NIETZSCHE : la fonction vitale de l'illusion
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«
NIETZSCHE : la fonction vitale de l'illusion
L'illusion possède une fonction vitale.
En effet « on ne peut pas vivre avec la Vérité », car découvrir cette vérité, c'est découvrir que
n'existe qu'un flux éternel des choses, un Abîme où toutes s'abîment.
La vie, expression de la Volonté de Puissance, a donc besoin de
falsifier le réel, d'affirmer l'être contre le devenir, d'organiser ce flux, de le contraindre à se plier aux options vitales du sujet, c'est-à-dire
aux valeurs et aux normes définies par la Volonté de Puissance, bref .elfe a besoin de l'illusion, qu'elle érige en vérité.
C'est pourquoi,
même la prétendue vérité objective de la science se réduit en fait à une croyance, une illusion qui nous est nécessaire pour vivre.
Nietzsche : l'illusion, besoin de la vie
a) Un renversement du problème de la métaphysique
• Si Kant a montré qu'un certain usage de la raison produit des illusions, on peut aller plus loin et se demander si la raison ne produit pas
toujours des illusions, si la raison elle-même n'est pas une illusion répondant à un besoin fondamental de l'homme.
C'est ce qu'a fait
Nietzsche.
• Ainsi que l'a souligné J.
Granier (cf.
Le Problème de la vérité dans la philosophie de Nietzsche), Nietzsche opère en effet un
renversement radical du problème de l'illusion métaphysique en demandant non plus avec Kant « Comment la métaphysique est-elle
possible ? » mais « Qu'est-ce qui constitue Y essence de la pensée métaphysique ?» En critiquant la métaphysique, Kant se place du point
de vue de cette dernière en ne remettant pas en cause son principe fondamental, qui est celui du dualisme du vrai et du faux, du réel et
de l'apparent, du noumène et du phénomène, etc.
«C'est pourquoi l'exigence de renverser la Métaphysique impliquera, aux yeux de
Nietzsche, l'obligation impérieuse pour la pensée de se situer résolument par-delà le vrai et le faux, ces termes ne signifiant pas la
proclamation d'un scepticisme universel, mais ayant pour seule fonction de démembrer le cadre dogmatique dans lequel la tradition
métaphysique prétendait enfermer la réflexion sur l'Être» (J.
Granier).
La métaphysique
comme œuvre de la raison est pour Nietzsche une illusion non pas parce qu'elle prétend, comme l'affirmait Kant, connaître le monde vrai
du noumène alors qu'elle ne peut l'atteindre, mais par le fait même qu'elle pose cet être.
En renversant toute métaphysique, Nietzsche
peut s'exclamer « Nous avons aboli le monde vrai : quel monde restait-il ? Peut-être celui de l'apparence ?...
Mais non ! En même temps
que le monde vrai, nous avons aussi aboli le monde des apparences ! »
b) La vérité ? une sorte d'erreur
• Selon Nietzsche, en effet, « la vérité est une sorte d'erreur, faute de laquelle une certaine espèce d'être vivants ne pourraient vivre.
Ce
qui décide en dernier ressort, c'est sa valeur pour la vie » (La Volonté de Puissance, t.
I, 1.
II, § 308).
La vérité, est une erreur dans la
mesure où elle ne dévoile pas la Vérité originaire, la Vérité propre de l'Être, qui est «le flux éternel de toutes choses».
Cette Vérité
originaire n'est pas à proprement parler puisqu'elle est devenir, elle est l'Abîme où s'abîment toutes choses, elle est donc incompatible
avec la vie : « on ne peut pas vivre avec la Vérité» (id., t.
II, 1.
III, § 557); «il serait possible que la véritable nature des choses fut
tellement nuisible, tellement hostile aux conditions mêmes de la vie, que l'apparence fût nécessaire pour pouvoir vivre» (id., I, 212).
La vie, expression de la Volonté de Puissance, a donc besoin, pour être, de voiler cette Vérité.
Elle a besoin d'organiser le devenir,
d'affirmer l'être contre le devenir, elle a besoin de Y illusion.
