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NIETZSCHE: Morale et moral

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Morale et moral.-Être moral, avoir des moeurs, avoir de la vertu, cela veut dire pratiquer l'obéissance envers une loi et une tradition fondées depuis longtemps. Que l'on s'y soumette avec peine ou de bon coeur, c'est là chose indifférente ; il suffit qu'on le fasse. On appelle « bon » celui qui par nature, à la suite d'une longue hérédité, donc facilement et volontiers, agit conformément à la morale, quelle qu'elle soit (par exemple se venger ; si se venger fait partie, comme chez les anciens Grecs, des bonnes moeurs). On l'appelle bon parce qu'il est bon « à quelque chose » ; or, comme la bienveillance, la pitié et les autres sentiments semblables finissent, avec le changement des moeurs, par être toujours sentis comme « bons à quelque chose », comme utiles, c'est maintenant le bienveillant, le secourable, qu'on nomme de préférence « bon ». Être méchant, c'est n'être « pas moral » (immoral), pratiquer l'immoralité, résister à la tradition, quelque raisonnable ou absurde qu'elle soit ; mais c'est le dommage fait au « prochain » qui a été, dans toutes les lois morales des diverses époques, ressenti principalement comme nuisible, au point que, maintenant, le mot « méchant » nous fait tout d'abord penser au dommage volontaire fait au prochain. Ce n'est pas entre « égoïste » et « altruiste » qu'est la différence fondamentale qui a porté les hommes à distinguer le moral de l'immoral, le bon du mauvais, mais bien entre l'attachement à une tradition, à une loi et la tendance à s'en affranchir. La manière dont la tradition a pris naissance est à ce point de vue indifférente ; c'est en tout cas sans égard au bien et au mal ou à quelque impératif immanent et catégorique, mais avant tout en vue de la conservation d'une communauté, d'un peuple ; tout usage superstitieux, qui doit sa naissance à un accident mal interprété, produit une tradition qu'il est moral de suivre ; s'en affranchir est en effet dangereux, plus nuisible encore à la communauté qu'à l'individu (parce que la divinité punit le sacrilège et toute violation de ses privilèges sur la communauté et par ce moyen seulement sur l'individu). Or, toute tradition devient continuellement plus respectable à mesure que l'origine s'en éloigne, qu'elle est plus oubliée ; le tribut de respect qu'on lui doit va s'accumulant de génération en génération, la tradition finit par devenir sacrée et inspirer de la vénération ; et ainsi la morale de la piété est une morale en tout cas beaucoup plus ancienne que celle qui demande des actions altruistes. NIETZSCHE
Dans ce texte Nietzsche avance sa conception de la morale, prenant le contre-pied de toute une tradition philosophique rapportant la morale et la vertu à un Bien en soi, en effet Nietzsche nous livre ici l’idée d’une morale naturalisée, c'est-à-dire identifiée au mouvement de sa propre histoire. L’étude de la morale et des mœurs devient dans ce texte l’étude des traditions et de la manière de s’y conformer ou non.
           Dans un premier moment Nietzsche définit les termes cruciaux mis en jeu dans la philosophie morale et, référant ces notions à leur (hypothétique ?) origine, il les relativise puisque le bien et le mal tels que nous les comprenons ne s’avèrent être que les résultats de glissements de sens corrélatifs. Dans un deuxième temps l’auteur insiste sur le relativisme moral : la morale ne renvoie pas tant à des valeurs éternelles et transcendantes qu’à la tradition qui la porte. Enfin l’auteur conclut brièvement sur l’importance de la durée comme corrélat efficace du respect accordé à une loi.
 

« Dans ce texte Nietzsche avance sa conception de la morale, prenant le contre-pied de toute une tradition philosophique rapportant la morale et la vertu à un Bien en soi, en effet Nietzsche nous livre ici l'idée d'une morale naturalisée, c'est-à-dire identifiée au mouvement de sa propre histoire.

L'étude de la morale et des mœurs devient dans ce texte l'étude des traditions et de la manière de s'y conformer ou non. Dans un premier moment Nietzsche définit les termes cruciaux mis en jeu dans la philosophie morale et, référant ces notions à leur (hypothétique ?) origine, il les relativise puisque le bien et le mal tels que nous les comprenons ne s'avèrent être que les résultats de glissements de sens corrélatifs.

