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Nos idées ne sont que des instruments intellectuels qui nous servent à pénétrer les phénomènes (Claude Bernard)

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« Commentez et discutez ce texte de Claude Bernard : « Nos idées ne sont que des instruments intellectuels qui nous servent à pénétrer les phénomènes.

Il faut les changer quand elles ont rempli leur rôle comme on change de bistouri quand il a servi trop longtemps.

» Introduction.

— Les recherches scientifiques comme la réflexion philosophique ne tendent qu'à nous donner une connaissance plus étendue et plus compréhensive, des idées plus nombreuses et plus justes.

Or, de ces idées que nous considérons comme la fin de toute activité intellectuelle, Claude Bernard semble parler comme de vulgaires instruments et de simples moyens qu'on met de côté une fois obtenu le résultat cherché « Nos idées, dit-il , ne sont que des instruments intellectuels qui nous servent à pénétrer les phénomènes...

» Comment comprendre cette affirmation et qu'en penser ? Pour répondre à cette question, nous nous placerons successivement à deux points de vue : d'abord au point de vue de Claude Bernard ; ensuite à celui d'un lecteur contemporain, qui, examinant le texte proposé sans tenir compte du contexte ni même de l'auteur, pourrait y voir une expression de la conception dialectique de la science. I.

— LA CONCEPTION DE CLAUDE BERNARD A.

Commentaire.

— Dans le vocabulaire de Claude Bernard, « idée » ou « idée expérimentale » est synonyme d' « hypothèse » ou même de « théorie ».

Opposant l'expérimentateur au métaphysicien, l'auteur de l' « Introduction à l'étude de la Médecine expérimentale » note que le premier « pose son idée comme une question, comme une interprétation anticipée de la nature, plus ou moins probable, dont il déduit logiquement des conséquences qu'il confronte à chaque instant avec la réalité au moyen de l'expérience (...).

L'idée expérimentale est donc aussi une idée a priori, mais c'est une idée qui se présente sous la forme d'une hypothèse dont les conséquences doivent être soumises au critérium expérimental afin d'en juger la valeur ». Ces idées, c'est-à-dire les hypothèses, sont des instruments intellectuels.

On ne les forme pas pour elles-mêmes, mais comme un moyen de s'élever de la constatation des faits à la découverte des lois. Le processus par lequel s'effectue ce passage a été bien analysé par Claude Bernard : le fait suggère l'idée ou hypothèse ; l'idée dirige l'expérience ; l'expérience juge l'idée. Une fois l'hypothèse formulée, on en tire les conséquences logiques qui en découlent, puis on vérifie si ces conséquences sont conformes à la réalité : dans la négative, l'hypothèse est démontrée fausse ; dans l'affirmative, elle est confirmée en ce sens qu'elle acquiert une probabilité qui augmentera à chaque nouveau contrôle. Voilà ce que Claude Bernard appelle le raisonnement expérimental, dont l'exemple classique est la série d'expériences faites sous la direction de Pascal pour vérifier l'hypothèse de Torricelli. Une fois le contrôle effectué, l'idée a rempli son rôle ; on passe à une autre. B.

Discussion.

— Cette sorte de mise au rancart générale de toutes les hypothèses, une fois vérifiées les conclusions du raisonnement expérimental dont elles étaient l'âme, peut paraître quelque peu surprenante. Qu'on abandonne une hypothèse qui, au contact des faits, s'est révélée insuffisante, tout comme on met de côté un bistouri ébréché ou qui a perdu son tranchant, c'est la règle même du jeu.

Mais Claude Bernard ne fait aucune distinction entre hypothèses et hypothèses : toutes, à prendre son texte à la lettre, même celles qui ont été confirmées par l'épreuve du raisonnement expérimental, doivent être changées quand elles ont rempli leur rôle.

Peuton admettre cette conception et comment expliquer que ce grand théoricien de la méthode expérimentale ait pu avancer une affirmation si étrange ? Soyons-en certains, l'auteur de la fameuse « Introduction » ne prétend pas que l'expérimentateur doive rejeter comme fausse une idée dont l'expérimentation vient de confirmer la valeur : il tomberait alors dans une contradiction dont on ne peut pas le soupçonner.

Comment devons-nous donc comprendre ses directives ? Elles se comprennent si nous nous rappelons que le mot « idée » désigne toujours l'hypothèse, instrument essentiel du travail scientifique.

Une fois le travail effectué, on met l'instrument de côté, même lorsqu'il s'est révélé parfaitement apte à obtenir le résultat cherché.

L'hypothèse confirmée par les opérations de contrôle est, elle aussi, abandonnée, non pas comme fausse, mais soit comme inutile désormais, puisque le but pour lequel elle avait été formée est atteint, soit encore parce que ayant, à force d'épreuves, été érigée en ioi, elle a par là même cessé d'être une de ces « idées » dont parle notre texte, c'est-à-dire une hypothèse. Claude Bernard, en effet, et d'une façon générale tout véritable savant, est un chercheur.

Comme le chasseur qui s'intéresse plus à la chasse qu'à la prise, ou du moins qu'à la possession de ce qu'il a pris, sa vocation n'est pas de jouir du territoire conquis, mais de pousser plus loin la conquête. II.

— LA CONCEPTION DIALECTIQUE DE LA SCIENCE Des affirmations analogues à celle de Claude Bernard se lisent fréquemment dans les ouvrages contemporains de philosophie scientifique, en particulier sous la plume des partisans d'une conception dialectique de la science.

Le représentant le plus en vue de ce mouvement de pensée est Ferdinand Gonseth.

Pour on ne peut rien affirmer d'une façon définitive ; « toutes nos notions sont en devenir...

Nos idées, même les plus profondément ancrées, sont en suspens entre un passé qui nous échappe peut-être en partie et un avenir encore imprévisible ; elles sont essentiellement en devenir ».

Par suite, « la démarche scientifique réelle n'est pas une marche de certitude en certitude, de réalité en réalité, c'est une marche d'évidences provisoires et sommaires en évidences provisoires et sommaires ».

Sans doute, « toute position sommairement juste, tout raisonnement sommairement efficace, peuvent servir de point de départ » pour la recherche ; mais il faut ajouter cette condition : « pourvu qu'ils ne soient pas posés intangibles ; pourvu qu'ils soient considérés comme révisables ».. »

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