Notre rapport au monde est-il essentiellement technique
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Corrigé envoyé par Camille Lemarchand (TL2)
Notre rapport au monde est-il essentiellement technique ?
LIRE LE SUJET Attention à la compréhension de l'expression rapport au monde : il faut entendre par là notre mode de relation au monde,
notre manière de l'appréhender, d e le considérer, de le penser, d'agir sur lui ou d e le subir.
Attention également au terme
essentiellement ; on ne demande pas simplement si la technique joue ou non un rôle dans notre rapport au monde, mais si ce rôle
éventuel est fondamental, s'il est constitutif de notre rapport au monde, si notre rapport technique avec le monde est le plus important.
Il convient donc d'éviter : 1) une énumération des objets et des moyens techniques dont use l'homme ; 2) une réflexion sur les bienfaits
ou les dangers de la technique, car on ne demande pas déjuger ce «rapport au monde», mais seulement de l'analyser, de le définir.
Introduction
Un constat.
La technique est de plus en plus présente dans notre monde moderne, elle se fait de plus en plus envahissante, au point de
paraître à certains dangereuse.
Le problème est de savoir si la technique est un phénomène secondaire par rapport à la condition humaine (et alors son développement
serait en quelque sorte accidentel) ou bien si la technique constitue la manière fondamentale pour l'homme d'appréhender le monde (et
alors son emprise croissante serait naturelle, voire inévitable).
Il faut donc examiner si notre rapport au monde est, ou non,
essentiellement technique.
1.
La technique, manifestation de la conscience de soi
a) La conscience comme opposition au monde
L'homme est fondamentalement un être conscient.
Or la cons cience, comme l'a souligné Hegel, ne se pose qu'en s'opposant : la
conscience suppose en effet une séparation entre un sujet (celui qui est conscient) et un objet (ce dont
il est conscient) ; le «je» de la conscience de soi implique donc un «non-moi», celui du monde.
En
d'autres termes, être conscient de soi, c'est avoir nécessairement et simultanément conscience de ce
que l'on n'est pas, et c'est en prenant conscience de ce que l'on n'est pas que l'on prend conscience de
soi.
Mais ce «soi» dont il prend conscience, l'homme veut l'objectiver, c'est-à-dire l'offrir non seulement à
sa propre contemplation, mais aussi à celle des autres consciences, de n'importe quelle autre
conscience.
Il s'efforce donc, sinon de le matérialiser dans les choses extérieures, du moins d'en
imprimer la marque sur ces réalités extérieures, donc de les modifier, de les transformer.
«L'homme,
écrit Hegel, est engagé dans des rapports pratiques avec le monde extérieur, et de ces rapports naît
également le besoin de transformer ce monde comme lui-même, dans la mesure où il en fait partie,
en lui imposant son cachet personnel.
Et il le fait, pour encore se reconnaître lui-même dans fa forme
des choses, pour jouir de lui-même comme d'une réalité extérieure.
On saisit déjà cette tendance dans
les premières impulsions de l'enfant : il veut voir des choses dont il soit lui-même l'auteur, et s'il lance
des pierres dans l'eau, c'est pour voir ces cercles qui se forment et qui sont son oeuvre dans laquelle il
retrouve comme un reflet de lui-même.
» (Esthétique).
Ce besoin de transformer le monde extérieur
pour s'y reconnaître soi-même, observe Hegel, est au coeur du phénomène d e l'art, par lequel
l'homme tente de se placer en face de ce qu'il est.
Or ce que Hegel dit de l'art, en tant qu'activité
gratuite, ayant éventuellement pour finalité le beau, vaut pour l'art au sens le plus général, c'est-à-dire
celui de technique.
Ainsi l'ess ence de la technique consisterait dans un besoin d'affirmation de la conscience de soi contre
le monde.
Certes, la technique vise l'utilité ; mais cette utilité, au fond, ne la caractérise pas
(beaucoup d'inventions techniques sont inutiles et beaucoup sont inutilisées) : ce qui caractérise un objet technique, un outil, ce qui le
distingue de l'instrument que l'animal peut utiliser, c'est que l'homme reconnaît cet instrument comme sien, comme un produit de son
activité, de sa conscience, tandis que l'animal ne se reconnaîtra jamais dans l'instrument qu'il oublie aussitôt utilisé.
La technique est donc
liée à la conscience et réciproquement toute conscience est implicitement technique.
Notre rapport au monde apparaît donc bien
essentiellement technique.
Précisons-en les caractéristiques.
b) Faire violence à la nature et la soumettre
L'objet technique le plus simple est arraché à la nature, et lui est opposé.
C'est pourquoi Aristote voyait à juste titre dans la technique une
violence.
La technique fait violence à la nature et vise à la dominer.
La fin de la technique, pour reprendre la célèbre formule de
Descartes, c'est de «nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature» (Discours de la méthode, 6e partie, § 2).
c) Considérer le monde comme une chose
La conscience de soi veut s'affirmer comme seule et unique conscience.
En tant que manifestation de l'affirmation de la conscience de soi,
la technique va donc envelopper une négation de toute autre conscience.
C'est pourquoi l'on peut considérer la magie comme une forme
primitive et inférieure de la technique en ce sens que dans la magie la nature est encore appréhendée comme une autre conscience.
Le
magicien s'oppose à la nature, veut la dominer, mais ne la considère pas comme une chose.
Il s'adresse à elle : elle est une personne ou
une multiplicité de personnes, d'esprits, de dieux ; elle possède une dignité, elle est saisie comme sacrée, comme appartenant aune
réalité supérieure à celle de l'homme.
Éliminer toute âme, toute conscience de la nature, pour ne plus concevoir cette dernière que comme
une puissance produisant sans réflexion, voilà ce à quoi tend la technique qui, entraînée dans son propre mouvement, va jusqu'à
considérer l'homme lui-même comme une chose, ainsi qu'en témoigne la technique moderne.
Ainsi le mouvement même de la technique est-il d'affirmer la supériorité de l'homme en rabaissant la nature au rang d'un monde sans
conscience, «sans âme» : fondamentalement mécaniste, la technique tend à réduire le monde à un ensemble de choses..
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