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Nos rapports avec autrui sont-ils nécessairement de l'ordre de la violence ?

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« Qu'est qui est fondamentalement violent dans le rapport avec autrui ? En quoi par son existence même suscite-til la violence, le conflit ? Un "moi", par définition, c'est un être qui se sait lui-même, et pour lequel tout le reste est objet de perception ou d'action.

Pour lui, un "autre moi" n'est pas un moi, c'est un objet ; et réciproquement, pour cet autre moi, mon "moi" à moi est aussi un objet, donc il lui nie sa qualité de "moi".

Donc dès qu'un autre apparaît, il y a comme une rivalité pour le statut de "moi" ou de sujet, et donc le conflit apparaît.

C'est ce qui légitime Sartre à dire, dans L'être et le néant que le conflit est le mode fondamental de la relation à l'autre.

Hobbes, dans le Léviathan, ou Fichte, dans les Fondements du droit nature, montrent qu'autrui, par définition, est impénétrable.

Je ne sais pas s'il est bienveillant ou hostile, et lui ne connaît pas non plus mes intentions.

En l'absence de toute médiation (ce que Hobbes appelle l'état de nature), je sais qu'il va penser que je suis peut-être violent, donc qu'il va se défendre, donc attaquer d'abord, et sachant cela, c'est moi qui vais attaquer d'abord.

Comme ce sentiment est symétrique, il se fera la même réflexion.

Reste à savoir si ceci épuise le phénomène d'autrui, ou s'il n'y a pas aussi (on interroge le "nécessairement") d'autres relations impliquées dans la rencontre d'autrui, sympathie pour Rousseau (Discours sur l'origine de l'inégalité), imitation et identification dans la théorie freudienne. Se demander si les rapports avec les autres sont nécessairement de l'ordre du conflit peut surprendre.

Que la circonstance soit possible, cela s'admet.

Qu'elle soit nécessaire, cela semble excessif: la vie avec les autres n'est pas un perpétuel affrontement.

Quel est dès lors le sens d'une telle question ? Peut-être faut-il chercher du côté du concept d'autrui, thème sous-jacent à quoi se rattachent "l'autre" ou "les autres".

Ainsi verrons-nous que si la relation à autrui se révèle nécessairement conflictuelle, les rapports avec les autres ne sauraient se réduire à cette seule modalité. Nécessité du conflit dans la relation à autrui. Autrui : un glissement de sens marque l'histoire de ce mot. • Usuellement, il s'emploie de manière restrictive, dans des phrases telles que: "on ne doit pas nuire à autrui".

Ici le statut d'autrui n'est pas celui d'un sujet au sens plein du terme. • Aujourd'hui autrui est parvenu à la dignité de sujet, désignant bel et bien l'autre que moi, « le moi qui n'est pas moi » (Sartre).

Ainsi la présence d'autrui ne saurait se confondre avec celle d'un simple objet : « originellement, l'Autre est le Non-moi-non-objet » dit Sartre.

Comme tel, il s'oppose donc d'emblée à moi, il m'exclut, il est ma négation. • L'expérience de la « honte » décrite par Sartre précise en quoi le conflit est nécessaire, inévitable : si je ne suis moi que par autrui, ma relation fondamentale à autrui par le regard est vécue comme destituante et aliénante, car les yeux qui se posent sur moi me réduisent à l'état d'objet. « Imaginons que j'en sois venu, par jalousie, par intérêt, à coller mon oreille contre une porte, à regarder par le trou d'une serrure.

Je suis seul […] Cela signifie d'abord qu'il n'y a pas de moi pour habiter ma conscience.

Rien donc, à quoi je puisse rapporter mes actes pour les qualifier.

Ils ne sont nullement connus, mais je les suis et, de ce seul fait, ils portent en eux-mêmes leur totale justification.

Je suis pure conscience des choses […].

Cela signifie que, derrière cette porte, un spectacle se propose comme « à voir », une conversation comme « à entendre ».

La porte, la serrure sont à la fois des instruments et des obstacles : ils se présentent comme « à manier avec précaution » ; la serrure se donne comme « à regarder de près et un peu de côté », etc.

Dès lors « je fais ce que j'ai à faire » ; aucune vue transcendante ne vient conférer à mes actions un caractère de donné sur quoi puisse s'exercer un jugement : ma conscience colle à mes actes, elle est mes actes ; ils sont seulement commandés par les fins à atteindre et par les instruments à employer.

Mon attitude, par exemple, n'a aucun « dehors », elle est pure mise en rapport de l'instrument (trou de la serrure) avec la fin à atteindre (spectacle à voir), pure manière de me perdre dans le monde, de me faire boire par les choses comme l'encre par un buvard […]. Or voici que j'ai entendu des pas dans le corridor : on me regarde.

Qu'est-ce que cela veut dire ? C'est que je suis soudain atteint dans mon être et que des modifications essentielles apparaissent dans mes structures […]. D'abord, voici que j'existe en tant que moi pour ma conscience irréfléchie. C'est même cette irruption du moi qu'on a le plus souvent décrite : je me vois parce qu'on me voit, a-t-on pu écrire […] ; pour l'autre je suis penché sur le trou de la serrure, comme cet arbre est incliné par le vent.

[…] S'il y a un Autre, quel qu'il soit, où qu'il soit, quels que soient ses rapports avec moi, sans même qu'il agisse autrement sur moi que par le pur surgissement de son être, j'ai un dehors, j'ai une nature ; ma chute originelle c'est l'existence de l'autre.

» Sartre, « L'Etre et le Néant », Gallimard, pp.

305-306. Le texte de Sartre décrit clairement deux états de la conscience.

Dans le premier, une conscience solitaire est occupée, par jalousie, à regarder par le trou d'une serrure ce qui se passe derrière la porte.

Cette conscience est alors entièrement livrée à la contemplation du spectacle jusqu'à s'y fondre; elle est tout entière ce spectacle qu'elle. »

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