Nietzsche
Extrait du document
«
CROYANCE A L’INSPIRATION.
— Les artistes ont intérêt à ce qu'on croie aux
intuitions soudaines, aux prétendues inspirations ; comme si l'idée de
l’oeuvre d’art, du poème, la pensée fondamentale d'une philosophie,
tombait du ciel comme un rayon de la grâce.
En réalité, l’imagination du bon
artiste ou penseur produit constamment du bon, du médiocre et du
mauvais, mais son jugement, extrêmement aiguisé, exercé, rejette, choisit,
combine ; ainsi, l'on se rend compte aujourd'hui d'après les carnets de
Beethoven, qu'il a composé peu à peu ses plus magnifiques mélodies et les
a en quelque sorte triées d'ébauches multiples.
Celui qui discerne moins
sévèrement et s'abandonne volontiers à la mémoire reproductrice pourra,
dans certaines conditions, devenir un grand improvisateur ; mais
l’improvisation artistique est à un niveau fort bas en comparaison des idées
d'art choisies sérieusement et avec peine.
Tous les grands hommes sont de
grands travailleurs.
infatigables non seulement à inventer, mais encore à
rejeter, passer au crible, modifier, arranger.
Problématique:
Ce texte se rapporte aux thèmes de l'art et de la création artistique.
Le problème est de savoir si le génie est
travail ou disposition innée.
Le génie: labeur ou don ?
L'inspiration et le rayon de la grâce ne sont que des mythes commodes: jugement, idée, travail jouent, dans la
conception artistique, un rôle prédominant.
Première partie: "Les artistes...
grâce."
Nietzsche est un grand désillusionniste: dès le début, ses formules donnent à voir, derrière le champ des
apparences, le travail psychologique à l'oeuvre.
Nietzsche est un philosophe du soupçon: il jette un regard sur
les ressorts dissimulés du discours, sur les processus inavoués et cachés.
C'est l'artiste, le créateur de beauté, qui est ici soupçonné: n'a-t-il pas intérêt à ce que l'on privilégie la
puissance de son intuition, de sa faculté de voir immédiatement dans le réel, comme si cette intuition était une
sorte de lorgnette magique, comme si l'inspiration (sorte d'inspiration surnaturelle) était facteur essentiel de
découverte ? Pourquoi un intérêt ? Parce que les hommes aiment bien ce qui se présente comme tout fait et
achevé.
Le travail et la création sans cesse réitérée ne sont pas toujours agréables à saisir.
En effet, l'idée de
l'oeuvre d'art, à savoir le modèle dynamique de la pensée aboutissant à la constitution d'un ensemble organisé
de signes et de matériaux manifestant un idéal de beauté, semble surgir spontanément à partir d'une puissance
surnaturelle ("la grâce") et dès lors cela dissimule les laborieux efforts de l'intellect.
D'où l'avantage de l'artiste,
si le public croit à cette immédiateté surnaturelle.
Contre les mythes mensongers, il faut rétablir la vérité.
Deuxième partie: "En vérité...
oeuvre."
Qu'il s'agisse, contre les illusions ou les ressorts cachés du discours de rétablir ce qui est, c'est bien ce que
montre l'expression "en vérité": c'est un processus complexe que Nietzsche dévoile.
L'imagination, la faculté psychique inventive, ne cesse pas, dans le cas de l'artiste, du créateur de l'oeuvre
d'art, mais aussi du penseur, celui qui s'applique à engendrer de nouvelles idées, de créer des thèmes souvent
médiocres.
Toutefois, c'est le jugement, faculté par laquelle on pose judicieusement des rapports entre les
notions, qui, quand il est rendu tranchant et pénétrant, répudie le mauvais et décide, faisant ainsi les vrais
choix.
L'exemple de Beethoven est ici donné à l'appui.
La grande oeuvre est le fruit de brouillons, de ratures,
d'essais répétés, de sueur et de labeur.
Tandis que le vrai créateur rejette et choisit, l'artiste de second ordre va se fier à la fonction du passé qui
reproduit et il demeure au niveau de l'improvisation artistique, à savoir de ce qui est composé sur-le-champ et
sans préparation réelle, à la hâte, à l'emporte-pièce, pourrait-on dire.
Si nous comparons ce travail hâtif à
l'idée, au dynamisme spirituel et au modèle véritable de la pensée, modèle correspondant à un effort et à une
tension intellectuel, quelle différence ! D'un côté, la grande oeuvre et, de l'autre, le bas niveau de la
réalisation: l'en deçà de l'oeuvre.
Ainsi l'artiste médiocre multiplie-t-il les travaux rapides alors que le génie
oeuvre sans cesse.
Troisième partie: "Tous les grands hommes...
arranger."
La dernière partie tire les conclusions des analyses précédentes: les "grands hommes", à savoir les génies, les
héros, les grands créateurs ont d'abord été de "grands travailleurs", à savoir des individus inscrivant les fins,
leurs valeurs dans le réel et fournissant un effort douloureux pour y parvenir.
C'est à un double titre que leurs
efforts se manifestent: pour créer quelque chose de neuf, mais aussi pour transformer, modifier les ouvrages de.
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