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Nietzsche: La conscience est-elle illusoire ?

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Du "génie de l'espèce". - [...] Car nous pourrions penser, sentir, vouloir, nous souvenir, nous pourrions également agir » dans toutes les acceptions du mot, sans qu'il soit nécessaire que nous ayons conscience » de tout cela. La vie tout entière serait possible sans qu'elle se vît en quelque sorte dans une glace : comme d'ailleurs, maintenant encore, la plus grande partie de la vie s'écoule chez nous sans qu'il y ait une pareille réflexion - et de même la partie pensante, sensitive et agissante de notre vie, quoiqu'un philosophe ancien puisse trouver quelque chose d'offensant dans cette idée. Pourquoi donc la conscience si, pour tout ce qui est essentiel, elle est superflue ? - Dès lors, si l'on veut écouter ma réponse à cette question et les suppositions, peut-être lointaines, qu'elle me suggère, la finesse et la force de la conscience me paraissent toujours être en rapport avec la faculté de communication d'un homme (ou d'un animal), et cette faculté fonction du besoin de communiquer [...]. Le fait que nos actes, nos pensées, nos sentiments, nos mouvements parviennent à notre conscience - du moins en partie - est la conséquence d'une terrible nécessité qui a longtemps dominé l'homme : étant l'animal qui courait le plus de dangers, il avait besoin d'aide et de protection, il avait besoin de ses semblables, il était forcé de savoir exprimer sa détresse, de savoir se rendre intelligible - et pour tout cela il lui fallait d'abord la conscience », pour savoir lui-même ce qui lui manquait, savoir » quelle était sa disposition d'esprit, savoir ce qu'il pensait. Car, je le répète, l'homme comme tout être vivant pense sans cesse, mais ne le sait pas ; la pensée qui devient consciente n'en est que la plus petite partie, disons : la partie la plus médiocre et la plus superficielle ; - car c'est cette pensée consciente seulement qui s'effectue en paroles, c'est-à-dire en signes de communication, par quoi l'origine même de la conscience se révèle.

« Être conscient, c'est d'abord être affecté par quelque chose, aussi la conscience peut-elle apparaître comme essentiellement réceptive, voire passive.

La conscience est-elle libre, ou déterminée ? La conscience signifie-t-elle l'acceptation résignée de l'ordre des choses, ou se définit-elle au contraire par sa capacité à le transcender, voire à le refuser ? Se définit-elle dans la soumission ou dans la révolte ? Paradoxalement, le fait de prendre conscience de sa propre impuissance peut aussi signifier être libre. Connaître le bien et le mal, être capable d'en juger, est aussi du ressort de la conscience.

Jugeons-nous en toute indépendance, ou sommes-nous influencés par notre éducation ? De plus, ce qui est bien pour l'un l'est-il nécessairement pour l'autre ? Et s'il s'agit avant tout de soi, ne faut-il pas se connaître, pour savoir ce qui est bien pour soi ? Seul un être conscient peut accéder au domaine du savoir, de la connaissance.

On voit donc apparaître une tension lorsqu'il semble que la connaissance s'affranchit des exigences de la conscience.

Qu'est-ce qui distingue alors science et conscience ? Cela conduit à s'interroger sur le caractère moral de la conscience.

D'autant plus que la morale ne repose pas uniquement sur la raison, mais aussi sur la foi. Être conscient, c'est aussi sentir quelque chose, éprouver des sentiments.

Cela signifie-t-il que la conscience reste en quelque sorte enfermée dans sa subjectivité ? Mais ne risquerait-elle pas alors d'être source d'illusions ? Toutefois, la nature paradoxale de la conscience, sa complexité, convient peut-être à l'ampleur de son domaine qui, au-delà des limites de la raison, s'étend au fonctionnement global et diversifié de l'esprit humain. La conscience semble se distinguer de la raison, non pas parce que la raison pourrait exister sans conscience, mais parce que la conscience ne se limite pas à la rationalité : les sensations, les émotions, les opinions plus ou moins fondées, l'intuition, sont des phénomènes de la conscience.

