Nietzsche: La vérité est-elle un concept nécessaire ?
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Personne ne tiendra
aisément pour vraie une doctrine, uniquement parce qu'elle rend
heureux ou vertueux : à l'exception peut-être des aimables «
idéalistes » qui s'enthousiasment pour le bon, le vrai, le beau et
font nager dans leur étang pêle-mêle toutes sortes d'objets désirables
bariolés, lourds et braves. Bonheur et vertu ne sont pas des arguments.
Mais on oublie volontiers, même chez les esprits réfléchis, que rendre
malheureux et rendre méchant sont aussi peu des arguments contraires.
Il pourrait y avoir quelque chose de vrai et qui fût au plus haut point
nuisible et dangereux : il pourrait même appartenir à la constitution
fondamentale de l'existence que l'on périsse à la connaissance totale
du vrai - de sorte que la force d'un esprit se mesurerait à la dose de
vérité qu'il pourrait exactement supporter, pour être plus explicite,
au degré auquel il lui serait nécessaire qu'elle fût atténuée, voilée,
adoucie, assourdie, faussée. Mais sans aucun doute, pour la mise au
jour de certains éléments de la vérité, les méchants et les malheureux
sont plus favorisés et bénéficient d'une probabilité plus grande de
réussite ; sans parler des méchants heureux - une espèce que les
moralistes passent sous silence. Peut-être la dureté et la ruse
fournissent-elles de meilleures conditions, pour la naissance de
l'esprit fort et indépendant et du philosophe, que cette bonhomie
douce, fine et souple et que cet art de l'accommodement que l'on
apprécie chez l'érudit et que l'on y apprécie à juste titre. [...]
Stendhal apporte au portrait du philosophe de la pensée libre une
dernière touche que je ne veux pas négliger de souligner pour
l'édification du goût allemand, car elle va contre le goût allemand.
Pour être bon philosophe, dit ce dernier grand psychologue, il faut
être sec, clair, sans illusion. Un banquier qui fait fortune a une
partie du caractère requis pour faire des découvertes en philosophie,
c'est-à-dire pour voir clair dans ce qui est.
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