Dans un deuxième temps l'auteur insiste sur le relativisme moral : la morale ne renvoie pas tant à des valeurs éternelles et transcendantes qu'à la tradition qui la porte.

Enfin l'auteur conclut brièvement sur l'importance de la durée comme corrélat efficace du respect accordé à une loi. La première partie du texte est structurée en trois moments forts qui correspondent aux définitions de la vertu, du « bon » et du « méchant » ; remarquons le d'emblée : Nietzsche ne parle pas du Bien et du Mal mais des sujets en tant que « bon » ou « méchants ».

C'est là un trait caractéristique de sa philosophie, souligné par Deleuze dans Nietzsche et la philosophie et qui consiste plutôt qu'à s'interroger sur la nature des choses à faire porter le questionnement sur le sujet de l'action. La première définition lie la vertu à l'obéissance « Etre moral, avoir des mœurs, avoir de la vertu, cela veut dire pratiquer l'obéissance envers une loi et une tradition fondées depuis longtemps ».

La morale est donc liée au pli pris par l'individu, elle ne dépend pas d'une bonne nature ou de quelque tendance de l'individu au Bien mais d'une discipline, de l'obéissance du sujet à la loi, laquelle est normalisée par la tradition c'est-à-dire intégrée comme habitude.

La tradition est une garantie de l'ordre moral, cela correspond au déni d'une quelconque valeur en soi de la morale.

Le philosophe ajoute « Que l'on s'y soumette avec peine ou de bon cœur, c'est là chose indifférente ; il suffit qu'on le fasse », être morale c'est donc un exercice que l'on s'impose et il n'importe pas que l'on se force ou non.

Rien de plus étranger à Nietzsche que la préoccupation kantienne des conditions de possibilité d'une morale formelle. L'action est morale en tant qu'elle est obéissance à une norme, que le sujet agisse ou non par intérêt n'y ajoute rien, ce problème de la modalité est à l'inverse le cœur de la philosophie morale de Kant. Une deuxième définition concerne l'homme « bon » : il est celui qui se conforme, le contenu de la moral importe peu, il est tributaire d'une histoire, « On appelle « bon » celui qui par nature, à la suite d'une longue hérédité, donc facilement et volontiers, agit conformément à la morale, quelle qu'elle soit ». Ce relativisme affirmé oppose Nietzsche à toute philosophie morale moralisante, l'auteur ne nous dit jamais comment agir pour bien faire mais ce qu'être moral signifie vraiment, sa lecture est critique.

Nietzsche pousse le relativisme jusqu'à référer le fait d'être « bon » au fait d'être capable, à l'origine le « bon » renvoie donc à l'utile autrement dit le « bon » comme bon en soi n'est qu'une détermination dérivée et secondaire, « On l'appelle bon parce qu'il est bon « à quelque chose » ».

De cela l'auteur s'autorise de relier l'évolution des catégories morales à la gradation de l'utile « or, comme la bienveillance (…) de préférence « bon » ».

En une phrase l'auteur écorche ainsi les valeurs portées par le christianisme de son époque en réduisant leur essence à la contingence d'une évolution historique. Enfin Nietzsche s'attarde sur le caractère de « méchant », d'après lui ce caractère est à l'origine le trait de celui qui désobéit, seulement, à force, cette désobéissance est devenue synonyme de méchanceté au sens où le méchant c'est celui qui menace l'autre, « Etre méchant (…) fait au prochain.

».

Le rapport non-conforme à la loi devient donc l'indice de la méchanceté et par là même de la dangerosité de celui qui désobéit.

Si l'explication de Nietzsche peut être prise avec prudence (en effet il demeure très allusif et n'étaye pas sa thèse qui pourtant le nécessite tant elle est forte) elle reste de toute manière pertinente puisque en effet désobéir est toujours ressenti comme menace par le plus grand nombre.

Si désobéir est toujours plus difficile qu'obéir c'est parce que nous avons intégré que l'obéissance était liée au fait d'être bon et réciproquement la désobéissance au caractère de mauvais (cf.

par exemple les expériences de Milgram menées aux Usa). Dans un deuxième moment du texte Nietzsche insiste sur l'importance de la tradition, sur l'historicité de la morale, déjà signalée en première partie « Ce n'est pas entre (…) tendance à s'en affranchir ».

Les notions d'égoïsme et d'altruisme ne sont donc que constituées secondairement et renvoient à l'obéissance, à la conformité du sujet aux lois en vigueur.

