Nietzsche
Extrait du document
«
Il ne faut pas interpréter cette nécessité où nous nous sommes de créer des
concepts, des espèces, des formes, des fins, des loin (un monde de cas
identiques) comme si elle devait nous mettre en mesure de fixer ce qu'est le monde
vrai; il faut y voir la nécessité de nous accommoder un monde qui
nous rende l'existence possible; nous créons par là un monde qui nous paraît
prévisible, simplifié, intelligible, etc.
Cette même nécessité existe dans l'activité des
sens, soutenue par l'entendement, qui simplifie, grossit, souligne et condense, et
nous permet ainsi de «reconnaître» les choses et de nous faire entendre.
Nos
besoins ont déterminé nos sens à ce point que
c'est un monde phénoménal identique qui reparaît toujours et qui a, de ce fait,
acquis, une apparence de réalité.
La nécessité subjective où nous sommes de croire à la logique exprime simplement
ce fait que, longtemps avant de prendre conscience de la logique, nous n'avons
fait autre chose que d'introduire ses postulats dans le devenir: à présent, nous les
retrouvons dans le devenir-nous ne pouvons plus faire autrement - et nous
pensons alors que cette nécessité nous eu garante d'une «vérité»! (.
..) Le monde
nous paraît logique parce que nous avons commencé par le rendre logique.
Depuis Platon, le rationalisme pose que la raison connaît le réel tel qu'il est en lui-même.
C'est pourtant
cette certitude que la critique kantienne vient ébranler : la connaissance porte la marque du sujet, puisque
c'est lui qui la construit.
Peut-on alors continuer à penser que le logos méthodique nous met aux prises avec la
réalité de la chose en soi ? Que vaut donc la croyance rationaliste en la logicité de l'être et d'où vient-elle ? La
thèse de Nietzsche est ici paradoxale au regard de la tradition philosophique : la croyance en la logicité de
l'être, commune à la métaphysique et à la science, a sa source dans un pragmatisme vital, et le rationalisme ne
fait que reprendre une simplification d'abord sensible.
Mais si le « monde-vérité » de la métaphysique et de la
science n'est qu'une fiction nécessaire à la survie de l'homme qui a besoin d'ordre pour vivre, de l'homme à
l'activité sensorielle rudimentaire, peut-on encore parler de savoir objectif ? Si même les nobles « vérités » de
la métaphysique et de la science sont des interprétations subjectives falsificatrices, faut-il alors en revenir au
relativisme sophistique et au scepticisme paresseux ?
Après avoir interprété la nécessité logique comme nécessité biologique, et non ontologique, Nietzsche montre
que la logique a son origine dans un usage grossier des sens, celui de la perception utilitaire.
IL peut ainsi poser
sa thèse paradoxale : l'homme ne croit en la logicité de l'être que parce qu'il est un animal qui a besoin de
simplification logique dans son rapport au monde.
Comment interpréter ce qui, dans la connaissance, s'impose à l'esprit comme nécessité logique? Nietzsche
commence par montrer que ce serait naïveté de conclure de la nécessité logique à une nécessité ontologique.
Il faut prendre le rationalisme pour ce qu'il est, une interprétation falsifiante du monde, et non pour ce qu'il
croit être, une prise sur l'être-vrai.
Partons de ce constat : l'homme, lorsqu'il entreprend de connaître, ne peut
que « créer des concepts ».
Il s'agit bien d'une création, car les expériences ne sont jamais que plus ou moins
semblables, alors que tout concept naît de « l'opération par laquelle on réduit à l'identité ce qui n'est, pas
identique».
Réduisant le multiple à l'un, la différence à l'identité, l'autre au même, l'homme de science demeure
au fond platonicien et croit aux idées ainsi construites comme à des vérités essentielles.
Les concepts
s'emboîtant les uns dans les autres selon leur compréhension et leur extension, les genres se spécifient en
espèces.
La biologie classe ainsi les vivants en négligeant les degrés intermédiaires, les différences
individuelles.
Les «formes » cernées ne sont au fond que l'hypostase (entité fictive posée à tort réalité) de nos
fictions langagières.
Il en va de même pour les concepts de finalité et de loi.
Ne pouvant supporter que le
devenir puisse être hasardeux et innocent, parce que nous avons besoin de sens, nous élaborons le concept de
cause finale : tout ce qui arrive doit avoir un sens et servir un but.
Ne pouvant supporter l'imprévisibilité et
l'inconnu, parce qu'ils nous font peur, nous élaborons le concept de toi, en postulant que dans les mêmes
conditions les mêmes causes provoquent les mêmes effets, comme s'il pouvait y avoir des conditions
strictement semblables dans la complexité du réel.
L'idée de loi a d'ailleurs un arrière-goût moral : c'est un ordre
au double sens du mot, ce qui ordonne et ce qui commande.
Mais l'illusion est en tout cas de prendre ce besoin
de classer comme un commandement venu du réel.
La nécessité logique aurait pour origine une nécessité biologique.
Le caractère de l'homme épris d'ordre est tel
qu'il ne peut survivre que dans un monde falsifié, accommodé préalablement à lui.
Un monde rendu commode
(de cum-modus, ce qui se prête à la mesure, à la convenance...
de la raison ) est un monde qui sert nos
besoins, en particulier nos besoins de maîtrise technique.
Les concepts ne sont que des outils forgés pour
assurer une prise technique sur la nature et leur fonction est pratique et non théorique.
Comme le fera
Bergson, Nietzsche lie l'intelligence analytique et logique à l'action de l'homme technicien, qui catégorise la
matière pour la travailler.
Il s'agit de créer les conditions les plus propres à la survie de l'espèce humaine
comme espèce biologique.
Connaître n'est pas contempler l'intelligible de façon désintéressée, mais.
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