NIETZSCHE : la nécessité de l'oubli
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«
NIETZSCHE : la nécessité de l'oubli
Si l'animal jouit d'un bonheur que l'homme jalouse, c'est parce qu'il n'a
pas de mémoire supérieure.
Seul l'homme dit « je me souviens » et
pour cela il lui est impossible de vivre heureux et pleinement.
En effet
:
1) C'est par la mémoire, conscience du passé, que l'homme acquiert la
conscience du temps et donc celle de la fugitivité et de
l'inconsistance de toutes choses, y compris de son être propre.
Il sait
que ce qui a été n'est plus, et que ce qui est est destiné à avoir été,
à n'être plus.
Cette présence du passé l'empêche de goûter l'instant
pur, et par conséquent le vrai bonheur.
2) Le passé apparaît à l'homme comme l'irréversible et l'irrémédiable.
Il
marque la limite de sa volonté de puissance.
L'instant présent, ouvert
sur l'avenir, est le lieu du possible où peut s'exercer sa volonté de
puissance.
Le passé, au contraire, change et fige la contingence du
présent en la nécessité du « cela a été ».
Dès lors la volonté ne peut
que se briser sur cette pétrification du passé qui se donne comme le
contre-vouloir de cette volonté.
C'est pourquoi « l'homme s'arc-boute
contre le poids de plus en plus lourd du passé qui l'écrase ou le dévie,
qui alourdit sa démarche comme un invisible fardeau de ténèbres ».
3) Sans l'oubli l'homme ne peut pleinement vouloir ni agir : il est un
être malade, il est l'homme du ressentiment.
La « santé » psychique dépend de la faculté de l'oubli, faculté
active et positive dont le rôle est d'empêcher l'envahissement de la conscience par les traces mnésiques (les
souvenirs).
Car alors l'homme réagit à ces traces et cette réaction entrave l'action.
Par elles l'homme resent, et tant qu'elles sont présentes à la conscience, l'homme n'en finit pas de ressentir, « il n'en finit avec
rien ».
Englué dans sa mémoire, l'homme s'en prend à l'objet de ces traces dont il subit l'effet avec un retard
infini et veut en tirer vengeance: « On n'arrive à se débarrasser de rien, on n'arrive à rien rejeter.
Tout
blesse.
Les hommes et les choses s'approchent indiscrètement de trop près, tous les événements laissent
des traces; le souvenir est une plaie purulente.
»
Le désir de vengeance et le ressentiment
Cette tension de la vie pour se surmonter elle-même sous la forme de la volonté de puissance peut-elle aller
à l'infini ? Une ascension infinie n'est pas possible parce que la volonté vient se heurter au temps : la volonté
de puissance vient achopper sur l'essence du temps comme sur sa limite.
Elle peut bien vouloir l'avenir mais
non pas le passé.
Si l'avenir est le domaine qui lui est ouvert, le passé semble lui échapper pour toujours : «
En arrière ne peut vouloir la volonté.
»
La volonté ne peut vouloir en arrière que sous les formes morbides du désir de vengeance et du
ressentiment.
Cette volonté réactive ne veut pas simplement abolir ou annuler ceci ou cela, c'est contre le
devenir lui-même dans ce qu'il a d'irréversible et d'inexorable qu'elle s'exerce, parce que c'est à sa propre
impuissance à vouloir pour le passé qu'elle se trouve confrontée..
»
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