Nietzsche
Extrait du document
«
Cet animal nécessairement oublieux, pour qui l'oubli est une force et la
manifestation d'une santé robuste.
s'est créé une faculté contraire, la mémoire, par
quoi, dans certains cas, il tiendra l'oubli en échec, - à savoir dans les cas où il
s'agit de promettre : il ne s'agit donc nullement de l'impossibilité purement passive
de se soustraire à l'impression une fois reçue, ou du malaise que cause une parole
une fois engagée et dont on n'arrive pas à se débarrasser, mais bien de la volonté
active de garder une impression, d'une continuité dans le vouloir, d'une véritable
mémoire de la volonté : de sorte que, entre le primitif « je ferai » et la décharge de
volonté proprement dite, l'accomplissement de l'acte, tout un monde de choses
nouvelles et étrangères, de circonstances et mêmes d'actes de volonté, peut se
placer sans inconvénient et sans qu'on doive craindre de voir céder sous l'effort
cette longue chaîne de volonté.
La mémoire, manifestation de la vie, a toujours intéressé les philosophes, et ceci à
plusieurs titres.
Tout d'abord, de façon physiologique, pour expliquer ses altérations dans les cas de régression
(névrose, apparition de la mémoire autistique...), puis dans le cadre de recherches sociologiques, comme par
exemple M.
Halbwachs.
Frédéric Nietzsche, lui aussi, s'est penché sur ce problème en l'appréhendant sous un
angle nouveau.
De son étude est apparue la conception d'une « mémoire de la volonté » qu'il développe dans
un texte dont l'intérêt est évident.
Nous allons donc dans un premier temps mettre en lumière la structure du
passage, tout en limitant, en un deuxième temps, la portée du texte.
L'idée principale du texte est la recherche d'une définition de la mémoire humaine, définition négative s'il en est,
puisqu'il l'oppose à l'oubli.
D'autre part, il relève la corrélation étroite existant entre la volonté et la mémoire.
Ce
passage se présente en trois articulations, bien qu'il n'y ait qu'une seule et longue phrase.
Tout d'abord,
l'auteur nous présente simplement la mémoire (« tenir l'oubli en échec »).
Puis il se pose la question : pourquoi
la mémoire? Il rejette une mémoire qui serait « photographique » (impossibilité de se soustraire à une impression
reçue ou à un engagement irrémédiable) pour nous présenter ce qui est en fait le point nodal du passage : la «
mémoire de la volonté ».
Enfin, il nous donne une explication que l'on pourrait qualifier de pratique, à savoir
qu'un temps plus ou moins long peut s'écouler entre promesse et accomplissement.
Le style, s'il peut dérouter
au premier abord (une longue phrase sans pause), est en fait assez simple (mais il faut se méfier de la fausse
simplicité des écrits de Nietzsche), en tout cas plus clair que le langage obscur et empli de paraboles du
prophète Zarathoustra.
Une étude en détail s'impose donc pour préciser les jalons de la pensée de l'auteur.
La première partie commence donc avec une présentation : « cet animal ».
On peut supposer qu'il s'agit de
l'homme, bien que l'auteur présente celui-ci justement comme « une corde tendue entre l'animal et le surhomme
» (Ainsi parlait Zarathoustra - Prologue).
Qu'est-ce que le Surhomme ?
Le Surhomme est une forme d'humanité supérieure qui laisse parler en lui la totalité des instincts, et
précisément ceux-là mêmes que la Culture christianisée a étouffés parce qu'ils étaient des formes de la volonté
de puissance, « ce qu'il y a de pire » en l'homme : égoïsme, instinct de domination, sexualité.
Mais il convient
ici de souligner un point important.
L'homme est de toute façon un être de culture.
Il n'est donc en aucun cas
possible de retourner au moment où les Barbares étaient encore indemnes des effets de la volonté de
puissance de leurs esclaves, moment fondateur de la culture.
Les instincts doivent être libérés pour être
spiritualisés : « L'homme supérieur serait celui qui aurait la plus grande multiplicité d'instincts, aussi intenses
qu'on peut les tolérer.
En effet, où la plante humaine se montre vigoureuse, on trouve les instincts
puissamment en lutte les uns contre les autres...
mais dominés.
» Ce surhomme parvient à la connaissance
véridique de l'humanité, qui est la connaissance « tragique » qui a été décrite précédemment.
Il se réalise dans
les seules issues que Nietzsche a réservées : celle de l'art, qui est une fiction connue comme telle, ou celle de
la connaissance intellectuelle.
Il réalise ainsi le sens de l'humanité même, car il est celui qui adhère à la doctrine
de l'Éternel Retour et qui donc est le sommet de la volonté de puissance.
Or cet animal est « nécessairement oublieux ».
L'adverbe insiste donc sur une obligation.
Celle-ci peut être soit
le fruit d'une incapacité physiologique due à sa nature même, soit à une décision pure et simple de ne point se
souvenir.
Il y a là une opposition nette avec la conception de certains penseurs.
Tout d'abord, on ne présente
pas la mémoire, mais différents niveaux de mémoire.
En ce qui concerne la mémoire sociale (où le passé est
revécu et reconnu), l'on se sert de cadres sociaux pour replacer temporellement et spatialement un fait.
L'individu policé se situe donc dans une certaine société où il y a donc prééminence de la mémoire.
La mémoire est une garantie de reconnaissance parmi et par les autres individus.
Au contraire, la conception de
Nietzsche est que « l'oubli est une force et la manifestation d'une santé robuste ».
L'individu se doit de ne
point toujours se référer au passé, mais au contraire d'avoir une vue progressiste.
Quant, dans Ainsi parlait
Zarathoustra, l'homme s'éloigne de ses racines, l'animal, pour tendre vers le surhomme, il oublie et s'oublie, et
l'image qu'il voit de son ancienne personnalité ne provoque que risée : « Qu'est-ce que le singe pour l'homme?.
»
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