Nietzsche
Extrait du document
«
"En contemplant une chute d'eau, nous croyons voir dans les innombrables
ondulations, serpentements, brisements des vagues, liberté de la volonté et
caprice ; mais tout est nécessité, chaque mouvement peut se calculer
mathématiquement.
Il en est de même pour les actions humaines ; on devrait pouvoir calculer d'avance
chaque action, si l'on était omniscient, et de même chaque progrès de la
connaissance, chaque erreur, chaque méchanceté.
L'homme agissant lui-même est, il est vrai, dans l'illusion du libre arbitre ; si à un
instant la roue du monde s'arrêtait et qu'il y eût là une intelligence calculatrice
omnisciente pour mettre à profit cette pause, elle pourrait continuer à calculer
l'avenir de chaque être jusqu'aux temps les plus éloignés et marquer chaque trace
où cette roue passera désormais.
L'illusion sur soi-même de l'homme agissant, la conviction de son libre arbitre,
appartient également à ce mécanisme, qui est objet de calcul.
" NIETZSCHE.
I - ANALYSE DU PROBLÈME
Ce texte a pour thème la liberté, notion dont il fait la critique.
Le problème en est le suivant :
La liberté humaine constitue-t-elle un ordre à part, indépendant de celui de la nature, ou bien n'est-elle pas
plutôt une simple illusion, l'action humaine étant en réalité immergée comme tout phénomène dans le
"mécanisme" de la nature ?
Nietzsche répond à ce problème en posant la thèse suivante :
La liberté humaine quelque soit le domaine où elle se déploie (action, mais aussi "connaissance" ou moralité),
est une simple illusion, un sentiment psychologique de "libre arbitre", mais c'est en même temps une illusion qui
est elle-même engendrée par la nécessité ou le mécanisme de fonctionnement de la nature à laquelle il
appartient.
L'enjeu du texte est limpide : quelle portée finale recouvre la négation par Nietzsche de la liberté humaine.
L'argument du texte était assez délicat à saisir : il est double.
D'une part, l'auteur s'appuie sur une comparaison poétique de l'action humaine avec les faits naturels ; d'autre part il fait appel à un argument de type théologique (une "intelligence omnisciente"), pour soutenir que de ce point de vue les deux ordres de faits humains et naturels - sont au fond identiques. On peut noter que ce genre d'indécision dans la démarche argumentative est bien typique de Nietzsche, moins préoccupé de la valeur logique et formelle de son propos que de l' affirmation de sa valeur philosophique ou métaphysique. II - LES ARTICULATIONS DU TEXTE On peut dégager trois moments qui ne sont pas les étapes d'un raisonnement, mais des versions différentes d'une unique affirmation : la liberté est illusion. A - La nécessité est universelle : les faits naturels comme les actes de l'esprit humain sont gouvernés par des lois mathématiques, autorisant un "calcul", c'est-à-dire une connaissance prévisionnelle, de leur apparition et de leur déroulement. B - De "l'homme agissant" à "désormais" : dissipation de l'illusion de la liberté par le calcul mathématique de l'avenir qui supprime en fait la réalité du temps. C - Surenchérissement de Nietzsche : non seulement la liberté est une illusion due à la méconnaissance de la nécessité universelle, mais cette méconnaissance elle-même est produite et, pourrait-on dire, orchestrée, par cette nécessité. III - ANALYSE DU TEXTE Quelques termes ou passages méritaient d'être distingués. A - Dans le premier moment du texte, on devait essayer de rendre justice autant qu'il était possible à la force. »
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