La norme morale est le résultat d'un processus historique dont on peut faire la généalogie (et c'est ce que l'auteur entreprend dans La généalogie de la morale), elle n'est pas une norme transcendante c'est-à-dire renvoyant à une Idée du Bien.

Elle ne renvoie pas plus à une bonne nature en soi de l'humanité : « La manière dont la tradition a pris naissance est à ce point de vue indifférente ; c'est en tout cas sans égard au bien et au mal ou à quelque impératif catégorique… [nous réservons la fin de la phrase à la suite du commentaire] », ici Nietzsche vise Kant et sa doctrine de l'impératif catégorique (cf.

Fondements de la métaphysique des mœurs).

Kant réfère la morale au devoir, tel qu'il est désintéressé, accompli sans affection par le sujet et selon que la maxime du devoir puisse être ou non « érigée en loi universelle de la nature ».

Ce souci de fonder la morale, de la justifier, de l'épurer, est étranger à Nietzsche, pour lui elle doit être lue comme le résultat de sa propre histoire et relève davantage d'une anthropologie (terme que Nietzsche bien sûr n'utilise pas), d'une généalogie, voire d'une philologie (cf.

le début de La généalogie de la morale) que d'une métaphysique. La tradition comme corrélat garantissant l'établissement de tel type de morale (grecque, chrétienne, protestante, aristocratique...) s'établit suivant qu'elle répond ou non au soucis biologique par excellence (la deuxième moitié du XIXe siècle signe l'essor des théories évolutionnistes) : la capacité de se conserver, «… mais avant tout en vue de la conservation d'une communauté, d'un peuple ».

La morale renverrait donc à un impératif de conservation, c'està-dire à une dimension proprement vitale et non en soi morale.

Ce souci de conservation justifie la tendance au fétichisme et à la superstition « tout usage superstitieux, qui soit sa naissance à un incident mal interprété, produit une tradition qu'il est moral de suivre ».

Ici Nietzsche frôle toutefois la contradiction puisque si le sens de la morale c'est de servir la cohérence et donc la conservation de la communauté, en vertu de ce souci de conservation la communauté devrait logiquement être capable d'adaptation or c'est justement ce à quoi s'oppose le fait bâti comme superstition puisqu'il vaut une fois pour toute, irrationnellement, et ne saurait être infirmé dans le sens qu'une adaptation exigerait pourtant. Cependant c'est de sociétés proprement humaines et non animales qu'il est question, aussi le sacré, le rituel, ont leur importance dans la vie sociale.

L'individu met en jeu le sort de la communauté toute entière lorsqu'il transgresse les règles transcendantes (les superstitions), la superstition devient donc un garde-fou qui interdit la transgression sous peine de catastrophe.

En fait en liant le sort de la communauté au comportement de chaque individu c'est sur l'individu singulier qu'il est fait pression, « plus nuisible encore (…) seulement sur l'individu).

».

Non seulement la morale renvoie à une histoire et non à un principe transcendant ou une nature immanente mais son contenu peut-être irrationnel et tenir, à son commencement, de la superstition. L'auteur conclut brièvement sur l'importance de la temporalité dans l'affirmation d'un contenu moral : « Or, toute tradition devient continuellement plus respectable à mesure que son origine s'en éloigne, qu'elle est plus oubliée (…) demande des actions altruistes.

».

Il y a proportionnalité entre la vieillesse de l'origine et le respect accordé au contenu moral qui en découle, on retrouve là une idée exprimée par Machiavel à propos du pouvoir politique au début du Prince : toute prise de pouvoir se fait dans le sang, la légitimité n'est conquise qu'à force de temps, lorsque les circonstances de la prise du pouvoir auront été oubliées.

L'oubli de l'origine est ici le corrélat du sacré.

La morale est le produit d'une histoire et son caractère sacré est tributaire de sa durée. La morale est dépouillée de toute transcendance, elle n'est pas l'expression d'un Bien en soi, elle est aussi désincarnée puisqu'elle ne renvoie guère plus à une bonne nature de l'homme ; elle est réifiée, naturalisée comme processus historique dont on peut faire la généalogie.

La tâche d'une philosophie de la morale n'est pas chez Nietzsche de distinguer le bien du mal, de fonder une morale réelle ou de droit mais de délivrer une lecture critique du sens qu'elle revêt dans notre vie.. »

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