C'est cette illusion nécessaire qu'elle se donne pour «vérité».
Une telle vérité
est ainsi une création de la vie.
• Dans ces conditions il n'y a pas de vérité impersonnelle, et ce qui fonde la vérité d'une chose c'est sa conformité avec les exigences
vitales de chaque être.
C 'est la Volonté de Puissance qui est à l'œuvre dans les jugements de vérité : « A l'origine, le jugement ne signifie
pas seulement «ceci et cela est vrai», mais bien davantage: «je veux que ceci soit vrai de telle ou telle manière» (Œuvres posthumes, §
302).
Toute connaissance, même la connaissance «objective», scientifique, sera ainsi l'expression d'un instinct de domination puisqu'elle
ne tend pas à découvrir le réel, à le dévoiler, à le laisser se montrer tel qu'il est dans sa Vérité originaire, mais à l'organiser, à le
contraindre à se plier aux valeurs, aux normes définies par la Volonté de Puissance du sujet, à ses options vitales.
C onnaître, c'est mettre
autoritairement en forme le réel, c'est instituer des « vérités » qui n'ont qu'une valeur utilitaire, celle de répondre au désir de
conservation et à l'augmentation de la puissance d'une espèce ou d'un être vivant : « Comment se prouve la vérité ? Par le sentiment
d'une puissance accrue, par son utilité, par sa nécessité, bref par ses avantages » ( Vol.
de Puis., t.
I, 1.
I, § 190).
Quelques formes d'illusion selon Nietzsche
Cette illusion nécessaire à la vie prend de multiples formes.
a) L'illusion du savoir
Comme nous l'avons vu, aucun savoir n'est jamais « objectif», neutre, impersonnel.
Il reflète toujours les exigences vitales de ses
auteurs.
À travers ce savoir s'expriment des dispositions physiologiques, une certaine relation du corps et de la volonté à la réalité.
Ainsi,
le projet philosophique (ou scientifique) tout entier, qui est projet de privilégier la connaissance, d'affirmer la supériorité du savoir sur le
non-savoir, sur l'illusion, etc., constitue un point de vue, une évaluation qui sont rendus nécessaires par l'état de ceux qui le forment
(l'état de leur Volonté de Puissance).
Nietzsche nomme idiosyncrasie cette disposition des êtres qui entraîne leurs réactions propres.
b) L'illusion du langage
« L'importance du langage dans le développement de la civilisation, observe Nietzsche, réside en ce que l'homme y a situé, à côté de
l'autre, un monde à lui, un lieu qu'il estimait assez solide pour, s'y appuyant, sortir le reste du monde de ses gonds et s'en rendre maître.
Dans la mesure même où l'homme a cru aux concepts et aux noms des choses comme à autant de vérités éternelles, il a vraiment fait
sien cet orgueil avec lequel il s'élevait au-dessus de l'animal : il s'imaginait réellement tenir dans le langage la connaissance du monde.
L'artiste du verbe n'était pas assez modeste pour croire qu'il ne faisait qu'attribuer des dénominations aux choses, il se figurait au
contraire exprimer dans ses mots le suprême savoir des choses; le langage est en fait la première étape dans la quête de la science.
» (
Humain, trop humain, I, 11.) Le langage est ainsi, comme l'art ou la science, une illusion qui cache la véritable nature des choses.
c) L'illusion de l'art
Les illusions de l'art peuvent jouer un rôle comparable à celui des illusions du «savoir» : «celui-ci est captivé par le plaisir socratique de la
connaissance et l'illusion de pouvoir guérir par ce moyen l'éternelle blessure de l'existence, celui-là s'embarrasse dans les plis séduisants
du voile de la beauté.
» {Naissance de la Tragédie, coll.
Médiations p.
116).
L'art, en ce sens, est voile d'illusion ; il nous donne quiétude
ou euphorie parce qu'il nous divertit de l'abîme, le rend, parfois, invisible.
Ici, l'art est un narcotique au même titre que le « savoir»..
»
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