NIETZSCHE et les origines de la morale
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Rechercher l'origine d'un concept revient à comprendre les conditions dans lesquelles il s'est formé, par qui et à quelles fins il a été créé. Un concept n'est pas quelque chose de neutre, puisqu'il cache une volonté que la généalogie va s'efforcer de démasquer. Dans l'origine de la morale, Nietzsche va faire apparaître la stratégie des faibles pour se protéger contre les forts. Dans l'ascétisme, il va déceler l'orgueil de celui qui valorise la souffrance et dévalorise le monde. La généalogie est une philosophie du soupçon qui interroge les apparences pour les renverser.
«
LA CONCEPTION NIETZSCHÉENNE DE LA MORALE
À l'inverse, Nietzsche (1844-1900) conteste que les valeurs « morales » puissent être autre chose que l'expression
de ce qu'il dénonce avec vigueur comme une morale du « ressentiment », c'est-à-dire et en définitive une morale
faite par et pour les « faibles », et qui chercheraient à compenser par là une infériorité intellectuelle les dépossédant
ainsi de tout pouvoir effectif.
Autrement dit, la question fondamentale que Nietzsche soulève à ce sujet, porte avant tout sur l'authenticité du
rapport existant entre la morale et la , rapport qui, selon lui, ne peut être que profondément falsifié, ainsi que nous
le montre l'analyse philosophique rigoureuse de la « généalogie » de nos valeurs morales.
On comprend par là que la problématique impliquée dans la conception d'une « conscience morale » en tant que
telle, est assez complexe donc difficile à trancher avec certitude, puisqu'au fond, elle touche directement à la
question de la liberté humaine et de la faculté que tout homme possède de se déterminer par rapport à ses propres
valeurs.
Dans quelles conditions l'homme a-t-il inventé à son usage ces deux évaluations: le bien et le mal? Quelle valeur
ont-elles par elles-mêmes? Ce sont les questions que pose l'oeuvre de Nietzsche.
Pour répondre à ces deux questions, Nietzsche prétend fonder une histoire de la morale et remonter à l'origine des
valeurs et de leur déchéance.
Pour cela, il se demande : qui évalue, du maître et de l'esclave, quelle est la valeur
des valeurs ? Dans Par-delà bien et mal (1886) et dans la Généalogie de la morale (1887), Nietzsche montre qu'il
existe deux types de morales: celle des nobles (les maîtres) et celle des esclaves.
Pour les aristocrates, est bon ce
qui exprime leur fierté, leur noblesse; est mauvais ce qui est vulgaire : lâcheté, peur, mesquinerie, mensonge.
La
morale des esclaves n'est que réaction à la domination des maîtres; comme l'écrit Deleuze (Nietzsche et la
philosophie, 1962), le maître lit : «je suis bon donc tu es méchant» ; et l'esclave dit: «Tu es méchant donc je suis
bon ».
Il s'agit donc d'un renversement radical puisque, sous l'effet du ressentiment, ce qui était le «bon» de la
morale noble est devenu pour la morale des esclaves le «méchant».
La condamnation du fort par le faible va de pair
avec la transformation de la propre impuissance de ce dernier en bonté, de sa bassesse craintive en humilité, de sa
soumission en une obéissance à celui qu'il appelle Dieu, bref, de sa lâcheté en vertu : « Oui, il faut la vie éternelle,
afin qu'on puisse se dédommager éternellement dans le "règne de Dieu" de cette existence terrestre passée dans la
foi, l'espérance et la charité.
»
L'origine de la faute, c'est la dette impayée.
Pour Nietzsche, l'hypothèse religieuse s'empare de la dette pour en
faire un système de la souffrance ou de l'auto-vivisection masochiste.
L'homme ne pouvant plus payer ses dettes,
celles-ci s'étendent sur plusieurs générations, jusqu'à être intériorisées sous la forme de la conscience de la faute,
ou mauvaise conscience.
Finalement, et c'est là la solution du christianisme, Dieu paie les dettes lui-même, il les rachète en se sacrifiant
(passion du Christ) parce qu'il est le seul à pouvoir payer ce prix.
«Dieu lui-même, s'offrant en sacrifice pour payer
les dettes de l'homme, telle est l'invention suprême du christianisme.
» L'homme devient alors le pécheur et la faute
morale est le péché.
L'homme est malade de l'homme, malade de lui-même, et le problème est de savoir comment il
peut retrouver son innocence.
L'ascète est celui qui se prive non seulement du superflu, mais aussi du nécessaire; en ce sens, le prêtre ascétique
est négation de la vie, et c'est pourtant lui qui veut maintenir la vie dégénérescente des hommes pécheurs.
À
chacun, le prêtre dit que le coupable n'est autre que lui-même et son péché.
Selon Nietzsche, c'est combattre
l'effet et non la cause.
L'existence tend à se réduire à la moindre place possible : le sens de l'idéal ascétique, c'est
la réduction au néant.
L'idéal ascétique a tout corrompu.
Nous sommes «infectés» de morale et nous persistons à l'ignorer.
Pourquoi n'y at-il pas eu de résistance ? Parce que les adversaires apparents de l'idéal ascétique lui appartiennent.
Même la
science, pour autant qu'elle recherche la vérité, reste enracinée dans l'idéal ascétique : non seulement elle est
partie prenante des solutions pour calmer la souffrance, mais la volonté de la vérité est elle-même religieuse,
ascétique.
La réaction aboutit à une troisième force, le nihilisme passif: «Il n'y a plus de volonté que la volonté du néant.
»
Pour sortir de l'idéal ascétique, il faudra opérer la transmutation des valeurs, passer à un «oui» qui ne soit plus celui
de l'assomption, mais celui de la délivrance; il faut non pas se charger des valeurs, mais les créer.
Il faut donc
passer au-delà du repère des valeurs, s'en prendre non à telle ou telle valeur, mais à leur espace.
La critique ne doit
pas être gouvernée par le ressentiment, mais devenir affirmative et briser la table des valeurs : «La philosophie,
écrit Nietzsche, doit être faite à coups de marteau.
».
»
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