de tel, le
sentiment esthétique mis à part, à l'égard des choses, à moins qu'elles n'aient, comme une propriété familiale, par exemple, quelque
rapport avec les personnes.
Notre comportement à l'égard des personnes est donc bien différent de celui que nous avons à l'égard des choses.
Pourquoi ?
II — L'EXPLICATION
A la question posée nous pourrions répondre d'une façon peu compromettante: parce que les personnes ne sont pas des choses.
Mais il
resterait à dire ce qui caractérise la personne.
Tâchons de le déterminer.
A.
Si nous avons envers elles une attitude toute particulière, c'est parce que les personnes participent comme nous à la nature humaine;
par suite elles font partie de notre milieu social ou peuvent s'y intégrer ou même encore elles peuvent entrer dans le cercle de nos
intimes.
Suivant que cette intégration est appréciée ou désirée, tolérée à contre-coeur ou refusée, nous prenons l'une ou l'autre des
diverses attitudes que nous avons énumérées.
Toujours cependant, et comme d'instinct, notre attitude est commandée par un double souci : un souci égocentriste ou égoïste, défendre
nos intérêts ; un souci altérocentriste ou altruiste, entrer en communication affective avec d'autres.
Mais qu'il s'agisse du premier ou du second, nous restons toujours sur nos gardes.
En effet, nous avons nos idées et nos préférences,
nous occupons une certaine place dans le groupe auquel nous sommes agrégés, nous avons un groupe d'amis...
: l'arrivée d'un nouveau
peut enrichir les milieux auxquels il s'agrège et y augmenter l'union ; mais il risque aussi d'être un élément de discorde.
De là l'attitude
quelque peu défiante avec laquelle il est reçu.
De là aussi l'usage de présenter les nouveaux à ceux qui ne les connaissent pas, surtout
quand il s'agit pour eux d'entrer dans un cercle plus ou moins fermé, une famille ou un salon : il faut alors un introducteur qui se porte en
quelque sorte garant des qualités qui rendent désirable l'admission de celui qu'il présente.
On ne prend pas de telles précautions pour introduire une machine ou un meuble dans un appartement.
Pourquoi ? Parce que ce ne sont
pas des personnes, pouvons-nous répondre.
Mais, cette réponse le montre, nous n'avons guère progressé dans notre explication.
Reste
la question essentielle : qu'est-ce que la personne, à en juger par notre attitude à l'égard de nos semblables ?
B.
La défiance que m'inspirent les inconnus, les précautions que je prends à leur rencontre sont elles-mêmes révélatrices de l'idée que je
me fais de la personne.
Je la conçois comme douée d'intelligence et de volonté, et cela même me met en garde.
Intelligent, cet homme que je rencontre peut me
juger, peut-être défavorablement, et, en tout cas, prendre barre sur moi en me rabaissant au niveau des objets.
Il a sans doute des
projets et cherche des moyens de les réaliser : qui sait si je ne suis pas un de ces moyens, et s'il ne m'asservira pas au rôle d'instrument
?
Toutefois la défiance ou même l'aversion que peuvent m'inspirer certains de mes semblables n'empêchent pas un certain respect qui
s'étend jusqu'aux cadavres : il faut une haine passionnée ou la contagion qui provoque le déchaînement des foules pour les traiter
comme des choses, bien qu'effectivement ils ne soient plus que des choses : si on les respecte c'est qu'ils constituaient l'élément matériel
d'une personne.
A plus forte raison sommes-nous indignés contre ceux qui traitent comme des choses des personnes vivantes,
s'amusant, par exemple à les prendre comme cibles.
Pourquoi ce respect ? En définitive parce que nous avons le sentiment que du fait de
sa liberté et des obligations qui en découlent, il y a en la personne quelque chose qui la transcende, l'appel d'un au-delà, une valeur
morale.
Enfin il faudrait être bien misanthrope pour ne voir dans l'inconnu que nous croisons qu'un concurrent ou un ennemi possibles.
Quelque
chose nous dit parfois que tel ou tel pourrait devenir notre ami.
Celui-là même qui me déplaît ou me laisse indifférent peut plaire à un
autre ; une amitié profonde peut s'établir entre eux.
Sans doute d'ailleurs, a-t-il déjà des êtres qu'il aime et dont il est aimé.
C'est la
conscience de cette vie affective, levier de dévouements que nous admirons, source tant de joies, mais aussi de tant de peines, qui nous
fait éviter ce qui pourrait faire souffrir ce compagnon de rencontre ; peut-être nous ne le reverrons plus ; mais nous ne voudrions pas qu'il
se souvienne de nous comme de quelqu'un qui l'a blessé en le traitant comme une chose.
Conclusion.
— Psychologues et philosophes caractérisent la personne en analysant les facultés humaines.
Ces facultés nous les avons
retrouvées en observant ce qui différencie notre attitude vis-à-vis de nos semblables de celle que nous avons devant les choses.
Mais
cette observation aurait sans doute été moins éclairante si nous n'avions pas bénéficié des lumières de la psychologie..
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