Ce qui fait l'identité irréductible d'un sujet semble plutôt se trouver du côté de la conscience, avec l'ensemble de son vécu, que de la raison, plus objective, par laquelle la personne ne diffère nullement d'une autre. Si la conscience enregistre les sensations, elle est aussi capable de prendre de la distance avec elles, de distinguer ce qui relève du moi et ce qui relève du monde.

Elle représente ainsi un moyen privilégié d'accès au réel. L'idée d'un inconscient psychique pose deux types de problèmes.

D'abord la conscience peut paraître, non pas le lieu d'une révélation ou d'une vérité, mais au contraire la source de l'illusion.

Prendre conscience pourrait signifier se tromper sur soi-même et sur les choses.

D'autre part, l'hypothèse d'un inconscient dominateur nous conduit à mettre en question la liberté humaine, l'autonomie individuelle, si tant est que celle-ci ait son siège et sa garantie dans la conscience seule.

La conscience est-elle capable de porter un jugement critique sur elle-même, de s'interroger ? Sans doute plus que l'instinct, et ce pouvoir de délibération ramènerait la liberté du côté de la conscience. Avec la complicité de la raison, pour des raisons de convenance, la conscience nous empêche d'être nous-même et de nous exprimer.

Ma conscience serait en réalité le regard d'autrui.

Quant à l'inconscient, ce qui peut en faire aussi une hypothèse contraire à la liberté humaine, est qu'elle nous renvoie au corps.

Entre autres raisons parce que nos fonctions physiologiques échappent pour une large part non seulement à notre conscience, mais aussi à notre contrôle. Il n'en va pas de même de nos actions, par lesquelles nous inscrivons délibérément notre subjectivité dans le monde. Mais ces actions suffisent-elles pour autant à nous définir ? Le moi est-il bien ce qui se manifeste à travers elles, ou est-il caché par elles ? Que reste-t-il alors de l'individualité de chacun, sinon une histoire fabriquée par une conscience ? NIETZSCHE: Du "génie de l'espèce".

- [...] Car nous pourrions penser, sentir, vouloir, nous souvenir, nous pourrions également agir » dans toutes les acceptions du mot, sans qu'il soit nécessaire que nous ayons conscience » de tout cela.

La vie tout entière serait possible sans qu'elle se vît en quelque sorte dans une glace : comme d'ailleurs, maintenant encore, la plus grande partie de la vie s'écoule chez nous sans qu'il y ait une pareille réflexion - et de même la partie pensante, sensitive et agissante de notre vie, quoiqu'un philosophe ancien puisse trouver quelque chose d'offensant dans cette idée.

Pourquoi donc la conscience si, pour tout ce qui est essentiel, elle est superflue ? Dès lors, si l'on veut écouter ma réponse à cette question et les suppositions, peut-être lointaines, qu'elle me suggère, la finesse et la force de la conscience me paraissent toujours être en rapport avec la faculté de communication d'un homme (ou d'un animal), et cette faculté fonction du besoin de communiquer [...]. Le fait que nos actes, nos pensées, nos sentiments, nos mouvements parviennent à notre conscience - du moins en partie - est la conséquence d'une terrible nécessité qui a longtemps dominé l'homme : étant l'animal qui courait le plus de dangers, il avait besoin d'aide et de protection, il avait besoin de ses semblables, il était forcé de savoir exprimer sa détresse, de savoir se rendre intelligible - et pour tout cela il lui fallait d'abord la conscience », pour savoir lui-même ce qui lui manquait, savoir » quelle était sa disposition d'esprit, savoir ce qu'il pensait.

Car, je le répète, l'homme comme tout être vivant pense sans cesse, mais ne le sait pas ; la pensée qui devient consciente n'en est que la plus petite partie, disons : la partie la plus médiocre et la plus superficielle ; car c'est cette pensée consciente seulement qui s'effectue en paroles, c'est-à-dire en signes de communication, par quoi l'origine même de la conscience se révèle.. »

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